RÉALISATION

Gare de Lorient par SNCF GARE & CONNEXIONS, AREP

La gare de Lorient : une nouvelle polarité

Lorient ou originairement l’Orient, ville de paradoxes. Ville portuaire, fondée en 1666 par la Compagnie des Indes Orientales, rapidement devenue arsenal et port militaire, tournée vers la mer et vouée à la pêche et au commerce avec les contrées de l’Asie, à la réparation et à la fabrication de bateaux de guerre. Le destin de ce port est ainsi durablement marqué par la marine marchande et militaire. L’énorme base de sous-marins, construite pendant la Seconde Guerre mondiale à partir de 1941 et ponctuée par trois bunkers géants, est venue en quelque sorte consacrer cette vocation, confirmée par la Marine nationale jusqu’en 1997. Édifiée à proximité en 2007, la Cité de la Voile Éric Tabarly, avec l’élégante ondulation de sa toiture mauve nacrée, est venu compléter ce pôle maritime au sud de la ville.

Mais curieusement, Lorient n’est pas tournée vers la mer. Installée au bord de l’estuaire du Scorff, qui s’épanouit en une ample rade alimentée par d’autres petits fleuves côtiers, elle se distribue autour de son ancien petit port de pêche, aujourd’hui port de plaisance soumis à la marée. Du centre ville, on ne voit pas l’océan et la présence des mâts des voiliers y semble une enclave surprenante voire incongrue.

Cette ville industrieuse a subi en février 1943 un terrible traumatisme, quasiment détruite par de massifs bombardements alliés, qui ne sont bien sûr pas venu à bout de la base de sous-marins. La ville s’est péniblement relevée de ses ruines dans les années 1950, en respectant peu ou prou sa trame urbaine, pour présenter une juxtaposition d’architectures typiques de la reconstruction néo-régionaliste et de barres de logements sociaux, au milieu desquels surnagent quelques spécimens de l’ancien Lorient. Une ville moderne aux larges avenues, où la lumière intense et changeante de la Bretagne joue avec le blanc et le beige des façades. Ville d’histoire donc, mais au passé presqu’effacé.

L’auvent protecteur de la gare est largement ouvert sur la ville

C’est au nord de la ville que le chemin de fer est venu s’installer en 1863, à proximité du pont construit sur le Scorff, au-delà des fortifications et en tangence de la ville constituée, pour former cette polarité entre navires, au sud, et trains, au nord. C’est que Lorient n’était qu’une étape dans la desserte de la péninsule armorique, objet d’intenses discussions sous le second Empire, alors que la plupart des régions françaises étaient déjà desservies par le rail et que commençaient à se ramifier les grands réseaux ferroviaires. C’est Napoléon III lui-même qui aurait en 1855 tranché le débat entre les deux options envisagées : une desserte en « arête de poisson », à partir d’une ligne centrale Rennes-Brest, et une desserte en « pinces de homard », en suivant les côtes nord et sud. Au sud, la Compagnie d’Orléans prend, non sans réticence, à sa charge la ligne Nantes à Chateaulin, réalisée en 1861-1865. La première gare de Lorient inaugurée en 1862 reflète la vocation industrielle de la ville : un assez grand bâtiment en pans de fer et remplissage à motifs de briques rouges et blanches avec corps central dessert un large faisceau de voies pour les marchandises et les voyageurs. La partie centrale des trois quais est couverte par une jolie halle à fermes Polonceau portées par de fines colonnes en fonte. Une bretelle ferrée relie la zone portuaire et l’arsenal à la gare. Mais la gare, située au-delà de la voie ferrée, tourne le dos à la ville, à laquelle elle est reliée par un passage à niveau à travers les rails.

Les façades vitrées de la gare permettent un éclairage intérieur naturel

Presque entièrement détruite par les bombardements de 1943, la gare est assez modestement reconstruite 15 ans plus tard sur un emplacement un peu décalé, toujours sur le côté opposé à la ville, au nord des voies. Soubassements en pierre de schiste, ossatures en béton armé laissé brut, grandes baies vitrées sont typiques de cette époque. L’architecte Georges Tourry, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux et maître d’œuvre de la reconstruction de la ville, en a conçu le plan sous la direction de l’ingénieur en chef O. Weber. Un corps principal abrite le hall, la billetterie et une petite salle d’attente. Une aile basse, dans le prolongement, est réservée au service des bagages, tandis qu’une autre aile regroupe un restaurant et les bureaux. Elle est inaugurée le 23 juin 1960.

Cinquante ans plus tard, le TGV a révolutionné le transport ferroviaire des voyageurs. La ligne à grande vitesse entre Paris et le Mans mise en service en 1991 a déjà permis de réduire considérablement les temps de trajet vers la capitale et son prolongement en 2017 fait tomber la liaison entre Paris et Lorient à trois heures, contre cinq en 1985. À nouvelle ligne, nouvelle gare. Divers aménagements sont réalisés lors de l’arrivée du TGV Atlantique en 1991. Mais c’est aujourd’hui une gare toute neuve qui répond à la nouvelle offre ferroviaire. Directement tournée vers la ville et ouvrant sur une place aménagée pour l’occasion, elle s’inscrit dans un remodelage complet des abords de la voie ferrée pour constituer un pôle urbain voué aux transports ferrés et routiers, au cœur d’un quartier reconfiguré. Le bâtiment principal présente une forme générale inspirée de celle d’un grand vaisseau, dont la coque rappelle celle des thoniers de l’île de Groix voisine. Un long bâtiment courbe, qui s’élève jusqu’au-niveau d’une large passerelle surplombant les voies, présente côté place une façade striée de fines barres grises en béton de fibres, qui se détachent sur le fond rouge de la paroi située derrière. À l’extrémité est, la nef s’évase en un auvent protecteur largement échancré sur la place, invitant le voyageur à pénétrer dans la gare. Les élégants portiques en bois, aux formes doucement polies et aux courbures harmonieuses, de sections variables suivant l’intensité des efforts qu’ils supportent, se prolongent à l’intérieur du hall abritant boutique et billetterie, en dégageant l’espace et en proposant une lecture immédiate et sensible du bâtiment. La continuité entre les jambages de section triangulaire et la poutre principale de ces portiques contribue à cette lecture fluide, encore accentuée par la forme ventrue de ces poutres, étudiée pour offrir le maximum de résistance compte tenu de leur grande portée. Un escalator doublé par un ascenseur et un jeu d’escalier soutenus par une structure indépendant en acier donne accès à l’étage, où on trouve un salon d’attente. L’arrière de la gare est occupé par des bureaux et une poste. Une passerelle toute en bois et métal plane au-dessus des voies, en desservant des escaliers et des escalators qui plongent sur les quais. De l’autre côté, on accède à un petit bâtiment annexe avec un local pour ranger des vélos. L’ancienne gare, désormais détruite, se trouvait juste à côté.

Façade striée de fines barres grises en béton de fibres

La nouvelle gare de Lorient forme ainsi un contrepoint architectural contemporain à la Cité de la Voile de l’autre côté de la ville, induisant une nouvelle polarité dans cette ville où la mer est partout si proche et si peu visible et qui se cherche un nouvel avenir.

Maîtrise d’œuvre SNCF Gares & Connexions, AREP
Maîtrise d’ouvrage  SNCF Gares & Connexions pour SNCF Gares & Connexions, SNCF Réseau, Lorient Agglomération, Région et Département
BET Structure et façade H.D.A. Hugh Dutton et associés
Entreprises Mathis et Baudin Châteauneuf, A.C.M.L, S.R.B
Surface Bâtiment voyageurs : 1 900 m²

  • Passerelle : largeur 5, 5 m – portée 2 x 20m
  • Bâtiment tertiaire : 1 200 m² (pour Lorient Agglomération)
  • Accès Nord : locaux 50m² + abri 120m² (80 emplacements vélos)

Coûts  Nouveau Bâtiment Voyageurs : 9 750 k€ HT

  • Passerelle Gare routière interurbaine et accès Nord : 12 059 k€ HT
  • Bâtiment tertiaire : 2 390 k€ HT

Texte : Bertrand Lemoine
Photos : Didier Boy de la Tour, Mathieu Lee Vigneau

Retrouvez l’intégralité de l’article sur la réalisation de la gare de Lorient au sein du numéro 96 du magazine Archistorm, daté mai – juin 2019 !