À deux pas du métro Sentier, Snøhetta Studio Paris occupe le premier étage d’un bel immeuble patrimonial. Sur la plaque de l’agence, le tracé stylisé du mont Snøhetta représente le point culminant, 2 286 m, du massif du Dovrefjell, dans le centre de la Norvège. Tous les deux ans, les salariés de toutes les agences Snøhetta sont conviés à s’y retrouver. Ensemble, ils font l’ascension de la montagne, il faut compter trois heures pour atteindre le sommet. Sur la dernière « photo de famille » de l’équipe, diffusée sur le site Internet de l’agence, le « capuchon enneigé » (signification de snøhetta en norvégien) disparaît dans les nuages.

C’est en 2018 qu’a été ouverte l’agence française, d’abord près du Centre Pompidou avant de déménager à cette nouvelle adresse. Snøhetta compte à Paris une trentaine de salariés (architectes, architectes d’intérieur, paysagistes) et fonctionne de manière autonome pour la quinzaine de projets signés en France ou à l’étranger. Une fois passée l’entrée occupée par une imposante imprimante 3D et quelques maquettes, l’espace se déroule sous la forme d’un vaste plateau ouvert. Une grande cuisine équipée et deux salles de réunion complètent les locaux. Toute l’équipe partage le même espace, façon de manifester l’horizontalité des relations professionnelles, chère à l’esprit de Snøhetta.

« La collaboration et l’ouverture sont essentielles à notre travail. Notre approche collective et interdisciplinaire de la réflexion conceptuelle favorise le dialogue et l’épanouissement des idées à toutes les phases de conception. »

Kjetil Thorsen, architecte, cofondateur de Snøhetta.

© Juan Jerez

Ainsi marquée par une forte pluridisciplinarité (architecture, paysage, architecture d’intérieur, mobilier, design, design graphique, etc.), abordant différents programmes et échelles, Snøhetta compte aujourd’hui 350 salariés répartis dans neuf bureaux dans le monde. Celui de Paris a pris rapidement sa vitesse de croisière, malgré les deux années de crise sanitaire. Il est dirigé par Oliver Page, diplômé en architecture au College of Art d’Édimbourg, et riche d’expériences croisées entre agences d’architecture (Moatti et Rivière, Coldefy et Associés) et développement international (Vector Foiltec, SCAU). Après deux premières réalisations dans l’Hexagone – le centre international de l’art pariétal Lascaux IV et le siège du groupe Le Monde à Paris –, Snøhetta a pris la décision de s’installer à Paris pour pérenniser sa présence française. « La France, à travers sa culture et son histoire, constitue à la fois une alternative et une offre complémentaire au monde anglo-saxon. » L’équipe de Paris gère directement chaque projet français, depuis l’esquisse ou le concours jusqu’à la livraison, tout en favorisant les collaborations avec les autres studios à travers le monde autour des compétences ou problématiques spécifiques pour partager nos expériences et nos outils. Engagés en 2019, l’observatoire et le planétarium de Douai, livrés en mai dernier, représentent la première réalisation entièrement conçue en France.

© Juan Jerez

Construction durable et rapport au paysage

« Lors de la création de l’agence, le rapport sur la durabilité de la commission de l’ONU, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, venait d’être publié », rappelle le directeur général. « Ce texte, “Notre avenir à tous”, est devenu une forte source d’inspiration pour nos fondateurs. Nos projets sont tous imaginés pour apporter une contribution positive à l’avenir de la planète en reliant les humains à leur environnement naturel, en utilisant des matériaux durables et décarbonés et en respectant les ressources.

Dans la phase de conception, le dialogue avec toutes les parties prenantes est premier, cette approche collaborative est synthétisée dans l’ouvrage Collective Intuition. Tous nos projets passent par la même phase initiale qui réunit un maximum de personnes concernées, concepteurs, bureaux d’études, clients, voire collectivités. Ce brainstorming créatif a de particulier de faire sortir les participants de leur rôle habituel pour les libérer des schémas convenus et faire émerger l’idée du concept. »

L’inscription dans le paysage constitue une forte caractéristique de l’agence, deux projets emblématiques des premières années en sont le manifeste. L’Opéra et ballet national de Norvège à Oslo et la bibliothèque d’Alexandrie partagent le même geste séminal, celui de lignes obliques donnant l’impression que ces bâtiments surgissent du sol. C’est une architecture qui se fait paysage : la toiture de l’Opéra et ballet national de Norvège devient une terrasse accessible à tous pour observer la ville et assister aux grands événements qui y sont organisés.

Cet attachement au paysage est aujourd’hui encore essentiel pour l’agence, notamment pour le projet de la Cour nationale du droit d’asile et du tribunal administratif. Dans cette réhabilitation en cours, les 40 salles d’audience sont organisées autour d’un jardin central offrant aux demandeurs d’asile en attente d’une décision, ainsi qu’aux 940 agents, un endroit d’apaisement et de tranquillité. Comme l’indique Emmanuelle Valersteinas, directrice de projets, « ce cœur vert répond à un double enjeu : offrir un lieu d’hospitalité à un public sensible en attente de décisions décisives pour leur vie, et favoriser la biodiversité pour l’ensemble du site. Le projet atteint ainsi des objectifs ambitieux avec 48 % de surfaces plantées et 18 % de pleine terre. »

Dans un autre contexte, la rénovation de la Croisette à Cannes, dont la première tranche de travaux doit être engagée en 2024, est un projet de paysage et d’aménagement urbain. Le concours a été remporté avec l’atelier d’urbanité Roland Castro. L’objectif est de redonner clarté et lisibilité à cette promenade en bordure de la Méditerranée, qui relie le Palais des festivals au Palm Beach sur 2,6 km de long. Le projet entend redonner au boulevard toute la beauté et le prestige qui ont construit sa légende. La proposition faite a été de dérouler un tapis rouge, en utilisant un granit, régulièrement parsemé d’inserts pour souligner des éléments de traversée vers les grands hôtels ou l’accès aux plages.

« Le projet de la Croisette met à contribution toutes les compétences qui font la particularité de Snøhetta, puisque l’agence a également conçu, en collaboration avec l’équipe d’architectes et de paysagistes, le mobilier urbain sur mesure. Celui-ci se compose de grands bancs qui semblent émerger du sol, rappelant la silhouette du massif de l’Estérel. Des luminaires et ombrières sont inspirés du mouvement Art déco, s’inscrivant ainsi dans l’identité de Cannes. » Maïlys Meyer, architecte HMONP et paysagiste conceptrice, directrice de projets.

© Juan Jerez

Sensibilités culturelles

Autre marqueur fort de Snøhetta décliné à Paris, son implication dans le domaine culturel. Après la modernisation du musée Carnavalet avec Chatillon Architectes, livré en 2021, l’agence s’est investie ces dernières années dans plusieurs rénovations d’ampleur : musée de la Marine à Paris, musée d’Histoire naturelle de Lille, théâtre des Amandiers à Nanterre. Le concours pour le musée de la Marine au Trocadéro a été remporté en 2017 avec h2o architectes, agence qui a l’habitude d’intervenir sur des sites historiques. « Notre proposition conjointe entremêle une relecture patrimoniale du site et une approche plus abstraite autour de la notion des fluides de l’élément marin. »

Il s’agit de retrouver les volumes d’origine de la galerie Davioud du Palais de Chaillot. Deux nouvelles mezzanines avec des façades en verre incurvées offriront une vue panoramique sur les espaces d’exposition. Dès l’entrée, une zone tampon a été créée pour trancher avec l’agitation touristique du Trocadéro, en jouant sur une certaine obscurité. Une constellation de tubes lumineux descendant du plafond évoque les reflets sur l’eau et le mouvement des vagues. Une fois ce sas franchi, le visiteur découvre alors l’ampleur de la grande galerie.

Au musée d’Histoire naturelle de Lille, l’ambition est de redonner plus de cohérence et une identité globale au bâtiment de la fin du XIXe siècle pour une meilleure intégration urbaine et en offrant plus d’espace. Le volume originel, trois bâtiments parallèles séparés par des cours, sera davantage végétalisé et ouvert sur la ville, avec la suppression de certaines extensions peu qualitatives.

« Pour simplifier les accès et la circulation, et aussi regrouper de façon cohérente les espaces d’exposition et de stockage, Snøhetta a dessiné un axe traversant les trois corps du bâtiment et concentrant les flux des visiteurs, des collections et du personnel, mais également l’innervation technique du bâtiment. Cette colonne vertébrale se déploie à travers le musée en articulant les différents espaces d’accueil du public, les salles d’exposition et de médiation, les réserves des collections ou encore les bureaux des équipes du musée. » Rémy Cointet, architecte, directeur de projets.

Elle offre une réinterprétation contemporaine de l’architecture du Vieux-Lille, associant façade de briques et finitions intérieures en bois.

À l’instar de la réalisation de la scénographie pour la nouvelle exposition permanente du musée national d’Histoire à Oslo, « Héritage », Snøhetta s’est aussi impliquée dernièrement autour de l’exposition de l’artiste norvégienne Anna-Eva Bergman au musée d’Art moderne de Paris. En partenariat avec le musée et l’ambassade de Norvège, l’équipe a conçu et imprimé un livret de contemplation au design sobre et élégant à l’intention des visiteurs. L’engagement au service de l’art et du partage n’est pas une question d’échelle ou de type d’objet, mais bien de conviction.

 

Texte : Mathieu Oui
Visuel à la une : Photo © Juan Jerez

— retrouvez le portrait d’agence Snøhetta Paris dans Archistorm 122 daté septembre – octobre 2023 !