Pour rentrer dans le bureau de Vincent Eschalier, il faut franchir une porte rouge vif de forme ovale signée Charlotte Perriand. Celle-ci l’avait dessinée pour les salles de bains des appartements de la station des Arcs. Avec son pas-de-porte surélevé, elle donne l’impression de rentrer dans une cabine de bateau, « de sous-marin », complète l’architecte. L’expression reviendra plus tard dans la conversation : « J’aime bien travailler en sous-marin. » Chez le jeune quadragénaire, il y a cette volonté de ne pas chercher la lumière à tout prix. Passionné de rugby, l’architecte conçoit son travail comme celui d’un capitaine d’équipe. Vêtu d’un sweat à capuche gris, l’homme est décontracté et pratique volontiers le tutoiement.

Non loin de Drouot, les bureaux de l’agence se déploient sur quatre niveaux, dans ce qui fut autrefois les ateliers de broderie Lesage. Associant béton brut, pierres apparentes et grands miroirs, les espaces de travail sont largement ouverts, occupés de mobilier noir. Ici et là, quelques pièces de design, de larges canapés, des rayonnages accueillant livres, œuvres d’art et matériaux divers. Quatre jours par semaine, les collaborateurs partagent le repas du chef maison, dans la cuisine du rez-de-chaussée. Au sous-sol, ils ont accès à une salle de yoga et des vestiaires.

photo : Jean-Pierre Vaillancourt

Premières expériences internationales

Vincent Eschalier a effectué ses débuts dans le monde de l’architecture hors de France. Ayant grandi en Angleterre de 7 à 18 ans, il se considère comme à moitié Britannique. L’adolescent étudie les mathématiques et les arts plastiques au sein d’une pension anglaise traditionnelle. C’est un enseignant en art avec lequel il est resté en contact qui lui conseillera l’architecture. À sa majorité, le voici en année de césure aux États-Unis : un stage en agence d’architecture à Washington se transforme en quelques semaines en travail rémunéré pour du suivi de projets. De retour en France, Vincent Eschalier s’inscrit à l’École d’architecture de Versailles. Alors que l’étudiant suit une scolarité, de son propre aveu, un peu poussive, il décide de mettre la gomme pour son diplôme de fin d’études consacré au stade Jean-Bouin à Paris. Avec ce projet, il voit sa confiance boostée au seuil de sa carrière professionnelle. Débutant chez Studios Architecture, le jeune diplômé participe au chantier de la fondation Louis Vuitton de Frank Gehry, aux côtés du chef de projet Claude Hartmann. Puis, il rejoint l’agence de Sébastien Segers et Marc Newson, durant trois années qui le conduisent sur des chantiers à l’étranger et le mettent en contact avec des commanditaires prestigieux. Ouverte en 2009, l’agence compte aujourd’hui 35 collaborateurs : architectes, architectes d’intérieur, designers, perspectivistes, graphistes, responsable de la communication, personnes chargées de l’administration. Un deuxième bureau vient d’ouvrir à Milan, avec déjà deux projets sur le feu. Une quinzaine de chantiers sont menés en parallèle, du jet à la maison particulière, de la galerie d’art aux immeubles de bureaux, avec une majorité de chantiers en réhabilitation.

« Nous n’avons pas de culture de la charrette », précise l’architecte qui envisage son management sur le mode anglo-saxon, dans lequel les rapports de hiérarchie ou entre les générations pèsent peu. Les maîtres mots sont la confiance, le travail d’équipe, le respect vis-à-vis des collaborateurs comme des partenaires. Se positionnant à la manière d’une « petite maison de couture », le studio, qui n’envisage pas de croître, mais se délocaliserait volontiers à New York ou Londres, s’offre le luxe de choisir ses clients. Surtout, l’équipe croise les disciplines pour chaque nouvelle réalisation, associant l’architecture, l’aménagement intérieur et le design. L’idée étant de fournir aux clients un univers total, un service complet avec des éléments de design qui restent exclusifs. « Tous nos projets partent de la conception intérieure : ils sont le résultat de ce qui se passe dans les espaces, en termes de perspectives, de points de vue, de rapports à la lumière. Nous dessinons en nous mettant à la place du futur usager », résume Vincent Eschalier. À la manière d’un puzzle, tous les éléments se mettent progressivement en place pour aboutir à la conception finale. Passée cette phase, la mise en œuvre du chantier se fait aussi par les équipes en interne.

Photo : Jean-Pierre Vaillancourt

Collaborations longue durée

L’histoire encore jeune du studio est déjà jalonnée de quelques réalisations emblématiques, tels les deux hôtels particuliers du boulevard Richard-Lenoir, livrés en 2015, pour le compte de la société Esprimm, avec laquelle s’est depuis engagée une longue collaboration. Sur une parcelle restreinte, entre deux façades haussmanniennes, le studio a inséré deux maisons de 160 et 180 m2 avec façades en débords et larges baies vitrées, agrémentées d’un toit-terrasse. Une écriture contemporaine et élégante qui sera récompensée par un Trophée de la Construction. Place de la Bourse, le bâtiment Vivienne est une réhabilitation d’un immeuble de bureaux sur les deux derniers étages, pour 6e Sens Immobilier (autre client partenaire de longue date). Le choix de recouvrir l’extérieur de pierre bleue du Hainaut (et laiton pour l’habillage des fenêtres) est inédit, un pari qualitatif au coût élevé en comparaison du zinc. En construction neuve, les 5000 m2 de ce qui est devenu le siège de l’entreprise Blablacar ont été livrés en 2021, avec à nouveau 6e Sens Immobilier en maître d’ouvrage. La longue façade, en verre bombé sur ossature métallique noire, donne du rythme à l’édifice tout en favorisant la pénétration de la lumière naturelle. L’aménagement intérieur porte une forte attention aux détails dans les espaces communs, dans le choix des parements intérieurs en bois et aluminium, dans les grands luminaires et le mobilier aux formes arrondies. En outre, l’équipe travaille actuellement à la réhabilitation du théâtre Daunou, fondé en 1921 par Jane Renouardt, actrice de cinéma muet, et dessiné par Jeanne Lanvin. Avec sa décoration bleu Lanvin et or, c’est le seul théâtre de Paris à ne pas être rouge. Le chantier, mené avec les architectes du patrimoine de l’agence M+0, porte sur la restauration, le dessin des fauteuils, et comportera quelques touches contemporaines. Pour l’aménagement intérieur d’un espace de travail haut de gamme du quartier de la place Vendôme, l’équipe s’est investie à la manière d’une direction artistique, allant jusqu’à dessiner un bureau au plateau réglable, en position assise ou debout, en fonction des besoins de l’usager. À nouveau, l’élégance repose sur la finesse des détails et le choix des matériaux : piètements en tôle d’aluminium, plateau de chêne massif et jusqu’au tissu gris qui dissimule les éléments techniques.

Sur les chantiers de restauration, le studio s’efforce de récupérer les matériaux afin de les transformer en vue d’un nouvel usage. C’est ainsi que l’aluminium des huisseries, tuyauteries et canettes collectées est désormais systématiquement fondu pour être ensuite réemployé. Plusieurs mois de recherche ont été nécessaires pour dessiner, prototyper, tester une poignée de porte produite en milliers d’exemplaires et qui équipe toutes les nouvelles réalisations. Sur le même principe, une lampe en aluminium vient d’être mise au point et les collaborateurs travaillent sur une butée de porte. Au sein de l’agence, un salarié est dédié à cette question du réemploi des déchets de construction et de la mise en place de filières spécifiques. Les gravats récupérés ont servi à fabriquer du terrazzo. Pour le projet de 25 000 m2 réunissant bureaux, commerces et services à Saint-Cloud, sur les quais de Seine, le studio a choisi de recourir à la brique pour les façades, soit 6 000 m2 en matériaux de réemploi. Une recherche en réponse aux défis environnementaux du moment, au service d’une architecture qui allie fonctionnalité et beauté, tout en élégance et sans ostentation.

Texte : Mathieu Oui
Visuel à la une : Vincent Desailly

— retrouvez le portrait d’agence sur le Studio Vincent Eschalier dans Archistorm 124 daté janvier – février 2024