EXPÉRIENCE HÔTELIERE

REDÉCOLLAGE DU TERMINAL TWA DE L’AÉROPORT JFK
TWA HOTEL, NEW YORK
BEYER BLINDER BELLE ARCHITECTS & PLANNERS,
LUBRANO CIAVARRA ARCHITECTS, STONEHILL TAYLOR,
INC ARCHITECTURE & DESIGN

Le 15 mai 2019, le mythique TWA Flight Center de l’aéroport new-yorkais John-F.-Kennedy reprenait vie — 57 ans après sa construction par Eero Saarinen —, comme super lobby d’un vaste complexe hôtelier haut de gamme. Menacé par la mise en faillite de la Trans World Airlines (1992-1995), finalement rachetée par American Airlines en 2001, il avait été fermé dans la foulée. Après plusieurs vaines tentatives, il aura fallu deux opérateurs et pas moins de quatre agences d’architecture et de design inspirés pour le faire « redécoller », et par là même sauver un fleuron de l’architecture du XXe siècle !

Une œuvre pivot de l’architecture contemporaine

Les années 1950 marquent un tournant dans l’histoire de l’architecture du XXe siècle, dominée depuis trois décennies par le mouvement moderne et son style international sous la houlette de Ludwig Mies van der Rohe et de Le Corbusier[1]. L’inflexion vers un certain « expressionnisme » semble en fait avoir été amorcée dès 1943 par l’œuvre ultime d’un « dinosaure » de la profession, le musée Solomon R. Guggenheim de Frank Lloyd Wright, à New York. Décédé six mois avant son inauguration en 1959, le maître l’avait conçu 16 ans plus tôt, mais l’inflation des matériaux de construction due à la guerre, puis le décès de son commanditaire ont considérablement retardé sa réalisation. L’architecte danois Jørn Utzon remporte en 1957 — à 38 ans — le concours international lancé deux ans plus tôt pour l’Opéra de Sydney, qui ne verra le jour qu’en 1973. Oscar Niemeyer livre en 1960 les principales institutions de Brasilia, parmi lesquelles le Congrès national du Brésil et ses deux iconiques coupoles inversées.

C’est en 1956 que l’architecte américain d’origine finlandaise Eero Saarinen, au faîte de sa carrière[2], se voit confier par le président de la compagnie TWA, le milliardaire Howard Hughes, la conception du Terminal 5 de l’aéroport Idlewild. Développé à 12 miles de Midtown, Manhattan, pour soulager celui de LaGuardia déjà saturé, l’aéroport sera rebaptisé John-F.-Kennedy en 1963, après l’assassinat du président américain.

Reconnu comme un concepteur de projets hors normes depuis la Gateway Arch de Saint-Louis gagnée en 1949, Eero Saarinen aspire là à « créer un espace dynamique plutôt que statique, qui révélerait le terminal comme un lieu de mouvement et de transition[3] ». Passionné par les structures béton dont il cherche à approfondir les multiples possibilités, il lui importe de savoir quand et où les utiliser. La TWA lui offre une occasion en or de travailler la question !

Le salon du hall supérieur restauré avec vue sur le salon à cocktails Lockheed Constellation, lui-même restauré © Éric Laignel

Une vision glamour et futuriste de l’aviation civile

Le voyage, le transport dont le terminal constitue l’embarcadère, semble avoir été perçu par Eero Saarinen comme une romance, voire une épopée des temps modernes. L’infrastructure paraît également s’inscrire dans la veine néo-futuriste du Space Age que stimule le défi de la conquête spatiale lancé comme un duel entre les USA et l’URSS. Ce qui fascine là, ce sont tant les quatre coques béton asymétriques et aériennes — aux allures d’élytres de coléoptère — que la fluidité et l’innovation de l’univers intérieur. Tout n’y est que courbes et contre-courbes, des aires d’attente s’engravent dans les sols, passerelles et mezzanines sillonnent le vide des voûtes oblongues, des tubes plongent ou s’envolent pour gagner les premiers satellites d’embarquement… Les arches théâtralisent le panorama animé des pistes ; suspendus — comme la pendule faisant clé de voûte —, des écrans électroniques ovales annonçant les arrivées et les départs captent l’attention des voyageurs en mal d’aventures. Ces derniers ne découvrent-ils pas aussi les premiers carrousels à bagages, une chaîne de télévision en circuit fermé, un système central de sonorisation ?… Mais la plus grande réussite de Eero Saarinen résulte de l’osmose parfaite entre l’architecture et l’aménagement intérieur, qu’il a pratiqué lorsqu’il œuvrait associé à son père Eliel[4]. Il excellait d’ailleurs dans cette discipline, au vu du mythique mobilier qu’il créa pour Knoll, que dirigeait alors sa sœur adoptive Florence : fauteuil Womb (1948), Tulip Chair et Pedestal collection (1957). Aucun détail n’est laissé au hasard, des mosaïques italiennes tapissant socles et murs à la couleur Chili Pepper Red qu’il invente pour les tesselles, les moquettes et les tissus des assises.

[1] À l’exception de sa chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp (1955) et de son église Saint-Pierre à Firminy-Vert (1957-2006).
[2] Il vient juste de faire la couverture du magazine Time.
[3] Aline B. Saarinen, sa seconde épouse.
[4] Eliel Saarinen émigre avec sa famille à Détroit en 1923, après avoir été déclaré lauréat du futur siège du Chicago Tribune.

Texte : Lionel Blaisse
Visuel à a une : Le terminal TWA restauré présentant une nouvelle structure hôtelière de sept étages qui sert de toile de fond neutre au bâtiment historique © Courtesy of TWA Hotel, David Mitchell

Retrouvez l’intégralité de l’expérience hôtelière dans le daté Juillet-Aout d’Archistorm