RÉALISATION

BOURSE DE COMMERCE – PINAULT COLLECTION, PARIS
TADAO ANDO ARCHITECT & ASSOCIATES (TAAA),
PIERRE-ANTOINE GATIER ET NEM / NINEY ET MARCA ARCHITECTES

En avril 2016, la Collection Pinault et la Ville de Paris annoncent leur intention d’installer un musée dans la Bourse de Commerce située en face des Halles rénovées par Patrick Berger. Le projet est confié à Tadao Ando en collaboration avec Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques de France, et NeM, une agence d’architecture dirigée par Lucie Niney et Thibault Marca. C’est la configuration de 1889 qui est privilégiée pour la restauration du bâtiment, tandis que pour son adaptation à l’usage moderne, Tadao Ando propose d’insérer un grand anneau en béton dans le vide central. Cette intervention fait écho à la présence des strates historiques intégrées à l’édifice et peut aussi être appréhendée séquentiellement, comme la dendrochronologie inversée d’un arbre. Entretien avec les protagonistes de l’un des plus importants chantiers parisiens de ces dernières années.

Entretien avec Tadao Ando

Votre proposition pour la Bourse de Commerce est tellement fascinante et semble intégrer vos principes et références architecturales si naturellement qu’on a l’impression que le cylindre s’est manifesté dès vos premières esquisses, et qu’il s’est ensuite développé de façon linéaire jusqu’au bâtiment final. Pourriez-vous nous éclairer sur le processus de conception ?
En collaboration avec M. Pinault, j’ai cherché à préserver et à revitaliser l’architecture historique de la structure tout en créant un espace entièrement inédit à l’intérieur de la Bourse de Commerce. Grâce à l’expérience et aux connaissances que j’ai acquises sur de précédents projets, je savais que le béton architectonique conviendrait bien à l’intérieur de cet édifice. À la Punta della Dogana, j’ai utilisé une intervention carrée, mais c’est un cylindre qui m’est venu à l’esprit pour s’adapter à la rotonde de la Bourse de Commerce. J’ai pensé que le béton, matériau représentatif du XXIe siècle, permettrait de créer un espace géométrique simple où l’on contemple les cent prochaines années au sein d’une structure plusieurs fois centenaire.

Le cylindre est un dispositif qui permet de contenir et d’exposer l’art, mais il sert aussi de lieu où les gens se rencontreront volontairement ou par hasard. Selon vous, comment cet espace sera-t-il perçu ?
Quand on expose des œuvres d’art à l’intérieur du cylindre, un dialogue se noue entre elles et le public. À l’extérieur du cylindre, la zone située entre le bâtiment existant et la nouvelle intervention crée un espace d’exposition inspirant où l’ancien et le nouveau se confrontent. Ainsi, l’environnement deviendra partie intégrante des œuvres exposées et de l’expérience du public. (…)

Les traits essentiels de l’architecture de la Bourse de Commerce composent une scénographie circulaire hypnotique, qui soustrait le visiteur à ses repères pour mieux l’inviter à entrer dans une nouvelle dimension

Question à Pierre-Antoine Gatier

La Bourse de Commerce est un millefeuille d’histoire. Comment avez-vous déterminé et hiérarchisé les strates à préserver et celles à restaurer ?
La Bourse de Commerce est un exemple exceptionnel d’une histoire de l’architecture et de ses usages en transformation permanente. En accompagnement d’ailleurs, des transformations de l’urbanisme des quartiers parisiens. Pour nous, toute cette histoire devait être conservée.
Malgré tout, il y a des jalons et des étapes fondamentales dans cette transformation.
En premier lieu, la période du xvie siècle dont est conservée la grande colonne Médicis. Puis la halle aux blés – cet édifice fascinant et radical de Le Camus de Mézières, construit en 1764 qui introduit le plan circulaire dans l’architecture à la française. Un geste unique.
Il y a ensuite le corollaire de ce projet, qui est la recherche constructive pour couvrir cette cour centrale et qui a généré la coupole en fonte de fer et fer forgé de François-Joseph Bélanger de 1810.  Et enfin, la recomposition en Bourse de Commerce par Henri Blondel en 1889.
Il y a sans aucun doute des éléments d’architecture qui s’imposaient à nous. Il ne serait pas juste que tout relève du choix ou de l’intuition personnelle. Certains éléments ont une telle force architecturale et une telle valeur patrimoniale que leur conservation était une nécessité. La colonne Médicis est la première structure architecturale à générer une mobilisation pour la conserver, dès le xviiie siècle. Elle est le symbole d’une aventure patrimoniale introduisant la modernité. Il existe aussi des protections des Monuments historiques. Ce sont des mesures réglementaires imposant la conservation de certaines parties du bâtiment, dont cette colonne et la coupole. Mais une telle protection est aussi un écho à une compréhension collective des valeurs architecturales. Ces objets disposent d’une aura mythique, il fallait les conserver. (…)

Question à Lucie Niney & Thibault Marca (NeM)

La circularité du bâtiment historique, la centralité du nouveau cylindre, l’espace sphérique sous la coupole — tout le projet semble évoluer de manière centrifuge autour de ces éléments. Dans quelle mesure ces attributs étaient-ils adaptés à l’emplacement du nouveau programme dans le bâtiment historique ? Lorsque je vous ai rencontrés sur le chantier en novembre, vous avez expliqué que la Bourse de Commerce consiste en fait en trois bâtiments.
Ce que nous voulions signifier, c’est que la Bourse de Commerce conserve les traces de trois bâtiments successifs. Nous avons dû ainsi composer avec les éléments architecturaux laissés par ces trois états majeurs du bâtiment que sont la colonne Médicis, vestige de l’Hôtel de Soissons, l’escalier à double révolution et la façade intérieure de la rotonde, vestige de la Halle au Blé, la coupole de verre et la bourse de commerce qui étaient parvenus jusqu’à nous.
En élévation comme en plan, l’édifice de la Bourse de Commerce est fait d’une succession de strates révélées par le travail de restauration qui nous a obligés à poser nos pas dans ceux de nos prédécesseurs et a doté de fondations solides le dialogue entre l’édifice historique et le projet contemporain.
Les qualités spatiales particulières du cercle ont été un atout pour le programme. Aujourd’hui, le cœur de la Bourse de Commerce, protégé par le cylindre, est le théâtre inédit d’une rencontre avec les œuvres, avec les artistes, avec le public. Les traits essentiels de son architecture, dôme de verre, cylindre ouvert, disque du promenoir, composent une scénographie circulaire hypnotique, qui soustrait le visiteur à ses repères pour mieux l’inviter à entrer dans une nouvelle dimension.

Fiche Technique

Maîtrise d’ouvrage Bourse de Commerce — Pinault Collection sous la responsabilité de Daniel Sancho

Maîtrise d’œuvre Tadao Ando Architect & Associates (TAAA) ; L’agence NeM / Niney et Marca Architectes ;L’agence Pierre-Antoine Gatier ;Setec Bâtiment
Entreprise générale Bouygues Construction
Entreprises Unibéton (fourniture), Bouygues (mise en œuvre), CCS (caissons métalliques), TRADIFER 77 (ferraillage), MS Dallage (réalisation du dais), Ateliers Perrault (enuiseries intérieures historiques en restauration, menuiseries intérieures neuves sur zone historique)

Interviews et textes Andreas Kofler
Photos Marc Domage, J’adore ce que vous faites, Patrick Tourneboeuf