ART ET ARCHITECTURE

LES MUSIQUES DE PICASSO
22 septembre 2020 – 3 janvier 2021

« […] je n’aime pas la musique. »*

Malgré la citation-choc, l’œuvre de Pablo Picasso dévoile un attachement impressionnant à la musique, et c’est toute l’entreprise de cette exposition d’envergure d’en faire la démonstration. Jusqu’au 3 janvier 2021, la Philharmonie de Paris réunit ainsi 270 toiles, dessins, céramiques et sculptures dans un parcours scénographique sinueux.

Dans un découpage chronothématique de neuf sections, l’approche de Cécile Godefroy (commissaire de l’exposition et spécialiste de Picasso) n’est pas purement iconographique, tout au contraire. « La musique est une symphonie des sens », confie la commissaire, et c’est suivant cette ligne suggestive que l’exposition étale l’univers sonore d’un artiste plasticien. Ainsi, l’exposition dresse une fresque qui dépeint l’environnement musical du peintre tout au long de sa vie privée et artistique – ses amitiés et collaborations avec des musiciens et compositeurs tels que Satie ou Stravinsky –, mais aussi présente un instrumentarium, une collection d’instruments de musique ayant appartenu à l’artiste (guitare, luth, vielle, trompette, etc.).

Projet pour la couverture de la partition de “Ragtime” d’Igor Stravinsky : violoniste et joueur de banjo Paris, fin 1919, aquarelle, encre et crayon
graphite sur papier, 20,3 x 18,2 cm, musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso, 1979. MP1625 Photo © Succession Picasso 2020
RMN-Grand Palais (musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean

Entre autres, on constate l’intérêt marqué de Pablo Picasso pour les environnements sonores, notamment à travers la culture espagnole. Parce qu’il y vit jusqu’en 1904 et qu’il y retourne de temps à autre, il attache à l’Espagne une grande importance ; il peint des scènes de rassemblements populaires (danse, cirque, corrida, café-concert, etc.), auxquels il aime assister.

Comme le souligne cette collection d’instruments, l’instrument de musique en tant que forme sculpturale tient une grande place dans le corpus d’œuvres de l’exposition, notamment celles de la période cubiste de l’artiste. Bien qu’on retrouve les instruments de musique, comme motifs, dans sa peinture dès 1909, c’est bien jusqu’en 1915 que Picasso crée nombre d’œuvres qui oscillent entre deux et trois dimensions. En utilisant pour point de départ l’instrument de musique, il détourne, cite et évoque l’objet avec de grandes libertés expérimentales, comme en témoigne le tableau Violon, de 1915, composé de superpositions de tôles plus ou moins volumineuses.

Projet pour la couverture de la partition de “Ragtime” d’Igor Stravinsky : violoniste et joueur de banjo Paris, fin 1919, aquarelle, encre et crayon
graphite sur papier, 20,3 x 18,2 cm, musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso, 1979. MP1625 Photo © Succession Picasso 2020
RMN-Grand Palais (musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean

Dans cette idée de déclinaison et de recherche sur un sujet préexistant – ici, représenter la musique –, l’exposition montre également l’inscription de Pablo Picasso dans la grande tradition que l’histoire de l’art entretient avec le monde de la musique. Par exemple, dans les années 1930, il revisite le thème de l’aubade**, à l’iconographie circonscrite. Dans Nu couché et joueur de flûte (1932), on retrouve les éléments traditionnels du thème, à savoir le berger musicien et sa muse, allongés dans le décor arcadien d’une clairière. La présence d’œuvres représentant la figure de Pan et d’autres personnalités dionysiaques parachèvent l’affection de l’artiste pour certains sujets rituels de l’histoire de l’art.

Témoignant de son investissement pour la scène musicale, l’exposition consacre aussi un espace aux créations que l’artiste a réalisées avec le monde du spectacle. Grâce à certaines collaborations, Pablo Picasso laisse libre cours à la dimension scénique et spatiale de son travail. Comme Giorgio de Chirico, Nathalie Gontcharova ou Henri Matisse à la même période, il collabore avec la compagnie de Serge de Diaghilev, les Ballets russes (1909-1929). L’exposition fait découvrir son intervention plastique dans ces œuvres totales et collaboratives. Entre autres, pour le ballet Parade, il intervient sur la scénographie en concevant le rideau de scène, les décors, les costumes, alors qu’Erik Satie signe la musique, Jean Cocteau l’écriture, Léonide Massine la chorégraphie.

Ce grand parcours immersif est à découvrir, donc, rehaussé qu’il est, grâce à un audioguide, d’ambiances sonores et de musiques qui accompagnent les œuvres silencieuses.

Texte Camille Tallent
Visuel à la une La Flûte de Pan, Paris, automne 1923, huile sur toile, 205 x 174,5 cm, musée national Picasso – Paris © Succession Picasso 2019, RMN-Grand Palais (musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean

Retrouvez la chronique Art et Architecture sur les musiques de Picasso, dans Archistorm daté novembre – décembre 2020.


* Propos rapportés par Hélène Parmelin dans Picasso dit suivi de Picasso sur la place, Les Belles Lettres, 2013, p. 54.

** Une aubade est une prestation musicale donnée à l’aube (ou du moins le matin), en l’honneur de quelqu’un, le plus souvent sous la fenêtre de son habitation. Par extension, elle désigne également le genre musical joué à cette occasion.