Il aurait pu être médecin, sociologue, ethnologue, voire bifurquer vers la philosophie, l’histoire de l’art ou la psychanalyse, mais c’est l’architecture qui l’a retenu. Certainement parce qu’elle réunit, en une seule discipline et à chaque projet, énormément de domaines susceptibles de satisfaire son insatiable curiosité ainsi que des problématiques variées qu’il prend plaisir à décortiquer, analyser et résoudre. Le résultat est à chaque fois une proposition singulière, dictée par les contraintes du programme, les spécificités du site et les enjeux sociaux auxquels il répond toujours avec beaucoup d’attention.

Une sollicitude qu’il doit certainement à son parcours universitaire en sociologie et à une histoire familiale qui l’a sensibilisé très tôt à la complexité de l’âme humaine. Patrick Schweitzer a le sens du relationnel, il est attentif aux personnes et a su composer une agence qui semble aujourd’hui avoir trouvé son équilibre, tel un écosystème où chaque individu joue pleinement son rôle tout en contribuant harmonieusement au succès d’ensemble. Un succès qui lui permet désormais de dédier son savoir-faire et une partie de son temps à des projets philanthropiques, notamment en Afrique.

Patrick Schweitzer est un homme de l’espace. Espace mental tout d’abord, qu’il aime explorer durant ses réflexions nocturnes, moments de création privilégiés qui voient naître l’essentiel de ses projets. Espace urbain ensuite, dont il appréhende avec acuité l’écheveau d’intérêts divergents et de contraintes pour insérer au mieux ses propositions architecturales.

Espace social, qu’il aborde avec beaucoup de sollicitude, de manière à servir au mieux les usages et traiter avec attention le positionnement des individus dans une approche toute bourdieusienne. Espace physique enfin, par un traitement subtil et sensoriel des lieux de vie naturels et construits, dans une démarche architecturale que l’on pourrait qualifier d’ « écosophique ».

© Pierre Pommereau

De fait, l’agence a très tôt su intégrer la dimension environnementale au cœur de son approche, que ce soit dans la manière d’enchâsser le bâtiment dans son milieu, dans la gestion des matériaux de construction, dans le choix des procédés de fabrication ou dans la maîtrise des énergies. De manière plus globale encore, une attention particulière est constamment portée sur la viabilité des outils et des méthodes. Du tracé sur calque au BIM management, l’objectif reste invariablement d’être le plus pertinent et le plus efficace possible, que ce soit au niveau de la réponse apportée à l’usager final, la personne qui va habiter le bâtiment, mais aussi à tous ceux et toutes celles qui vont le construire.

Cette exigence, Patrick Schweitzer l’explique ainsi : « Mon père était agréé en architecture et avait une petite agence dans un village alsacien près de Saverne. Il travaillait essentiellement pour Adidas France. Il a construit pour eux le siège de l’entreprise, tous les dépôts ainsi que toutes les usines en France et à l’étranger.

C’est quelqu’un qui s’est fait lui-même avec beaucoup de volonté. À 14 ans, il a démarré en tant que manœuvre sur les chantiers, a gravi peu à peu tous les échelons et, à 30 ans, il s’est installé à son compte. Du fait de ce parcours, il savait tout faire. Lorsqu’un ouvrier rencontrait des difficultés pour réaliser une tâche, il prenait les outils en main et lui montrait directement la procédure à suivre, et ce, quel que soit le corps de métier. Cela m’a donc toujours paru normal qu’un architecte sache faire tout cela. C’est aussi pour cette raison que j’ai une conscience aiguë de notre responsabilité. J’insiste toujours beaucoup auprès de mes collaborateurs sur la nécessité d’être rigoureux dans le dessin, afin de ne pas avoir de modifications ou de reprises à faire au moment du chantier, car les métiers du bâtiment sont difficiles, et un simple trait de crayon erroné peut représenter sur le terrain beaucoup de temps et de sueur supplémentaires. »

La transmission de la connaissance et de la compétence est un sujet important pour l’architecte, mais pour Patrick Schweitzer, elle se fait beaucoup plus par l’observation, le côtoiement et l’échange que par un enseignement magistral et traditionnel de maître à disciple. « Mon apprentissage, je l’ai plutôt fait en observant les personnes que j’admirais, et en travaillant “à la manière deˮ. J’ai beaucoup observé Mario Botta par exemple. Je l’ai étudié, analysé, scruté pour comprendre son travail et faire miens certains de ses préceptes. Ensuite, bien sûr, on s’éloigne petit à petit de ses sources d’inspiration pour trouver sa propre démarche et son style, même si je considère personnellement que je n’ai pas une écriture architecturale continue, un style qui serait reconnaissable et que je répéterais inlassablement. Non, je m’efforce plutôt de faire une architecture contextuelle et, en ce sens, tous mes projets sont différents les uns des autres. J’analyse le site et le programme, je m’en imprègne et donne une réponse que j’espère la plus juste et la plus appropriée à tous les paramètres du lieu et des usages associés, sans perdre de vue l’architecture…Ce que j’entends par là, c’est qu’il y a certaines règles de conception qui semblent quasi universelles et immuables, instituées empiriquement. Ce caractère universel de l’acte d’édification me fascine et me passionne, c’est une des raisons d’ailleurs pour lesquelles je suis admiratif du travail de Louis Kahn, qui est un très bon représentant, je trouve, de cette architecture fondamentale qui ne laisse rien au hasard et qui est très attachée à l’harmonie des formes, à la composition de la structure, au choix des matériaux et à la rencontre, comme il le préconisait, du silence et de la lumière.

© Pierre Pommereau

Sentez-vous une évolution dans le domaine de l’architecture ?

« Oui, je constate que depuis quelques années, ce qui compte de plus en plus, et c’est heureux, c’est une architecture qui a du sens, qui n’est pas dans la démonstration ou l’approche sculpturale du bâtiment. Désormais, on valorise plus la démarche et les intentions qui la guident plutôt que le seul résultat. Quand on regarde les derniers lauréats du prix Pritzker, comme Francis Kéré ou Lacaton & Vassal, on n’est pas dans le « j’aime ou j’aime pas », mais davantage dans une logique globale et raisonnée. »

Et de votre côté, comment voyez-vous l’évolution de votre pratique ?

« L’objectif de l’agence aujourd’hui, c’est de faire de beaux projets, et aussi pour ma part, de me consacrer de plus en plus à des programmes caritatifs, notamment au Rwanda, pays où je travaille depuis plusieurs années et avec lequel j’ai développé une relation forte.

Après avoir gagné en 2012 un concours pour réaliser une école d’architecture à Kigali, qui a depuis été plusieurs fois primée, nous sommes en train d’achever, toujours dans cette même ville, l’IRCAD Africa, qui est l’équivalent de l’IRCAD France que j’ai construit à Strasbourg, et qui est donc un lieu où les chirurgiens viennent apprendre à utiliser des robots pour faire de la chirurgie mini-invasive.

Parallèlement à ce projet, j’essaie également de développer ou de revitaliser des filières métiers en travaillant au maximum avec des matériaux locaux. J’ai par exemple fait fabriquer sur place les briques utilisées pour bâtir l’école d’architecture de Kigali. L’objectif est de faire en sorte que le Rwanda gagne en autonomie afin qu’il soit moins dépendant d’autres pays comme la Chine. J’envisage aussi, à l’instar du studio d’architecture américain Mass Design Group, de créer une antenne africaine de l’agence ayant le statut d’ONG. Pour ce faire, j’ai recruté un jeune architecte africain en vue de l’affecter à cette nouvelle structure qui développera des projets financés par l’agence. Nous travaillons, pour l’heure, à la conception de vingt maisons destinées à accueillir et nourrir gratuitement des familles d’enfants atteints du cancer et qui, sans cela, ne pourraient pas venir se faire soigner à Kigali. »

Comment appréhendez-vous votre métier d’architecte ?

« Tout d’abord, un projet est généralement l’occasion de nouvelles confrontations. Or, j’ai toujours pensé que lorsqu’on écoute quelqu’un de différent, on s’enrichit énormément. C’est pourquoi je considère chaque rencontre comme une opportunité d’apprendre de nouvelles choses et de m’instruire.

En fait, j’apprécie tout ce qui est du domaine de la création, de la réflexion. J’aime le monde des idées et je m’y sens très à l’aise. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut rester humble face aux problématiques et aux situations qui nous sont proposées. Le métier d’architecte est un métier de synthèse. Vous avez un programme que l’on vous donne, et le rôle de l’architecte, c’est de s’imbiber de tous les éléments qui le composent, de mettre de l’ordre dans ce magma pour faire jaillir du chaos un ouvrage qui soit intelligent et, si possible, beau. »

 

Texte : Fabrice Pincin
Visuel à la une : © Pierre Pommereau

— retrouvez le portrait d’agence de Patrick Schweitzer, l’homme de l’espace dans Archistorm 121 daté juillet – août 2023 !