L’architecture d’origine : Jourdain dans le Paris haussmannien et les grands magasins

Principal artisan de la transformation de l’urbanisme parisien, le baron Haussmann a surtout oeuvré dans le quartier de l’Opéra. C’est l’époque où est construit l’opéra Garnier, le Grand Hôtel, le café de la paix… Ce périmètre symbole du second Empire devient alors prisé des Parisiens aisés et des touristes fortunés de passage qui baguenaudent sur ces trottoirs fraichement construits… C’est aussi l’époque de l’essor des grands magasins réalisés par les grands architectes de l’époque, qui signent le visage d’un Paris en pleine modernisation. Parmi les entrepreneurs audacieux, Ernest Cognacq et son épouse Marie-Louise Jaÿ, un couple d’origine modeste qui fera fortune dans la confection. En mai 1883, Ernest Cognacq fait la connaissance de l’architecte belge Frantz Jourdain (1847-1935), l’un des promoteurs de l’Art nouveau et de l’architecture du fer en France. Ernest Cognac lui confie la réalisation de « La Samaritaine de luxe » qui sera située 25, boulevard des Capucines. Il dessine en façade des motifs floraux propres à l’Art Nouveau auxquels des matériaux plus nobles viennent s’ajouter. Des balcons aux ferronneries raffinées peintes en bleu turquoise s’accordent également avec les bandeaux horizontaux de même couleur qui marquent chaque étage. De beaux volumes sont largement ouverts grâce à l’usage de grandes baies vitrées donnant sur le boulevard des Capucines. Au rez-de-chaussée, un remarquable escalier Art nouveau se déploie sur plusieurs volées et incorpore les ascenseurs dans sa structure.

A tel point que cet immeuble Art nouveau comprend plusieurs éléments architecturaux remarquables (la façade, la toiture et l’escalier intérieur avec sa rampe, ainsi que l’ascenseur) qui seront inscrits à l’inventaire des monuments historiques en décembre 1981.

L’objet : la parole à l’architecte

En 2012 l’architecte parisien Frédéric Bourstin reçoit un message de Vinci Immobilier lui proposant d’étudier la faisabilité de cet ensemble composite d’immeubles du boulevard des Capucines, dans le quartier de l’Opéra.

L’agence est très habile dans les dossiers de restructurations lourdes, notamment des réhabilitations d’immeubles haussmanniens et des bâtiments inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. « Nous faisons beaucoup de réhabilitations, nous connaissons bien la règlementation et sommes rompus aux difficultés et à la complexité de ce type d’opération. Ce qui en fait le sel c’est cette hétérogénéité que nous allons devoir intégrer et face à laquelle nous proposons une compréhension globale », explique l’architecte.

Parmi ses références, la restructuration du micro-quartier Beaupassage au coeur du 7e arrondissement de Paris.

Immédiatement l’architecte se pose une question qui sera le fil rouge du chantier de restructuration « Quel est le meilleur moyen de redonner un sens à ce bâtiment hétérogène ».

Ils se sont notamment basés sur les éléments protégés pour dessiner l’hôtel : les deux escaliers monumentaux et les ascenseurs (désactivés) du magasin d’époque et le travail des garde-corps d’origine pour pouvoir jouir de la vision sur l’escalier qui se déploie jusqu’au 7e étage… ».

Le cabinet doit réfléchir à une articulation, ôter certains volumes parasites, redonner une unité, travailler les circulations en créant des ascenseurs à double service (double entrée car les sols des immeubles des deux côtés de l’ascenseur ne sont pas à la même hauteur), imaginer des marches spécifiques pour les poussettes, les fauteuils roulants, les chariots des équipes de nettoyage… Il a aussi fallu aérer le lieu en dessinant un lobby ouvert sur le restaurant et la cour mais aussi travailler le réemploi des espaces en cloisonnant par endroits…

Parmi les nouvelles fonctions, un restaurant imaginé en rez-de-chaussée en cœur de l’îlot sur lequel donnent les chambres, qui jouissent d’une vue typiquement parisienne sur la cour et un mur végétalisé. Les façades contemporaines en pierre avec des huisseries en aluminium anodisé or dialoguent avec les façades d’époque, abimées par le temps, qui ont été rénovées avec un travail d’enduit de plâtre et chaux. « Chaque immeuble conserve sa signature tout en redonnant une unité à l’ensemble par le soin apporté aux détails ».

Ancien grand magasin, l’adresse dispose d’une immense vitrine avec laquelle il a fallu composer. Ils ont transformé ce visage ouvert sur la ville en la dotant d’une grille monumentale ornée d’éclats de laiton dont le motif géométrique s’inspire des années 30 parisiennes. Un graphisme que l’on retrouve sur les garde-corps des escaliers et en sérigraphie sur d’autres détails de l’établissement.

Pour effectuer ce chantier et remettre en valeur ce lieu, Frederic Bourstin s’est appuyé sur un cahier des charges patrimonial élaboré par Michel Jantzen, architecte en Chef des Monuments Historiques honoraire.

Le principal défi a résidé dans le dessin des chambres, pour s’inscrire dans les lieux, les 149 arborent toutes des formes différentes avec plusieurs hauteurs de plafonds du fait de la géométrie des lieux…

Pour conserver les volumes globaux tout en offrant une nouvelle identité au bâtiment, Frédéric Bourstin s’appuie sur une large palette d’outils numériques adaptés à chaque phase de projet. Maquette numérique, réalité virtuelle immersive, images de synthèse temps réel, impression HD photo… Son équipe de spécialistes a ainsi modélisé l’ensemble du bâtiment en 3D BIM pour dessiner cet établissement contemporain, mais chargé d’histoire…

Le Saint Honoré, un projet unique

« Nous accompagnons le propriétaire des murs dans toutes les dimensions de son projet de réhabilitation : études de marché, études architecturales et techniques, établissement du budget, ainsi que dans les domaines administratif et fiscal », explique Agnès Perrin, en charge du projet chez Vinci Immobilier. Le propriétaire peut ainsi comparer les différentes approches et en déduit des projections financières sur le long terme. Cet immeuble se prêtait aussi bien à des bureaux puisque ce quartier est celui des sièges de banques au pied de l’Opéra Garnier mais aussi celui d’un certain luxe à la française avec la présence toute proche des palaces.

Mais dès le début l’idée est de redonner à ce bâtiment ses lettres de noblesse et c’est finalement le choix de l’établissement hôtelier qui est retenu.

C’est alors que l’exploitant a été retenu, en l’occurence Kimpton, une chaine américaine présente dans le monde entier, fondée en 1981 à San Francisco par Bill Kimpton, qui développe tout récemment en Europe des établissements uniques et design dans les villes capitales.

Le choix des décorateurs devait accompagner cet esprit novateur. « Nous avons attribué à différents décorateurs des espaces distinct pour créer de l’événement et prodiguer plusieurs ambiances. C’est ainsi que nous avons retenu Charles Zana pour les chambres et le majestueux volume d’accueil. Il a imaginé une décoration intérieure, à la fois élégante et chaleureuse fidèle à l’esprit parisien. Ensuite nous avons retenu l’agence Saguez pour le business center, le spa, l’espace fitness, la piscine et l’espace évènementiel. Enfin, après avoir réfléchi au concept culinaire, le restaurant a été dessiné par le duo Humbert & Poyet. »

« Nous sommes dans de la haute-couture. A chaque instant, nous allons ajuster la robe sur le modèle pour apporter un effet de beauté et d’évidence. Nous avons sans cesse amélioré les choses en cours de route, la position d’une prise, le détail d’une grille de soufflage… « , explique Charles Zana. L’autre gageure c’était de faire la synthèse entre l’esthétique, le fonctionnel et le règlementaire, c’est ainsi que Michel Jantzen, architecte honoraire des monuments historiques, a collaboré avec les différents services du ministère de la culture qui ont émis des prescriptions et ont suivi attentivement ce chantier exemplaire en mettant en valeur les ascenseurs en bois et les escaliers des ancienne Samaritaine de Luxe…

Ce bâtiment statutaire se fait remarquer dès l’extérieur grâce à sa façade spectaculaire dont Michel Jantzen a du ausculter chaque détail «La façade est scandée par des palmiers en cuivre rouge qui s’épanouissent sous les balcons avec des jeux d’encorbellement, enrichis en partie haute de stuc et de mosaïque, étaient confrontés aux mêmes problèmes que les escaliers. Ils étaient altérés et il a donc fallu les reprendre. Il a également fallu créer intégralement la métamorphose de la partie basse qui était inadaptée au programme d’un hôtel. », analyse l’architecte. (…)

Fiche technique :

Maître d’ouvrage : AXA IM Alts
Maître D’ouvrage Délégué : VINCI Immobilier promotion
Opérateur hôtelier : IHG sous l’enseigne KIMPTON
maître d’oeuvre de conception : B&B Architectes
conseil maître d’ouvrage : B&B ARCHITECTES POUR LES
parties inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques : Michel Jantzen
programme : hôtel 5* de 149 chambres, restaurant avec patio intérieur, rooftop paysager, business center, SPA avec bassin de nage, espace événementiel, parking
partenaires / equipe : études historiques : Grahal, maître d’oeuvre d’exécution : SFICA, coordinateur des études économiste : EDEIS (SNC LAVALIN), architecte d’intérieur hôtellerie : Charles Zana, architecte d’intérieur espace événementiel, SPA et business center : Saguez & Partners, architecte d’intérieur restaurant : Humbert & Poyet,  paysagiste : Land’Act, conseil en hôtellerie : ACPH, conseil spa : DEEP NATURE, conseil en sécurité incendie : CSD & associés, conseil en sécurité publique : CSD & associés, coordinateur SSI : Batiss, bureau de contrôle : Socotec, coordinateur SPS : Socotec, géomètre : Forest et associés, AMO BIM : Sightline Group, BET environnemental : Etamine, BET acousitque : Lasa, BET structure : 7 Concept, BET fluides : Igrec ingénierie, BET façades : Upsos, BET cuisine : HACS, BET audiovisuel : LMI audiovisuel, éclairagiste façades :ON, éclairagiste hôtellerie : Douet Design, éclairagiste espace événementiel, SPA et business center : Voyons voir, Coordonnateur FF&E : Dynamo,
Entreprise générale : PradeauMorin
Etudes / permis de construire : 2012-2018
Chantier : 2018-2021
Suface plancher : 12 000 m²

Texte Marie Godfrain
Photos Laurent Desmoulins, Jérôme Galland, Thomas Déron & D.R.

— retrouvez la réalisation sur le Kimpton Saint-Honoré à Paris, dans Archistorm 114 daté mai – juin 2022