Lieu de création et d’expérimentation architecturale, Monaco, l’État le plus densément peuplé du monde, avait jusqu’à présent peu intéressé les historiens. Huit ans après des expositions et un ouvrage fondateurs (Monacopolis, 2013), un guide met en lumière le destin hors norme de la Principauté.

Un observateur posté sur le Rocher de Monaco a, face à lui, l’un des ensembles urbains parmi les plus étonnants qui soient. Comme un immense décor de théâtre, une succession d’écrans semble se chevaucher dans un ordre aléatoire qu’aucun urbaniste n’aurait pu concevoir. Ce spectacle fait de superpositions, de collages, de ruptures d’échelles, surtout, trouve en partie son origine dans l’immédiate après-guerre : les deux premières décennies du règne de Rainier III sont en effet marquées du sceau de la modernisation. Mise sous tunnel du chemin de fer, construction d’une digue protégeant l’entrée du port, création d’un nouveau quartier au Larvotto et, enfin, construction massive de nouveaux immeubles d’habitation : il s’agissait tout à la fois de désenclaver, de conforter et d’agrandir Monaco, qui avait l’ambition de passer du statut de petite cité touristique et industrielle à celui de havre privilégié pour une clientèle internationale fortunée. L’exposition de 2013, organisée par le Nouveau Musée national de Monaco (NMNM), a toutefois montré que l’aventure architecturale monégasque se déploie sur un siècle et demi, et révélé en passant une autre exception monégasque : l’inexistence de toute politique de protection des « monuments historiques ». Fort de son succès touristique depuis les années 1850, ce microterritoire (2 km2) n’a en effet cessé d’investir dans la construction, au risque de voir disparaître quelques architectures remarquables.

Façade sur mer du musée Océanographique, par Paul Delfortrie, 1897-1910 © Photo Jean-Philippe Hugron

Si Charles Garnier est l’architecte qui a le plus fortement marqué les esprits en aménageant la salle de spectacle, les archives locales ont permis de révéler l’une des grandes figures de l’architecture théâtrale de la fin du XIXe siècle, Henri Schmit, à qui l’on doit l’essentiel des nombreuses phases de travaux sur le Casino-Opéra. Monaco partage alors avec Nice une communauté de destin : marquées par l’architecture baroque, les deux villes le sont de la même façon par sa version contemporaine, l’éclectisme fin de siècle. Édouard-Jean Niermans fait partie de ces architectes qui ont fortement modernisé la Côte d’Azur autour de 1900. À Monaco plus encore qu’à Nice, cependant, les successives mises au goût du jour des hôtels et palaces ont largement effacé les traces de cette période faste.Cela rend d’autant plus précieux les dessins de Niermans qui, parmi d’autres, témoignent d’un moment décisif pour le paysage monégasque : l’émergence d’une architecture de grande échelle. Le guide publié par Jean-Philippe Hugron met très justement l’accent sur les figures de cette période, tel l’Amiénois Paul Delefortrie qui, avec le Musée océanographique, signe l’un des projets les plus représentatifs de la Principauté, à flanc de falaise et préfigurant ainsi les futures extensions sur la mer.

Au premier plan à gauche, Le Simona, par Jean-Pierre Lott et Suzanne Belaieff, 2008-2012. © Photo Jean-Philippe Hugron

Comme à Nice ou à Biarritz, c’est autour de 1900 qu’un premier changement d’échelle est perceptible, avec la construction ou l’extension des grands hôtels (l’Hermitage, puis l’Hôtel de Paris). Le territoire monégasque étant entièrement urbanisé dès 1930, l’urbanisation prend une ampleur sans pareille et, du fait des limites qui contraignent Monaco, des formes inédites à partir des années 1950. Eugène Beaudouin se saisit alors de ce site en amphithéâtre et cherche à en renforcer la prégnance. Architecte conseil de la Principauté de 1943 à 1962, cet admirateur des grandes compositions urbaines (Rome, Ispahan, Washington) perçoit aisément le genius loci de Monaco. Grand Prix de Rome, Beaudouin n’en adhère pas moins à certaines des thèses fonctionnalistes (zonage, fin de l’alignement des constructions au profit d’une orientation plein sud, grands espaces verts) que Le Corbusier vient de mettre sur le papier – la Charte d’Athènes est publiée en 1941. La combinaison de ces deux cultures urbanistiques aboutit à une composition ambitieuse, mais qui fait peu de cas du tissu ancien de Monaco.

Texte Simon Texier
Visuel à la une Au deuxième plan, Château Périgord I, par Joseph Fissore, 1968 © Photo Jean-Philippe Hugron

Retrouvez l’article Patrimoine sur Monaco , un luxueux laboratoire urbain dans Archistorm 113 daté mars – avril 2022