RÉALISATION

B. ARCHITECTURE

 

Les Échos et Le Parisien, propriétés de LVMH, ont emménagé cet automne dans des locaux fraîchement réhabilités. Leurs rédactions partagent les douze premiers étages de l’immeuble de bureaux, partiellement IGH, conçu au début des années 1960 par Pierre Dufau, dans le quinzième arrondissement de Paris. Une situation moins neutre qu’il n’y paraît…

 

Du sombre au secret… En juillet 1942, le Vel’ d’Hiv’ fut le théâtre de la plus grande arrestation de juifs perpétrée en France durant la Seconde Guerre mondiale : une « rafle » de 13 000 personnes, avec la complicité de la police française, qui n’a laissé aucune trace dans le paysage parisien, puisque l’enceinte sportive fut entièrement rasée en 1959. Effaçant la mémoire physique du lieu, l’architecte Pierre Dufau édifia un vaste ensemble de logements, tiré au cordeau, et quelques 30 000 m2 de bureaux, occupés à partir des années 1980 par la… DGSE. Seule une modeste plaque commémorative, dressée sur le boulevard de Grenelle, rappelait le drame de l’occupation et de la collaboration.

 

En 2011, le groupe AG2R La Mondiale profite du déménagement programmé des services de renseignements extérieurs et de contre-espionnage français pour lancer la réhabilitation de l’immeuble tertiaire dont il est propriétaire. L’agence B. Architecture, héritière de Braun & Associés, remporte le concours de maîtrise d’œuvre, face à des poids lourds de l’architecture française (Odile Decq, Hubert & Roy, Arte Charpentier et Franck Hammoutène). Objectif : repenser de fond en comble l’image et le confort du bâtiment, ses locaux vieillis par trente années d’usage. Bref, passer de la culture du secret à des bureaux accueillants et bien équipés.

 

Force est de constater que le grand mérite de B. Architecture fut de fluidifier les parcours et d’ouvrir l’immeuble de Pierre Dufau sur la ville en en changeant l’adresse. Exit l’entrée confidentielle dans l’ombre de la rue Nelaton dont, par nature, la DGSE pouvait se contenter. L’accès au bâtiment se fait désormais par le 10 boulevard de Grenelle, face à la station aérienne de métro Bir Hakeim – le nom de la bataille libyenne de juin 1942, durant laquelle 3 700 combattants de la France libre ont repoussé les armées allemandes et italiennes !

 

Le reste du projet découle naturellement de cette inversion de l’entrée principale. L’agence d’architecture parisienne a fait démolir le socle de parking pour y aménager un parvis en pente douce depuis la voie publique. À la place d’un édicule disgracieux, elle a imaginé un pavillon d’accueil en verre et Corten – sorte de pôle multiservice doté de salles de réunion – qui dessert les deux noyaux du bâtiment, le bar bio et le restaurant d’entreprise (organisé autour de patios et prolongé par une terrasse en cour anglaise sur la rue Nelaton). Au sous-sol, le second niveau de parking a perdu, lui aussi, la plupart de ses places de stationnement au profit de l’auditorium et de 200 emplacements pour les vélos.

 

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » La loi de conservation de la matière d’Antoine Lavoisier trouve un prolongement singulier dans l’opération du « 10 Grenelle », pour laquelle les zones vierges de la parcelle devaient rester non aedificandi – tous les immeubles de logements et de bureaux de Dufau sont en copropriété ! Épaulée par Aliuta (AMO), B. Architecture a dû convaincre près de 400 copropriétaires, principalement des particuliers, du bien-fondé de son projet. La mise aux normes thermiques des façades illustre parfaitement la difficulté de l’exercice. L’isolation extérieure, placée peu ou prou dans l’espace libéré par la dépose des revêtements en pierre, a dû être doublée d’une isolation intérieure pour ne pas augmenter l’emprise du bâtiment d’origine.

 

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Fiche technique

Maître d’ouvrage : AG2R La Mondiale

AMO : Aliuta

Maître d’œuvre : B. Architecture

Maître d’œuvre d’exécution :Calq Architecture

Entreprises : Bouygues rénovation privée, Artelia (curage)

Surface: 30 000 m2

Coût : 90 M€ H.T.

 

 

 

 

Texte : Tristan Cuisinier

Image à la une : Vladimir Partalo

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