La région Centre-Val de Loire démontre son énergie créative et propose, à travers le Frac, une Biennale d’architecture dynamique hors des sentiers rebattus, mêlant art, architecture… et réflexion sur la place des femmes dans ces domaines.

La nouvelle dynamique du Frac Centre-Val de Loire lui permet de renouer avec sa mission fondatrice, à savoir : «la sensibilisation du public des régions aux formes contemporaines des arts plastiques en assurant aux œuvres acquises la diffusion la plus large. Cette nouvelle biennale permettra de faire vivre des rencontres artistiques faites d’expériences singulières et exigeantes pour toutes et tous, par des architectes et des artistes qui offrent une diversité́ de points de vues sur le monde et nous permettent d’interroger tout autant nos imaginaires que notre quotidien», explique Carole Canette, présidente de l’EPCC Frac Centre-Val de Loire. En 2017 et en 2019, les deux biennales organisées par le Frac Centre-Val de Loire avaient déjà eu la volonté de mettre un coup de projecteur sur les artistes et architectes femmes et de proposer ainsi une autre façon de penser moins autocentrée. «Depuis 2008, Vierzon a fait le choix de l’éducation, de la culture et de la solidarité́ pour que chacune et chacun, et d’abord nos enfants et nos jeunes, puissent trouver leurs voies de réalisation de soi. Cette politique culturelle active s’est traduite par la réappropriation de la culture, vecteur d’ouverture et de rassemblement, en plein cœur de ville (musée de Vierzon en 2013, Micro Folie en 2020, conservatoire à la Décale en 2018, médiathèque Paul Éluard en 2022). La Biennale d’architecture, entièrement (dé)localisée à Vierzon en 2022, prolonge évidemment cette politique culturelle exigeante en embrassant et interrogeant de plein fouet les chamboulements sociétaux actuels. Organiser la 3e Biennale d’architecture du Fonds régional d’art contemporain à Vierzon du 15 septembre au 1er janvier 2023 avec pour thème “Infinie Liberté́, un monde pour une démocratie féministe” semblait une évidence, à l’heure où notre monde et notre société́, traversés par des bouleversements inédits, sont interrogés dans leur organisation et leurs fondements les plus profonds», déclare Nicolas Sansu, maire de Vierzon. La Biennale du Frac Centre – Val de Loire 2022, entièrement dédiée à l’invitation exclusive d’artistes et architectes femmes, se veut d’abord celle d’un nouvel imaginaire fondé sur l’égalité́, où plusieurs lectures sociales, militantes et artistiques cohabitent dans la perspective d’impulser un nouveau sens commun. Elle est également celle d’un idéal de société́ fondé sur l’expérimentation renouvelée, les savoirs pluriels et l’action citoyenne. Quatre thématiques sont ainsi abordées. L’exposition intitulée « Le monde bâti des femmes » réunit les collections du Musée national d’art moderne Centre Pompidou, de la Cité de l’architecture et du patrimoine et du Frac Centre-Val de Loire, et porte un regard sur les femmes architectes qui ont œuvré́ à la fabrique du territoire et de ses utopies. On retrouve les travaux de Tatiana Bilbao, Iwona Buczkowska, Anna Heringer, Renée Gailhoustet, Studio Zaha Hadid, Angela Hareiter, Saba Innab. L’exposition « Le tiers féminisme » reprend l’idée du « tiers paysage » de Gilles Clément (Gilles Clément, Le Manifeste du Tiers-Paysage, 2003, Éditions Sujet/Objet) et son caractère « indécidé ». Le tiers féminisme correspondrait à̀ un refuge pour la diversité́ des féminismes, constitué par la somme des délaissé·e·s. Pensé comme un forum de débats, d’idées et d’actions, l’ambition est ici d’inviter vierzonnais·e·s, artistes, architectes femmes, autrices et citoyen·ne·s à interagir et à exhumer cette réserve afin de réfléchir sur un idéal de société́, et d’accompagner les mutations des politiques publiques et des actions citoyennes. Pour l’exposition « La tendresse subversive » à Orléans, ces deux mots – un quasi oxymoron – permettent la convergence des chemins. « Il s’agit ici d’infiltrer le réel “en dessous”, de le détourner de son sens, mais avec tendresse. Agir à la racine et se rappeler que la radicalité́ exige de se souvenir des premiers instants. L’exposition tente d’ouvrir le chemin de cette nouvelle typologie de l’art et de l’architecture », expliquent Nabila Metaiir, Marine Bichon et Abdelkader Damani, les commissaires de la Biennale. Parmi les artistes et architectes présentées, on retrouve Ana Maria Arévalo Gosen et Katharina Cibulka Hahn. La dernière thématique abordée est « L’utopie des territoires » avec de nombreuses architectes : Candice Breitz, Clémentine Chalençon, Katharina Cibulka, Férielle Doulain, Feminist architecture collaborative, Clarisse Hahn, Anne Houel, Flora Jamar, Mouna Jemal Siala, Ana Maria Arévalo Gosen. Et puis, dans le bâtiment (B23) historique de l’usine La Française à Vierzon, on est intrigué par un espace tout en légèreté, un exosquelette dont la matérialité a été rendue possible par un travail sur l’enlèvement de la matière.

Biennale d’Art et d’Architecture du Frac Centre-Val de Loire à Vierzon
© Rapolaya

Baptisé le Lieu des Savoirs, ce pavillon d’architecture est réalisé par Sophie Berthelier et Véronique Descharrières, toutes deux architectes ayant fondé leur propre agence. Sophie travaille entre autres avec les groupes scolaires et Véronique autour de l’animalité et les parcs zoologiques. Leur projet réalisé à quatre mains révèle, par des détours volumétriques et architectoniques, le caractère industriel de l’usine La Française (le B3). Dans cette réalisation, elles interrogent également la capacité d’une architecture à œuvrer pour la mutation des comportements, à habiter subtilement les lieux et impulser de nouvelles pratiques. « L’idée était de trouver des balises ou des lieux pour abriter des utilisations particulières dans la ville et aussi pour servir de balise la nuit. Pour nous, ce qui était extrêmement intéressant, c’est que nous pouvions commencer à parler du beau », commence Sophie. « … Et de la qualité également. Dans ce contexte de Biennale, on va évoquer des thèmes où finalement les femmes aussi peuvent se saisir de la question de la ville, de l’échange, du partage… Et des parcours symbolisés dans la ville. Sophie et moi nous sommes dit que c’était le moment de collaborer sur un projet commun, car ce qui nous intéresse c’est l’expérimentation et l’innovation.

Petit à petit, on est arrivé à trouver un dialogue, une matérialité commune, une tension, une volonté commune », complète Véronique. Cette œuvre participe à jalonner le parcours mental des visiteurs et opère comme un lieu de rencontres, où s’invite notamment la notion de FabLab à travers l’expérimentation, l’exposition et les débats qui s’y déroulent. Pensé à partir d’un jeu d’intervalles et de transparence, le pavillon est habillé d’un exosquelette et organisé autour d’un noyau en gradins à double rangée, pouvant accueillir jusqu’à 40 personnes. « L’idée de cette agora est d’en faire un lieu de rencontres, où les gens se refont face à face, peuvent s’interpeler et parler les uns avec les autres. C’est un manifeste qui dit que l’on peut faire du bien-être avec peu de moyens et faire la transition ente l’art et l’architecture », complète Véronique. Dans le contexte de cette Biennale autour de l’idée d’un monde pour une démocratie féministe, on peut s’interroger si un tandem d’hommes aurait pu concevoir le projet d’agora de Sophie et Véronique… « Oui, bien sûr. La question n’est pas dans le genre : est-ce qu’une femme conçoit différemment ? Non, évidemment que non. Si l’on peut parler de féminisme à l’intérieur de cette agora pour tous, alors… c’est gagné pour ce projet qui doit être placé après la Biennale dans la ville de Vierzon », conclut Véronique.

Infinie liberté, un monde pour une démocratie féministe
16 septembre 2022 – 1er janvier 2023, Vierzon
Un événement du Frac Centre-Val de Loire

Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : Biennale d’Art et d’Architecture du Frac Centre-Val de Loire à Vierzon © Rapolaya

— retrouvez l’article Création : Agora dans Archistorm 117 daté novembre – décembre 2022