EXPÉRIENCE HÔTELIÈRE

D’UN CHEVAL BLANC À L’AUTRE
LA MAISON CHEVAL BLANC SAMARITAINE, PARIS
ÉDOUARD FRANÇOIS, PETER MARINO, JEAN-FRANÇOIS LAGNEAU, ARCHITECTES

Depuis 1614, la statue équestre du roi de Navarre — fondateur de la dynastie des Bourbons — trône au milieu du pont Neuf. Quelque quatre siècles plus tard, un autre Cheval Blanc ouvre sa Maison, de l’autre côté du bras nord de la Seine, dans un chef-d’œuvre parisien de l’Art déco, livré en 1928 par Henri Sauvage pour la Samaritaine. Parachevant la rénovation-reconversion du mythique grand magasin menée pour le compte du groupe de luxe LVMH, dont elle constitue la proue sur le fleuve, la cinquième adresse[1] des palaces-hôtels Maisons Cheval Blanc — dénomination faisant référence au très célèbre château viticole sis à Saint-Émilion, également propriété de Bernard Arnault — se veut un lieu d’exception urbain où recevoir ses hôtes « comme à la maison » !

Un treizième palace à Paris

Pour remplacer une procédure de cooptation jusque-là plutôt absconse, le ministère du Tourisme profita de la redéfinition des critères d’attribution des étoiles (et de la création d’une cinquième) pour réglementer, en 2010, la distinction au rang de palace. La capitale compte à ce jour douze[2] des 31 heureux élus ayant satisfait à 234 critères de qualité, tels une histoire dense, une localisation agréable, un nombre minimal de clés pour un maximum de suites, un service personnalisé, l’excellence de la restauration ou encore une démarche environnementale optimale.

Destinés originellement à accueillir comme en leurs palais les membres de la haute noblesse européenne, mais aussi de grandes fortunes internationales, les palaces investirent d’abord de belles demeures, avant d’être construits sur mesure dans les plus beaux quartiers. D’où une image populaire d’autant plus surannée que s’y pratiquait un certain entre-soi ! Les temps ayant bien changé et le nombre de millionnaires ayant explosé partout sur la planète, leur clientèle s’est considérablement diversifiée et « peoplisée », ce qui a inévitablement redéfini les critères du luxe et les prestations attendues. Si les palaces demeurent des lieux exclusifs pour leurs hôtes, ils ouvrent dorénavant leurs portes à des clients extérieurs « journaliers », venant jouir de leurs aménités haut de gamme (bar, restaurants, spa…) et concourant ainsi à amortir le coût global de l’établissement.

Cheval Blanc attenant Balcon en demie lune d’une junior suite embrassant à 180° un panorama… époustouflant !

Une maîtrise d’œuvre étoffée

Dans l’attente d’être « adoubée » d’ici un an, la Maison Cheval Blanc a voulu se positionner comme le plus parisien des palaces du XXIe siècle. Pour ce faire, pas moins de quatre architectes ont œuvré. Le premier à titre posthume, Henri Sauvage — auteur de ces emblématiques façades Art déco à l’architecture plutôt « grasse » venues rhabiller le bâtiment provisoire de Frantz Jourdain et inachevées au nord.

Architecte en chef des Monuments historiques, Jean-François Lagneau a joué le rôle de gardien du temple et de bon génie sur l’ensemble de l’opération Samaritaine.

Édouard François a remporté en 2011 la consultation en disposant toutes les chambres et suites en périphérie et en implantant un roof-top avec terrasse-jardin au 7e étage, ouvert au public.

Agenceur émérite de nombreux flagships des maisons du groupe LVMH (Louis Vuitton, Dior…), l’Américain Peter Marino a pris la main sur tout l’aménagement intérieur.

Le majestueux escalier balancé permettant d’accéder à la fabuleuse piscine de l’hôtel et/ou au voluptueux Dior Spa

Un travail de titan

Le projet s’est écrit à la façon d’un palimpseste, ce qui reste désormais visible à l’œil n’étant qu’une infime partie de l’iceberg. Onze années furent nécessaires pour restructurer cet édifice de 40 m de hauteur, qui n’était plus aux normes du PLU, une restructuration limitant l’accès au public au-delà des 27 m. La Maison Édouard François a dû rendre compatibles les contraintes structurelles, architecturales, techniques et de sécurité, la séparation des circulations verticales (clients, public et personnel), l’externalisation des services (l’ensemble des locaux destinés aux 400 « ambassadeurs » — le personnel, occupant un immeuble voisin, accessible depuis les sous-sols).

L’établissement résultant est distribué ainsi : à l’arrière d’une marquise remaniée, un lobby sous double hauteur à rez-de-chaussée, encadré par le café Limbar et un restaurant, le gastronomique Plénitude, investissant le premier étage avec sa cave à vin et son fumoir. Desservi par un majestueux escalier balancé, le 1er sous-sol accueille la plus grande piscine hôtelière de Paris — 30 m2 léchés par cinq installations numériques de Thierry Dreyfus — que complètent une salle de fitness et le très spacieux Dior Spa Cheval Blanc, avec son salon d’accueil pourvu d’une cheminée.

Jouissant toutes d’une vue exceptionnelle sur Paris, ses monuments et ses toits, 60 chambres (de 45 m2 au minimum) et 10 suites d’angle ceinturent cinq étages (du 2e au 6e). Accessible aux clients extérieurs, le 7e étage offre deux restaurants — Le Tout-Paris et la Langosteria —, bénéficiant non seulement d’une terrasse, mais aussi d’un très vaste roof-top arboré (750 m2) développé tout autour de la grande verrière de Francis Jourdain. Les deux niveaux supérieurs abritent deux top-suites — dont « L’Appartement » en duplex de 1 000 m2, aux allures de nid d’aigle, avec plusieurs salons, une salle à manger, sept chambres, une piscine (12,5 m2), un espace bien-être, une salle de projection, une terrasse panoramique et un accès confidentiel ! Ils sont « auréolés » par une ultime terrasse plein ciel avec sa fameuse table d’orientation. Ces quatre derniers niveaux étaient dépourvus de façade septentrionale définitive en vue d’une extension (abandonnée). Édouard François y préconisa une paroi en pierre d’Anstrude à la modénature « inachevée » — presque aussi surprenante que la fabuleuse devanture haussmannienne en médaille du Fouquet’s — qu’animent par endroits d’immenses grilles en aluminium laqué vert Caucase.

 

Mais le décor de la partie émergée de l’iceberg n’a rien de glacial, ni d’ampoulé façon Starck au Royal Monceau ou au Meurice, ni d’historiciste, comme dans bien des palaces. Ici, c’est d’abord l’incroyable panorama urbain alentour qui prime. Certains seront peut-être dépassés par la diversité de matériaux d’exception, mais leur mise en œuvre parfaite rend hommage à l’artisanat d’art qui a fait depuis des siècles la renommée de la France, et dont Peter Marino renouvelle le style !

« Aujourd’hui, un palace ne peut plus se résumer à son lobby, fût-il magnifique, avec des chambres au-dessus. Un palace, c’est un lieu vertical ouvert sur la ville. On s’y promène, on s’y rencontre, on y vit.
Si vous n’aviez qu’une journée pour découvrir Paris, allez au Cheval Blanc : Paris s’y révélera sous toutes ses facettes. »

Édouard François

Fiche Technique

Maîtrise d’ouvrage : LVMH Cheval Blanc Paris
Maîtrise d’œuvre : Maison Édouard François, Laigneau Architectes (MH), Peter Marino (intérieur)
Paysagiste : Peter Wirtz
Concepteur lumière : Wonderfulight
Artiste lumières : Thierry Dreyfus
Artistes : Sonia Delaunay, Georges Mathieu, Philippe Anthonioz, Claude et François-Xavier Lalanne, Vik Muniz, Frank Gehry
BET : Le Sommer Environnement, Terell (façades), Peutz (acoustique)
Entreprise générale : Vinci Construction France
Menuiseries extérieures : Forster
Domotique : Henri
Métal tissé : Sophie Mallebranche
Bronze doré : Ingrid Donat, Laurence Montano

Texte Lionel Blaisse
Photo Alexandre Tabaste et Stephane Aboudaram | We are contents


[1]. Après Courchevel, Randheli (aux Maldives), Saint-Barth Isle de France, Saint-Tropez.

[2] Le Meurice (le plus ancien, 1835), Le Bristol, l’Hôtel de Crillon, Le George-V, Le Plaza Athénée, Le Park Hyatt-Vendôme, Le Royal Monceau, le Mandarin Oriental, le Peninsula, Le Shangri-La, La Réserve Paris et le Lutetia.

Retrouvez l’article dans Archistorm daté novembre – décembre sur D’un cheval blanc à l’Autre, La Maison Cheval Blanc Samaritaine, Paris