LES NOUVEAUX MÉTIERS DE L’ARCHITECTURE

 

Dans la famille Addams télévisée, il y a un bon géant, Max (Carel Struycken dans la vie réelle), diminutif en référence à sa taille et à son acromégalie. Il est grand, et parfois maladroit, tout comme le mangeur de pierre de L’Histoire sans fin. Dans une autre époque, quelque chose comme une dystopie du passé au vue de nos catégories actuelles, Martin Schulz Van Treek (1928-1999), l’architecte des Orgues de Flandre fut en son temps un géant du réel, sans maladresse aucune.

En raccourci, il serait incompréhensible aujourd’hui qu’un architecte relativement peu connu ait les mains libres pour implanter près de 2 000 logements sur 6 hectares en plein Paris. Dystopique, l’univers de Martin Schulz Van Treek ne l’était pas. Il répondait à un maître d’ouvrage important, les 3F, groupement demandeur d’un gros programme de HLM et de logements en accession à la propriété. Il fallait aussi des règles de densité et de verticalité. On les dit « conformes » aux préconisations du Plan directeur d’urbanisme de 1959. La réhabilitation qui en est menée aujourd’hui est une opération beaucoup plus complexe sur le plan technique et réglementaire, ce qui est facile à comprendre, mais aussi, en matière de prises de décisions, de consensus à établir, ce qui l’est moins. Sans oublier enfin la « fragilité économique » de certains petits copropriétaires d’une des tours restantes, face aux règles de réhabilitation, trop complexe pour l’aborder ici.

Les circonstances qui ont imposé cette réhabilitation sont incontournables, encore fallait-il des volontés qui reconstituent une cohérence de « bons géants ».

Avenue de Flandre : un géant historique

Les logements sont regroupés en deux immeubles linéaires de 18 niveaux échancrés et en surplomb, et quatre tours, les « Orgues » : Prélude couronnant à 123 m, Fugue à 108 m, Cantate à 101 m et Sonate à 83 m, l’ensemble s’étageant de 25 à 39 niveaux. Ce volume construit considérable a contribué à maintenir la densité de cet arrondissement (près de 25 000 habitants/km2) en la dépassant localement, caractéristique urbaine et humaine unique de la ville de Paris dans le monde, et c’est aussi ce patrimoine-là que la réhabilitation aura pour effet de maintenir.

Avant d’en arriver là, Martin S. Van Treek avait inventé une sorte de périscope pour parcourir ses maquettes. La légende dit que son « Relatoskop » (d’origine allemande) dérivait de l’endoscope de son père médecin. En bon géant, il s’efforçait de se mettre à la hauteur de ses « sujets », avec une simulation plausible de leur espace résidentiel. L’architecte Yves Lion, dont les Ateliers Lion Associés ont emporté la maîtrise d’œuvre de la réhabilitation des tours, se souvient par ailleurs avoir assisté pendant ses études à quelques cours de ce même architecte qui n’a pas laissé de corpus théorique matérialisé.

Orgues © J.P Cousin

Vues du haut des Buttes Chaumont, ou jusqu’à Chaville vers le sud-ouest, les tours des Orgues se détachent du profil haussmannien du tissus urbain. Ce sont les immeubles résidentiels les plus hauts de la région parisienne (outre l’hôtel Hyatt Regency Paris Étoile, à 190 m, de 1974). Elles sont une sorte de pendant humain de la tour Montparnasse, mise en projet plus de dix ans auparavant et réalisée simultanément. La poussée des Orgues et autres bâtiments de logements dans un quartier populaire du nord fut moins remarquée ou bataillée, et peut-être plus solidement étayée.

Tous les « géants » de l’époque qui jouaient aux dominos avec les barres le long des chemins de grue étaient-ils aussi « bons » ? En quoi leur métier de « bon géant » était-il concerné ? Dès 1962, on parlait de sarcellite. L’architecte Jacques Henri-Labourdette (une rue de Sarcelles porte son nom depuis peu), sous la tutelle de la Caisse des dépôts et consignations, poursuivait la construction de 12 358 logements à Sarcelles (1954-1976), dans le cadre des ZUP dont on connaît les séquelles. Au tournant des années 1960-1970, de vastes étendues de banlieue basculaient déjà dans le non-droit et la décrépitude. Le Serpentin d’Emile Aillaud, conçu à partir de 1954 dans le quartier des Courtillières à Pantin, a connu le même sort. Le contenu des débats autour de sa réhabilitation il y a quelques années, les résultats, ont posé question. En ce qui concerne la dystopie de Van Treeck, un article du quotidien parisien Libération titrait,14 juin 1996 : Orgues de Flandre, le « mal des banlieues » dans Paris. Le trafic de drogue mine ce grand ensemble urbain du XIXe. (…)

Texte : Jean-Pierre Cousin
Visuel à la une : Orgues © J.P Cousin

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