DESIGN

GIO PONTI AU MAD

 

Le Musée des Arts Décoratifs de Paris célèbre l’architecte-designer italien Gio Ponti, à travers « Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer », première rétrospective française d’envergure. Trop méconnu en France, ce créateur protéiforme sut insuffler sa vision généreuse de l’art et de la vie à de foisonnantes réalisations à l’italienne.

Il aura tout fait et tout été. Céramiste, orfèvre, designer, architecte, costumier, directeur d’édition, Gio Ponti mettait autant de cœur à créer une poignée de porte, une table, une assiette, qu’à concevoir le bâti de cathédrales, d’immeubles standardisés ou encore de nombreuses villas privées. Mais qui était-il vraiment ?

Un talentueux touche-à-tout

Né en 1891, ce diplômé de l’école polytechnique de Milan débute sa carrière en 1921. Ses premières réalisations sont architecturales et céramique, telles les pièces de la manufacture Ginori, dirigée par ses soins entre 1923 et 1930. En France, en 1926, ce créateur prometteur imagine la villa « L’Ange Volant », collabore avec Christofle, alors qu’à Murano, il travaille avec la maison Venini. En 1928, Ponti fonde la revue Domus, devenue, au fil du temps, une référence dans l’histoire de l’architecture et du design, et qu’il supervise jusqu’à sa mort, en 1979. Dans les années 1930, l’homme-orchestre, également organisateur d’expositions, prend le train du modernisme ; les lignes de ses « case tipiche » ou de l’immeuble la société Montecatini se rationalisent, tandis que son design pour Fontana Arte ou Krupp va à l’essentiel. En outre, durant la décennie suivante, il peint, scénographie, dessine des costumes pour la Scala de Milan, écrit pour le cinéma. « Le matériau le plus résistant pour construire, disait-il, c’est l’art ». Aimant relier toutes les disciplines, ce symbole du Made in Italy à l’étranger signe, en 1948, l’emblématique machine à café Cornuta, puis entre 1951 et 1957, les iconiques chaises Leggera et Superleggera. Les prolifiques années 1950-60 voient naître de nombreuses villas à l’étranger – dont la villa Planchart, son chef d’œuvre à Caracas -, une Tour Pirelli à Milan en pointe de diamant, dans un esprit de légèreté, transparence et clarté des volumes. Enfin, la dentelle de la façade de la cathédrale de Tarente, l’érection du Denver Art Museum, comme un mobilier plus flexible et mobile marquent les dernières années de son existence.  

 

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Villa Planchart, Caracas. Vue de la façade. © Photographie Antoine Baralhé.

Une esthétique « all’ italiana »

Dès ses débuts, Gio Ponti prône donc une vision transversale de l’art et de l’industrie, à travers une production en série de haute qualité dans tous les champs de la création. Toutefois, sa discipline maîtresse reste l’architecture, dont il applique les principes à ses autres domaines de prédilection. Et si ses premières pièces comme le bol labyrinthe pour la maison Ginori, ou la façade palladienne de l’immeuble de la via Randaccio, sont influencées par le passé, celles-ci s’épurent de leurs scories historicistes en adoptant le modèle moderniste. Fidèle au principe d’unité du design et de l’architecture, Ponti crée un design industriel fonctionnel, dénué cependant du rationalisme strict cher au Corbusier et aux autres modernistes de l’époque. Car Gio Ponti est avant tout un italien amoureux de la vie, recherchant l’harmonie entre les formes, les couleurs et les lignes douces, raffinées. « La maison à l’italienne est sans complications, à l’extérieur comme à l’intérieur […]. Sa conception […] ne se réduit pas à une simple machine à habiter. » En effet, la casa all’italiana vue par Ponti, c’est une maison dont les murs à caissons portent des objets, où les cloisons sont souvent mobiles, la lumière émane également de la céramique, les sols et les plafonds sont décorés, le mobilier léger, les espaces aérés, ouverts sur l’extérieur. En bref, une domus très dolce vita !

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Pièces pour Lino Sabattini, 1978. Paris, collection particulière. © DR

Design léger, design gai !

Dans son ouvrage « Amate l’architettura » de 1957, il affirme encore : « Exigez des maisons joyeuses, […] parfaites pour réconforter votre vie, avec une belle architecture […] sereine, lumineuse, claire, colorée et pure. » Dans ces mots d’architecte amoureux, un condensé d’images que l’on retrouve dans son design. Ne retrouve-t-on pas ces volumes « clairs, purs, colorés et sereins » précités dans les lignes de sa théière Aero pour Christofle, dans celles de sa vaisselle colorée pour Pozzi, de sa lampe 0024 pour Fontana Arte, de ses chaises Leggera et Superleggera pour Cassina ? À travers plus de 400 pièces comprenant de la céramique, de l’orfèvrerie, du mobilier jamais exposé, mais aussi des maquettes, projets, lettres et dessins, le visiteur du MAD prend la mesure de cet esprit protéiforme et élégant de l’art italien. Dans la nef qui se révèle à travers la façade ajourée et majestueuse de la cathédrale de Tarente, la présentation chronologique sur six décennies fait le focus sur son goût de l’objet et des métiers d’art, son mobilier moderniste mêlé à ses grandes architectures, ainsi que son travail au sein du magazine Domus. Mais surtout, le visiteur cherchera à s’y perdre, à passer et repasser dans les six périod-rooms reconstituant les atmosphères intérieures de ses plus belles réalisations. Où l’on ressent in situ la force de la couleur omniprésente, de l’hybridation des matériaux artisanaux et industriels, l’importance de la lumière interne et externe, témoignant de sa conception créative globale liée à la vie. (..)

Texte : Virginie Chuimer-Layen
Visuel à la une : Salle de séjour de la villa Planchart, Caracas, 1957. © Photographie Antoine Baralhé. Caracas, Fondation Anala et Armando Planchart

Découvrez ‘lintégralité de l’article de Virginie Chuimer-Layen et l’interview de Domique Forest commissaire de la rétrospective, au sein d’Archistorm #94