Cité cheminote et industrielle du département du Nord, Aulnoye-Aymeries s’avance également en ville musicale. Ceci, grâce à son festival Les Nuits Secrètes, qui s’est forgé au fil des ans une solide réputation, et à une structure d’envergure : le Pôle des Cultures Actuelles, à destination des musiciens mais aussi des habitants. Une réalisation architecturale remarquable sise sur une friche industrielle où se dressa, jusqu’en 2011, une usine de production de bombes. À la barre de ce projet, l’architecte Rudy Ricciotti (le Mucem de Marseille, le département des Arts de l’Islam du musée du Louvre, la Manufacture de la mode Chanel…) est parvenu à honorer le passé industriel du site, tout en imaginant un outil ultra-fonctionnel, aux performances acoustiques exceptionnelles et aux atours très modernes. Let’s rock !

L’ambition architecturale

Impressionnant ensemble que ce Pôle des Cultures Actuelles, qui fait figure d’espace multifonctionnel : il se veut à la fois centre culturel, de formation, d’apprentissage et de divertissement. À l’ancienne halle industrielle restructurée de la SAMP (Société des ateliers mécaniques de Pont-sur-Sambre), s’ajoutent plus de 4 000 m2 de constructions neuves. Le bâtiment A intègre une salle de spectacles modulable de 1 300 places debout, avec accès VIP et PMR, coulisses, espaces techniques et plusieurs quais de déchargement à l’arrière, ainsi qu’un espace club de 1 100 places. L’étage déploie des loges, une résidence d’artistes dotée de cinq chambres, ainsi que des bureaux administratifs. Le bâtiment B, lui, héberge un grand studio d’enregistrement aux côtés de ses annexes (loge, régie…), ainsi que six studios de répétition.

Tout cela, donc, en brassant neuf et ancien, afin de rendre hommage au passé industriel du lieu. « Le nouveau bâtiment est venu s’adapter au site, la mémoire est préservée », explique Emmanuel Marin. « Il importait de ne pas voir un bâtiment venir juste se poser là. » À cet effet, l’élégante structure métallique de type Eiffel qu’intégrait déjà l’usine originelle a été conservée. Mieux, elle a été mise en valeur. 7 000 m2 de couverture et bardage s’appuient désormais sur elle. Construire la ville sur la ville, donc, pour préserver la mémoire des racines ouvrières d’Aulnoye-Aymeries, mais aussi éviter l’étalement urbain et limiter l’impact sur l’environnement immédiat. « Une partie du foncier alentour est destinée, à moyen ou long terme, à la construction d’habitations », indique Emmanuel Marin. « Il n’était donc pas envisageable d’empiéter dessus ». Pas question, pour autant, de produire un ensemble ramassé sur lui-même au sein de sa parcelle, comme l’explique Christophe Kayser : « Le terrain est vraiment vaste, nous aurions pu caler les bâtiments dans un coin, mais ça n’était pas la volonté : nous nous sommes étendus le plus possible au sein du site du Pôle des Cultures Actuelles, pour ne pas produire un bâtiment compact mais plutôt de plain-pied, bien qu’il demeure assez haut. La raison ? Le bâti alentour est constitué de petites maisons, et il fallait nous intégrer au mieux à cet environnement, respecter leur hauteur d’un étage. Sans compter que moins on fait monter les gens sur plusieurs niveaux, plus un bâtiment fonctionne ! Il y avait aussi certains impératifs à prendre en compte : les espaces de stockage, par exemple, qui doivent se trouver en rez-de-chaussée, les contraintes d’accessibilité pour les personnes handicapées, d’évacuation du public… Attention, il ne s’agissait pas non plus de produire une nappe de bâtiments à un seul niveau, avec uniquement la grande salle qui ressortirait de ce paysage en culminant à quinze mètres ! L’idée était d’aller crescendo autour de cette grande salle, de réduire progressivement la hauteur autour d’elle : deux étages, puis un seul, puis un rez-de-chaussée… »

En y regardant de plus près, ce Pôle des Cultures Actuelles fait finalement songer à un village dans le village avec ses compartiments plus ou moins grands, en forme de petites boîtes thématiques, comme autant de petites maisons que l’on croirait disposées autour de ruelles ondulantes. « Le bâtiment étant très long, il apparaissait important de ne pas avoir une façade continue, rectiligne, sur toute la longueur », affirme Christophe Kayser. « Le fait d’avoir des arêtes, des orientations différentes de façade, contribue à la puissance de ce bâtiment. » Pour sillonner cet ensemble, le visiteur emprunte un long chemin qui constitue le lien entre tous ces compartiments. « Il s’agit un peu d’une colonne vertébrale desservant toutes les entités. Parfois, elle chemine en extérieur, sur d’autres portions, elle est couverte… » De quoi inviter à la déambulation dans ce qui constitue, au final, un grand lieu de vie !

Une couverture imaginée comme un phare

À travers la fenêtre du train arrivant de Paris, l’impression est saisissante : le Pôle des Cultures Actuelles d’Aulnoye-Aymeries fait songer à un phare, avec sa toiture rouge qui chapeaute une partie de l’ensemble et l’identifie très clairement. « Ce bâtiment sera souvent utilisé la nuit et il se trouve que le rendu, la perception, à ce moment, sont très efficaces », analyse Christophe Kayser. « Toutes ces fenêtres qui s’illuminent font songer à autant de petits lampions, et cela fonctionne d’autant mieux sur fond noir. Avec en renfort, donc, cette toiture aux airs de grosse lanterne rouge. » Il aura fallu compter, pour bâtir cette dernière, sur la dextérité et le savoir-faire des couvreurs de l’entreprise Ramery, spécialiste de l’enveloppe du bâtiment et chargée ici de la couverture, ainsi que du bardage. Les ouvriers ont officié à douze mètres de hauteur, en parfaite coordination avec le bureau d’études, chargé d’optimiser le calepinage au moyen de mesures extrêmement précises.

« Au-delà de sa fonction signalétique, la toiture porte toute une dimension symbolique », ajoute Emmanuel Marin. « Sa couleur rouge évoque le feu et renvoie ainsi au passé sidérurgique du territoire, tout en rappelant aussi l’énergie de la musique, du rock’n roll, cette atmosphère quelque peu sauvage qui peut émaner d’une salle de concert. » Clin d’oeil, également, à la mairie d’obédience communiste ? L’idée a certainement traversé l’esprit crépitant de Rudy Ricciotti. « Je ne sais pas s’il est très communiste, mais ce qui est certain, c’est qu’il a une accointance avec les personnes qui se battent pour le peuple », glisse dans un sourire Christophe Kayser.

Pour faire rougeoyer la fameuse toiture, l’architecte varois, plutôt partisan du made in France, a cette fois opté pour du polycarbonate, produit à Kaysersberg en Alsace. « L’idée était de couvrir sans rendre opaque, de donner à voir le ciel », ajoute Christophe Kayser. « C’est pour cela que nous avons utilisé un bardage translucide, plutôt que métallique. Cela permet l’éclairement, avec plusieurs milliers de mètres carrés de toiture qui laissent passer le soleil. Quand on est dessous en pleine journée, l’effet est vraiment étonnant ! Tout devient rouge, y compris les humains. Cela n’a cependant rien de perturbant, l’oeil s’y habitue très vite. »

La halle couverte fera le bonheur du festival Les Nuits Secrètes, qui pourra voir 8 800 personnes abritées sous cette dernière. Bonne nouvelle pour ces mélomanes, le polycarbonate a la faculté de ne pas réverbérer le son outre mesure. Et s’il laisse passer la lumière, il se montre beaucoup moins poreux avec la chaleur. Les habitants alentour, eux, seront épargnés par les nuisances sonores grâce aux petites retombées en tympan courant autour de la structure, qui permettent de contenir le son.

Côté esthétique, l’accord de couleurs rouge/noir fonctionne à plein, à l’image de ce que Rudy Ricciotti avait déjà réalisé pour le Stadium de Vitrolles, lorsqu’il avait utilisé du béton brut noir sur un fond de terre de bauxite rouge.

© Stephen Dock

Une charpente métallique de type Eiffel réservée et magnifiée

Avant le début de la construction du Pôle des Cultures Actuelles, le diagnostic se révèle rassurant : la charpente est en bonne forme, aucune restauration à effectuer, il s’agira simplement de la repeindre entièrement. La difficulté, sur le chantier, ne viendra donc pas de l’état de cette splendide dentelle, qui confine à l’ouvrage d’art, mais du fait de travailler à travers elle lorsqu’il s’agira de construire le bâtiment. « Les grutiers ont réalisé des prouesses ! », reconnaît Christophe Kayser. « Ils ont dû jongler pour faire passer les éléments, parfois importants, au droit de la charpente existante ». En amont de cela (précisément, deux ans avant le début du chantier), ladite charpente a été couverte, afin d’offrir une halle au festival Les Nuits Secrètes. « Elle fait valoir une rigidité folle, avec sa structure orthonormée ultra-tramée », indique Christophe Kayser. « Il n’y a rien de travers ! Le bâtiment neuf vient se faufiler tel un serpent au milieu des poteaux qui la supportent, certains tombant même au milieu de ce dernier. Il s’insère donc au plus proche. » De quoi permettre au présent d’épouser parfaitement le passé.

Visuellement, la charpente apparaît, en fin de compte, comme une ossature majestueuse et verticale. « Elle vient dialoguer avec le bâtiment », analyse Christophe Kayser. « Quand on regarde ce dernier, il n’y a pas d’angle droit. Tout est désaxé, tout danse. Le contraste entre la charpente très rectiligne qui chapeaute le bâtiment et puis, tout autour, ces petites boîtes, ces petits modules déhanchés les uns par rapport aux autres, nous semblait intéressant. Leur côté louvoyant, ondulant, renforce l’idée de hauteur, de majestuosité, de la charpente. »

Autre élément de contraste, l’apparente fragilité de la charpente, dont la finesse répond à la massivité du bâtiment principal. Concernant ce dernier, l’idée n’était pas ici de verser dans le transparent, dans le léger, mais plutôt de produire du monolithique. Finalement, ce bâtiment sert de fond à la charpente, comme une dentelle derrière laquelle on viendrait mettre un rideau de scène, pour la rendre encore plus forte. « Il y a deux écritures chez Rudy, dont parfois le brutalisme, qui consiste en partie à ne pas chercher à faire compliqué quand on peut faire les choses simples, et puis aussi, un peu de romantisme, de maniérisme », décrypte Christophe Kayser. « À l’image de son personnage, au final ! Une coiffure un peu ébouriffée, sur un bonhomme assez costaud. Malgré le fait que ce soit un vrai Méditerranéen, il revendique ce côté délicat de la féminité. Ce que j’appelle “une brute maniériste”. Il vaut mieux conjuguer les deux, plutôt qu’être uniquement maniériste ou uniquement brute. »

Au niveau du grand parvis ouvrant directement sur la grande salle se trouve un autre morceau de charpente, qui s’étire en longueur et se trouvait quelque peu isolé. « Nous avons fait en sorte que la grande salle, et donc le grand mur, se trouvent à l’arrière de cette portion de charpente, afin de lui donner un fond », affirme Christophe Kayser. « À l’inverse, cette charpente vient apporter de la texture, du relief au bâtiment. Cela crée une modénature intéressante et évite que la grande salle ne ressemble qu’à une grande boîte opaque (ndlr : fonction principale oblige, elle comporte peu de fenêtres). »

Extraits d’interview
Christophe Kayser, chef de projet, agence Rudy Ricciotti

Pourquoi avoir choisi de conserver la structure existante pour ce projet architectural ?

L’appel d’offres n’enjoignait pas à conserver tout ou partie de la structure existante, c’est de notre fait. Nous adoptons souvent cette posture à l’agence, aussi bien sur des projets de petite envergure que sur des projets prestigieux tels que le département des Arts de l’Islam du musée du Louvre. Il y a 21 ans nous transformions les Grands Moulins de Paris pour en faire la bibliothèque centrale de l’Université Denis Diderot alors même que la démolition de cet ouvrage datant du début du XXe siècle était programmée. La démonstration qu’un patrimoine de 100 ans conservait (dans un budget très modeste) une générosité fonctionnelle était faite. De manière générale, lorsque l’on nous demande de démolir, même si cette stratégie est moins prisée qu’il y a une dizaine d’années, nous proposons systématiquement de conserver.

À Aulnoye-Aymeries, on nous disait : « Vous avez la possibilité de démolir l’ancien site ». On a décidé de conserver la charpente existante, même si l’ensemble de cette dernière n’a pas été converti en halle. Au-delà de préserver la mémoire des lieux, enjeu majeur d’une époque en perte de mémoire, ce positionnement a le mérite de la réutilisation de matière première au lieu de la détruire, et de limiter les coûts, liés notamment à la destruction. Ce qui n’était pas négligeable ici, considérant le budget limité.

 

Texte : Thomas le Gourrierec
Visuel à la une : © Stephen Dock

— retrouvez l’article sur le Pôle de Cultures Actuelles, Aulnoye-Aymeries, Rudy Ricciotti Architecte dans Archistorm 121 daté juillet – août 2023 !