Regard transversal entre l’Art et Architecture :

ANN VERONICA JANSSENS

Texte : Alexandra Fau

Ann Veronica Janssens, vue de l’exposition au MUKHA, Anvers, Belgique, 1997. Courtesy de l’artiste et 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine © Ann Veronica Janssens

Pénétrer les environnements immersifs d’Ann Veronica Janssens (née en 1956) laisse au spectateur un souvenir indélébile. Il fait l’expérience inédite d’un espace coloré, évolutif, qui révèle tout un pan insoupçonné de l’architecture, à savoir sa dimension neuronale et sensorielle. Initiatrice du Laboratoire Espace/Cerveau avec la directrice de l’IAC de Villeurbanne, Nathalie Ergino, en 2009, l’artiste belge s’accorde avec le neurophysiologiste Alain Berthoz pour qui « l’espace n’est pas un concept extérieur au cerveau de l’homme. Il est perçu, mais il est aussi vécu ».

Pour parvenir à ses fins, Ann Veronica Janssens dispose de divers artifices ; fumée, brouillard, eau… difficilement domptables. La lumière intervient au sein de son environnement comme élément perturbateur. Dès ses premiers brouillards blancs (Mukha, Anvers, 1997), l’artiste sature visuellement l’espace de cette matière volatile qui fait disparaître tout obstacle, toute matérialité, toute résistance contextuelle. A contrario, elle donne consistance et tactilité à la lumière. De cet environnement aussi enveloppant qu’instable, fragile et résistant à la fois, émane une sensation de flottement rassurante, alors même que tous les repères ont disparu. La lumière n’éclaire plus rien qui puisse faire autorité sur la déambulation. Et le spectateur est renvoyé à la surface de ses yeux, à son espace intérieur.

Ann Veronica Janssens Spray 3, 2011. Courtesy de l’artiste et Galleria Alfonso Artiaco, Naples, Italie © D.R.

 

L’artiste conçoit dès les années 80 des « extensions spatiales de l’architecture existante », c’est-à-dire des architectures venues se greffer sur la structure d’origine pour s’ouvrir sur des « super espaces », « des lieux de captation de la lumière, écrins de béton et de verre, d’espaces construits comme des tremplins vers le vide [1] ». Jusqu’ici des artistes comme Bruce Nauman ou Rachel Whiteread avaient tenté de donner forme au vide, à l’invisible en le moulant. Ann Veronica Janssens partage avec eux cette quête de l’insaisissable, non pas en lui donnant une forme, mais en opérant une mise en mouvement par la circulation de l’air, de la brume. C’est là un paramètre que de nombreux architectes négligent. Or, pour Alain Berthoz, « le cerveau peut reconstruire le mouvement à partir d’images immobiles ».

Le pavillon immersif coloré Blue, red and yellow (2001) de Ann Veronica Janssens possède des parois translucides recouvertes de films transparents colorés bleu, rouge et jaune. Un brouillard dense y est maintenu en suspension. Le visiteur voyage dans des zones de couleurs appelées à se mélanger aux angles du volume parallélépipédique. Le corps pénètre dans la couleur, s’y confond et y disparaît (Un corps rond, 1996-2001). Ses environnements relèvent de l’« infra-mince » tel que l’envisage Marcel Duchamp, à savoir « quand la fumée de tabac sent aussi de la bouche qui l’exhale, les deux odeurs s’épousent par infra-mince ». (…)

Ann Veronia Janssens, Untitled (Blue Glitter), 2015. Vue de l’exposition au S.M.A.K., Gand, Belgique, 2015. Courtesy de l’artiste. © Ann Veronica Janssens

[1] Ann Veronica Janssens, Musée d’art contemporain de Marseille, 2004.

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