DOSSIER SOCIÉTAL

#RESTEZCHEZVOUS !?

Maintenir une activité d’agence en période de coronavirus, telle est la gageure à laquelle se sont trouvés confrontés les architectes. La résilience des créateurs ne s’est toujours pas tarie alors que l’invasion de l’activité professionnelle dans la sphère de l’habitat a eu un effet révélateur sur l’état du logement en France, en particulier dans les grandes villes. Toute la chaîne du logement est à réenvisager.

« Nous sommes en guerre. » La métaphore utilisée par le président de la République, Emmanuel Macron, lors de son discours du lundi 16 mars 2020 par lequel il déclarait l’urgence sanitaire face au virus de la Covid-19 a fait l’effet d’un véritable scud.

Branle-bas de combat, les agences d’architecture se sont organisées pour continuer à mener à bien en télétravail les études, appels d’offres et concours, tandis que l’activité des chantiers s’arrêtait quasi net. En 48 heures, l’ensemble de la profession a basculé dans la création à distance, une condition pour le moins déstabilisante, car associée à l’obligation de confinement. Peu portés sur le télétravail — qui suscite encore, d’une manière générale dans le secteur tertiaire, une grande méfiance — les membres des équipes autrefois réunis sur de vastes plateaux en ébullition se sont, de fait, trouvé disséminés, chacun dans son univers domestique. Ironie du sort, alors que les space designers étaient amenés, avant l’apparition du virus, à réfléchir sur des aménagements de bureaux à l’atmosphère « comme à la maison », c’est le bureau qui, finalement, aura envahi la sphère du privé, à la manière d’un tsunami.

Logements, Paris, architectes Brenac & Gonzalez & Associés, 2006 © Stefan Tuchila

Autocréatif

Dès lors, maintenir un minimum d’activités à distance et par visioconférence fut le nouveau challenge à relever. Parmi les architectes, certains eurent besoin de se rassurer et d’annoncer à la collégiale, via une newsletter, que leur travail continuait malgré le confinement. Il en allait de l’image de probité de l’agence. Quelques-uns osaient fanfaronner : « Cela marche très bien, chez nous. » Il est pourtant notoire qu’il n’a pas été simple de maîtriser au débotté l’usage d’une technologie considérablement amplifiée par cette période sans précédent, sans compter qu’il a fallu investir en machines et en logiciels pour équiper les collaborateurs confinés. Dès lors, de Skype à Zoom en passant par WeChat, Teams, Dropbox ou WhatsApp, chacun a jonglé pour continuer à coopérer et à accéder à la banque de données de l’agence. Aux architectes, acteurs principaux de la mise en scène, de centraliser l’information. Et ils sont quasi unanimes : « Travailler en cette période de pandémie, c’est plus lent et plus cher », il est contraignant de « faire le lien avec tout le monde ». Assurer le pont aérien entre les interlocuteurs, tel est ainsi l’un des nouveaux rôles de l’homme-orchestre. Sur ce point, les petites agences ont moins souffert.

Quoi qu’il en soit, la situation n’a pas été sans soulever de nombreux paradoxes : fini, les séances de brainstorming, les conseils échangés au-dessus d’une table ! Il s’agissait désormais d’être créatif en solo, alors que la profession relève par essence d’un travail d’équipe. Sheela Søgaard, architecte partenaire de l’agence danoise BIG, imagine que la situation générera de nouvelles façons de travailler. Dans une interview publiée sur le site anglais Dezeen, elle déclare : « Nous sommes en train d’apprendre de nouvelles manières de diriger qui dépendent de la capacité à répartir efficacement les missions entre les différents membres de l’équipe, et nous nous reposons sur les rendus qu’ils réalisent avec beaucoup moins d’accompagnement et de supervision qu’habituellement. » Et de poursuivre : « Nous abordons cette situation comme une opportunité de développement, tant pour la direction que pour l’équipe. » Avec une direction composée de pas moins de 17 partenaires, 26 associés et 15 directeurs, répartis dans quatre agences situées à Copenhague, New York, Londres et Barcelone, un tel blockbuster de l’architecture est bien entendu rompu à l’exercice des échanges par visioconférence ; de là à en faire une chance de développement, Sheela Søgaard se montre peut-être bien optimiste…

Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Logements, Romainville, architectes Brenac & Gonzalez & Associés, 2017 © Sergio Grazia

Retrouvez l’intégralité du dossier sociétal dans le daté Juillet – Aout d’Archistorm