L’EXEMPLE PAR LA MANIÈRE
Un canal. Ses eaux sombres sont à peine troublées par le va-et-vient de bateaux. Dans les reflets, quelques constructions nouvelles. Parmi elles, des Magasins Généraux transformés et des bureaux bizarrement traités. La commande était banale, probablement résumée en quelques milliers de mètres carrés, mais le résultat est étonnant. La curiosité peut-elle seulement satisfaire ? Elle se fait le moteur de l’investigation. Par-delà cette façade, un nom, Rudy Ricciotti. Un art, l’architecture. Et, par-dessus tout, « une manière ».

 

1. La mort
Il y a dans ce paysage postindustriel du nord de Paris quelque chose de mélancolique.
Une mélodie s’invite promptement à l’esprit, une danse macabre qui suggère le bruit des os ; Camille Saint-Saëns avait imaginé marteler les lames d’un xylophone pour représenter le son de ces squelettes qui s’amusent, dansent et s’entrechoquent durant la nuit. Aucune allitération littéraire n’arriverait à reproduire l’effet in fine musical.
Certains s’en ébahissent, en font la signature de projets aux lignes carcérales, faussement chiriquesques dans leurs jeux d’ombre et de lumière. Il n’y a là que le retour du refoulé, du rationnel monumental, mal dégrossi et nazillon. Le désir régressif de la régularité témoigne du cynisme d’une époque qui n’a plus qu’à copier/coller. Pieds et poings liés, les mains rivées au clavier avec pour seul horizon possible d’aller chatouiller la souris, la virevolte du curseur déroule les menus de logiciels astucieux et commande une architecture bêtifiante de scripts déjà établis. C’est là l’ironie de l’avilissement informatique, d’un siècle prétendu libre mais toujours en prise avec les puissances de l’argent.
Symbole des temps : l’architecture pour col blanc, mieux l’immeuble de bureaux en blanc. Le bâti se fait produit virginal. L’architecture « tertiaire » ne se repaît jamais des pleins et des vides mais ne cherche que le remplissage pour éviter toute vacance. Elle ne rêve de plus que de déguisement institutionnel, de murs rideaux, robe d’huile qui aurait oublié ses gants.
Le bureau, déshabillable d’une saison à l’autre, tous les dix ans, n’est, en fin de compte, une fois la chair de ses façades dévorée, qu’un bâtiment trognon. L’architecture laborieuse devient donc la lutte curieuse des corps désirables et des structures humiliées. Belle France et France moche rivalisent dans l’anonymat de ces constructions contemporaines que l’on défait pour refaire. « On pratique le langage architectural à l’image de l’anglais touristique ou de DJ autistes et nourris de copie, sans gêne ni remords », affirme Rudy Ricciotti. La flambée contestatrice allumée par la consternation incite l’architecte, dans ces circonstances, à se dire volontiers « maniériste »… mais « je ne sais pas si ce mot est audible », dit-il.

 

2. La manière
L’adage dissocie l’art et la manière. L’histoire mêle l’art et la manière. La critique ose faire de la manière un art. Il faudrait pour comprendre le maniérisme convoquer Vasari et, pourquoi pas, Pontormo, ce peintre malade, « ce cerveau bizarre », cet homme insatisfait. « Avec son instabilité mentale toujours à la recherche de solutions tarabiscotées […]. Il est manifeste que l’esprit de Jacopo [da Pontormo]vétait sans cesse à la recherche de nouveaux concepts et de solutions inédites »,vnote l’auteur des célèbres Vies. (…)

« Kanal devient la référence post-Covid d’un immeuble de bureaux confortable, moderne, esthétique et durable, qui a l’ambition de devenir un lieu d’échanges animé par des services empruntés aux codes de l’hôtellerie, et qui se différencie de la concurrence en apportant une expérience inédite grâce à son emplacement exceptionnel et apaisant face au canal de l’Ourcq. »
Jean-Charles Decaux, directeur Général de JC Decaux Holding

« PRD Office et la Holding Decaux tenaient à réaliser un investissement financier qui soit, par la même occasion, un investissement patrimonial. La qualité était donc un enjeu de taille et ils sont venus me chercher pour cela. La ville était, elle aussi, trés engagée, soucieuse de l’opération et de son exécution fidèle. »
Rudy Ricciotti, architecte

Mes équipes et moi-même sommes fiers d’avoir bâti dans le paysage urbain de la ville de Pantin ce projet. Ce bâtiment atypique s’inscrit dans un quartier en plein développement, a été imaginé par un architecte de renom et a été réalisé pour l’un de nos clients privilégiés. »
Sébastien Dias, responsable Travaux, Bouygues Bäiment Île-de-France Construction Privée

 

Fiche Technique

MAÎTRISE D’OUVRAGE PRIVÉE :
Investisseur : JCDecaux Holding,
Promoteur : PRD Office, AMO Promoteur : Theop
ENTREPRISE GÉNÉRALE : Bouygues Bâtiment Ile-de-France – Construction Privée, Bouygues énergies & services
ARCHITECTE : Rudy Ricciotti
BUREAUX D’ÉTUDES TECHNIQUES : Bérim (maître d’oeuvre d’exécution, VRD), Lamoureux & Ricciotti ingénierie (structure), Façades Design (façade), CEE (économie), WSP (fluides, ascenseurs), Rocsol (géotechnique), Spooms (cuisine), Impact Acoustic (acoustique), Parcs et Jardins Méditerranéens (paysage), Burgeap (dépollution), Edyfis (SSI), LM3C (SPS), Veritas (bureau de contrôle), AMO environnement : Agi2d
PROGRAMME : Construction neuve d’un immeuble tertiaire comprenant des bureaux, un accueil et une offre de restauration ainsi que divers services aux niveaux RDC et roof top de l’immeuble, des locaux techniques et un parking souterrain de 114 places de parking véhicules, 250 places vélo en RDC
SURFACE : 20 665 m²
CALENDRIER : Commande directe juin 2015, démarrage chantier mai 2019, livraison mai 2021, inauguration le 14 septembre 2021
PERFORMANCES ENVIRONNEMENTALES : Certifications HQE Excellent, BREEAM Very Good, E+C niveau E2C1, Effinergie +, OsmoZ, WiredScore Gold

Texte Jean-Philippe Hugron
Photos Mateya Lux