RÉALISATION

AAVP ET AIRES MATEUS

 

Les livraisons de bâtiments XXL s’enchaînent au pied de la Cité judiciaire de Paris. Lauréats du lot O4b de la ZAC Clichy-Batignolles, AAVP et Aires Mateus ont réalisé 170 logements pour le compte du promoteur Kaufman & Broad. Le résultat est très graphique, frêle et aérien, nonobstant la densité. À moins que l’appropriation progressive des deux kilomètres de balcons (et les stockages disgracieux) ne change rapidement la donne.

Ni Dieu ni maître. Poussés par le besoin de questionner le programme et d’imaginer leur propre récit, les architectes se satisfont difficilement des orientations de projet qui leur sont proposées. Car il n’y a pas de bon projet sans programme juste ni histoire bien construite. C’est ainsi que, pour la conception d’un immeuble tertiaire dans la ZAC Clichy-Batignolles, ChartierDalix et Brenac & Gonzalez ont réfuté la forme en peigne qui leur était suggérée, lui préférant des façades ininterrompues et un plan en zigzag. Bis repetita quelques dizaines de mètres plus au sud, où AAVP et Aires Mateus ont pris à contrepied les intuitions de départ de l’aménageur et de François Grether, l’architecte coordinateur de la ZAC, en construisant des plots de logements au lieu de dessiner des continuités bâties le long des espaces publics. « Le bâtiment le plus haut mesure 50 m, la parcelle fait 65 m de long, mais, in fine, ces grandes dimensions sont peu perceptibles », argumente Vincent Parreira, le fondateur d’AAVP.

À regarder la rue Mstislav-Rostropovitch, une voie sur une dalle créée au-dessus des voies de remisage des trains de la gare Saint-Lazare, on est immédiatement frappé par l’hétérogénéité morphologique des immeubles et l’écriture disparate des façades, comme si les logiques locales s’étaient chargées de dédire la cohérence générale, en dépit du travail collectif en atelier des différentes équipes de maîtrise d’œuvre de la ZAC. La marge de manœuvre des architectes était-elle trop importante ? Leur cadre d’intervention trop lâche ? Toujours est-il qu’il serait mal aisé de leur reprocher de ne pas avoir renoncé à leur imagination et à leurs convictions aux échelles auxquelles il leur était donné la possibilité d’agir. ChartierDalix et Brenac & Gonzalez n’ont-ils pas réussi à éviter les vis-à-vis pesants et l’ennui des espaces de bureaux formatés ? AAVP et Aires Mateus n’ont-ils pas offert à la rue une belle échappée visuelle sur le parc Martin-Luther-King de Jacqueline Osty, malgré un COS supérieur à 4 ?

©LucBoegly

De fait, la forte densité est le meilleur dénominateur commun des opérations du secteur ouest de Clichy-Batignolles. « Nous héritions d’un terrain de 3 300 m2 de superficie au sol, mais nous devions sortir plus de 12 500 m2 de surface de plancher ! » indique Vincent Parreira, architecte au look atypique, cheveux mi-longs et barbe fournie, avant de préciser que les objectifs de rentabilité du cahier des charges ont conduit à concevoir « un plan-masse divisé en deux parties, de part et d’autre d’une faille aménagée en jardin en pleine terre par les paysagistes de l’atelier Roberta. » Au nord de la parcelle, un bâtiment en R+15, de 17 m d’épaisseur hors tout, assure le gros de la densité (environ 130 logements en accession). Face à ce dernier, sur le versant sud du terrain, deux petits plots noirs reliés par un socle de locaux techniques, un accès parking et un hall d’entrée, permettent d’habiller les pignons résiduels de l’opération mitoyenne (144 logements sociaux + un groupe scolaire de 6 800 m2, conçus par Brisac Gonzalez et Antoine Regnault architecture). Achetés en VÉFA par le groupe Action Logement, leurs 42 appartements sont loués en tant que logements intermédiaires (loyers plafonnés à 20% en dessous du prix du marché).

« Avec Aires Mateus, nous avions convenu de nous associer à parts égales, souligne Vincent Parreira. Dans les faits, comme sur le papier : « J’avais demandé à Manuel [Mateus] de venir participer aux workshops tous les quinze jours. Aires Mateus n’était pas un prête-nom. AAVP n’était pas son bureau d’étude non plus. C’était vraiment du 50%-50%. » Cette franche collaboration entre une agence portugaise renommée et une agence française en pleine croissance a impliqué un processus de questionnement mêlé de confrontations culturelles. Comment construit-on aujourd’hui à Paris ? Quelles sont les exigences des maîtrises d’ouvrage privées hexagonales ? « Il a fallu expliquer à Manuel qu’un trois-pièces ne faisait pas 200 m2, mais 65 m! Qu’on ne pouvait pas dessiner de grandes baies vitrées comme il le faisait au Portugal », rapporte Éric Crochu. Et le chef de projet d’AAVP d’indiquer que le couple franco-portugais s’est rassemblé autour de l’idée d’une réinterprétation de l’architecture parisienne, en se référant à un quadrilatère remarquable du tissu urbain du XVIIIe arrondissement, traversé par la croix de Saint-André des rues Simart et Eugène-Sue (1882-1885).

De l’écriture ordonnancée de la fin du XIXe siècle, les architectes ont retenu les balcons filants de 60 cm de profondeur et l’utilisation systématique de percements de 1,20 m de large. En tout, ce sont 987 portes-fenêtres identiques qui ont été posées en façade, selon une règle héritée des anciens : « Le nombre de baies est corrélé à la nature des pièces, dit Éric Crochu. Les chambres, les cuisines et les salles de bain éclairées naturellement, n’ont qu’une seule porte-fenêtre de 120 x 220 cm, alors que les séjours en comportent plusieurs. » 

Ce sont également 2 km de linéaire de balcons filants que les concepteurs ont dessinés en périphérie des étages. Plutôt que de leur accorder une profondeur passe-partout, ils ont choisi de les dimensionner à l’économie – mais à l’image de leur référence historique (60 cm) -, « ce qui permet d’avoir les moyens de constituer de vraies terrasses aux angles du bâtiment. » Soucieux des effets de masse – l’immeuble en enduit blanc poncé sur ITE est un monstre de 65 x 17 x 50 mètres ! -, ils se sont évertués à donner l’illusion d’une fragilité constructive au moyen d’une grille de poteaux en majeure partie décoratifs. Une impression « château de cartes » renforcée par 11 figures archétypiques de la maison qui rappellent le caractère domestique du programme : « Malgré la hauteur et la densité, nous souhaitions raconter plein de petites histoires à des échelons divers, affirme Vincent Parreira. Personnellement, habiter à 50 mètres de haut ne m’intéresse pas. Mais il me semble primordial de pouvoir vivre à la bonne échelle. 

Plan de masse

Fiche technique :

Maître d’ouvrage : Kaufman & Broad
Maître d’œuvre : Vincent Parreira Atelier d’Architecture AAVP (Éric Crochu, chef de projet) – Aires Mateus e Associados (Jorge P. Silva, chef de projet)
Maître d’œuvre d’exécution : Antiope
Paysagiste : Atelier Roberta
Bureaux d’études : Elithis (fluides), Elements environnement (HQE)
Entreprise générale : Bouygues
Surface de plancher : 12 604 m2

Calendrier : avril 2018 (livraison), 2012 (lancement des études)

Texte : Tristan Cuisinier
Photos : Luc Boegly

retrouvez le mot de Vincent Parreira, Architecte au sein d’Archistorm #92