ART ET ARCHITECTURE

LES DIORAMAS
DE DOMINIQUE GONZALEZ-FOERSTER

« Le brin de mousse peut bien être sapin […] » Dans cette citation de La Poétique de l’espace, de Gaston Bachelard, on retrouve l’ambiguïté des mondes de Dominique Gonzalez-Foerster. L’artiste s’est attaquée à plusieurs reprises à l’élaboration d’environnements qui empruntent au dispositif du diorama pour nous parler (entre autres) de la disparition de notre espèce.

Artiste expérimentale née en 1965 à Strasbourg, Dominique Gonzalez-Foerster déploie depuis le début des années 1990 un vocabulaire artistique pluridisciplinaire, polymorphe et volontairement multi-identitaire. Entre réalité et fiction, elle crée des environnements immersifs qui jouent avec notre espace autant physique que mental. Grâce à la vidéo, au son, à la photographie, à la performance et à cette accumulation que l’on peut appeler installation, elle s’amuse de nos perceptions, de notre mémoire émotionnelle, culturelle, domestique, etc.
Les œuvres de DGF sont des invitations à errer dans des espaces et des temps qui entremêlent avec ambiguïté passé et futur, dans un sentiment proche de l’hantologie[1]. Cette dimension spectrale de son travail se matérialise dans des œuvres comme M.2062, un opéra fragmenté entre 2012 et 2014 dans lequel elle incarnait des personnalités telles que Edgar Allan Poe, Lola Montez ou Fitzcarraldo. Aussi, avec Chronotopes & Dioramas (2009), Mangrovama (2017) ou Cosmorama (2018), elle témoigne d’un intérêt fertile pour la notion d’illusion, théâtre même des enjeux du diorama.

Dominique Gonzalez-Foerster, Chronotopes & Dioramas (Desertic), 2009/2015, en collaboration avec Joianne Bittle, installation en techniques mixtes, 220 x 253 cm (fenêtre), 570 x 323 x 250 cm (construction). Collection of the Dia Art Foundation: gift of the artist

Le diorama est un dispositif scénique clos qui présente, souvent en associant volumes et peinture, la reconstitution plus ou moins grande d’un habitat naturel, d’un espace, d’un paysage. Dans le prolongement du studiolo italien, en passant par les velléités rationalistes de la perspective en peinture à la Renaissance ou le développement des mécaniques du décor de théâtre, la première tentative de diorama est à dater de 1821. À cette date, les peintres Louis Daguerre et Charles-Marie Bouton s’associent pour créer un paysage panoptique animé de lumières. Le diorama est également plus largement connu du grand public occidental par la conception de crèches de Noël ou dans les musées d’histoire naturelle qui reproduisent les espaces naturels de la faune et de la flore.

DGF s’empare de ce médium pour façonner des « réalités parallèles[2] » (et justement pas virtuelles, contrairement à son projet Endodrome de 2018) qui empruntent à la science son caractère de simulation. Le spectateur est absorbé par le jeu illusionniste de la perspective, de la lumière et de la matière, mais le dispositif même du diorama, sorte la vitrine optique, le garde à distance. Qu’abritent donc ces paysages hétérogènes impraticables ? Présenté au Dia Art Foundation de New York en 2009, Chronotopes & Dioramas offre trois biomes compartimentés : les tropiques, le désert et l’océan Atlantique Nord. Dans ces paysages et à la place d’animaux naturalisés sont disposés çà et là des livres. Sous une poignée de sable ou derrière un buisson, on aperçoit des ouvrages de Roberto Bolaño, Jorge Luis Borges, Ray Bradbury, Carlos Castaneda, John Fante, Frank Herbert… autant de propositions de narrations supplémentaires et associatives pour accompagner la fantasmagorie de ces vues cinématographiques. Dans ces visions aussi romantiques que dystopiques, les livres sont nos doppelgängers ; « comme des êtres affectés […] par le climat[3] ». Se pose alors la question : combien de temps notre savoir, incarné par ces livres et métaphores de l’humain, va-t-il pouvoir résister matériellement ?

Enfermés comme des reliques dans la capsule spatio-temporelle d’un (faux) paysage désormais trop fragile pour être visité, les livres sont également les marqueurs d’une contradiction. À la fois préservés et inaccessibles, ils évoquent la muséification de l’objet et plus généralement du paysage.


[1] « L’hantologie est un néologisme introduit par le philosophe français Jacques Derrida. Le concept fait référence au retour ou à la persistance déléments du passé, comme à la manière dun fantôme. » Source : Wikipédia.

[2] Entretien de Dominique Gonzalez-Foerster avec la curatrice Emma Lavigne, 2016. Site Internet du Centre Pompidou.

[3] Dominique Gonzalez-Foerster, « Préface » de Chronotopes & Dioramas, New York, Dia Art Foundation, 2010, p. 45. Traduction de Bernard Schütze.

Texte Camille Tallent
Visuel à la une Vue de l’exposition « Chronotopes & Dioramas », Dia Art Foundation at The Hispanic Society of America, New York, 2009–2010. Courtesy the artist and Esther Schipper, Berlin © VG Bild-Kunst, Bonn, 2021. Photo © Cathy Carver

Retrouvez l’article de Camille Tallent, Les dioramas de Dominique Gonzalez-Foerster, dans Archistorm daté mars – avril 2021