CRÉATION

UNIQUE

Le galeriste italien Massimo De Carlo a ouvert à Paris, dans le Marais, un espace à l’opposé des white cubes traditionnels. Petite, sereine, minérale, minimale, voire monacale, l’unique pièce pensée par Kengo Kuma avec PiM.studio Architects propose de montrer… des pièces uniques. Retour sur ce pari visionnaire.

On ne présente plus le galeriste italien Massimo De Carlo (John Armleder, Maurizio Cattelan, Elmgreen & Dragset, Urs Fischer…). Ses galeries sont installées à Milan, à Londres, à Hong Kong et déjà dans l’espace numérique (VSpace). Paris manquait à ce tour du monde des possibles. C’est précisément ici qu’intervient la vision prospective et fondatrice de De Carlo. En effet, depuis près de dix ans, l’ensemble des galeries avaient installé une sorte de « loop marketing » avec des codes bien précis : white cube, expositions, vernissages, dîners, previews, VIP, tour du monde des foires… Quand Massimo De Carlo a pensé ouvrir un espace à Paris en 2017-2018, il a voulu s’éloigner totalement de ces codes et ne surtout pas ouvrir une galerie « classique ». Il souhaitait « retourner à l’essence même d’une galerie et retourner à ce que la galerie représentait pour [lui] quand [il] a commencé cette passion. Un espace des artistes pour les artistes ». Un flagship, un porte-étendard, un manifesto pour penser autrement la monstration des œuvres. Un nouveau départ…

DNA:Orange:Work, McArthur Binion, 09.03.2021 – 27.03.2021. Photo by Thomas Lannes. Courtesy MASSIMODECARLO

Et l’idée géniale que Massimo a eue est de reprendre un concept qui existait déjà. Un concept créé par un autre grand homme de l’art contemporain, Lucio Amelio, qui ouvre en 1988, la galerie Pièce Unique, située au 4, rue Jacques-Callot, dans le 6e arrondissement de Paris. Son originalité consistait à exposer une seule réalisation d’un artiste, spécialement conçue pour le lieu et visible depuis la vitrine éclairée jusqu’à 2 heures du matin. L’autre raison du nom donné à la galerie résidait dans le fait que son unique « Pièce » était entièrement dédiée aux travaux d’artistes, les bureaux étant relégués juste au-dessus, au premier étage.

Après la disparition de Lucio Amelio, Pièce Unique a continué un temps, puis a décliné. Massimo De Carlo a alors acquis la marque pour créer Massimo De Carlo Pièce Unique. Ainsi il respecte et reformule pour le XXIe siècle l’héritage du projet historique d’Amelio, avec l’ambition de renouveler l’idée originale, d’insuffler une nouvelle perspective et d’ajouter un modèle d’exposition alternatif au sein du monde de l’art. N’ayant pas pu récupérer l’espace originel de la rue Jacques-Callot, De Carlo s’est mis en recherche d’un autre espace dans la capitale. Son choix s’est porté sur un lieu de 50 mètres carrés situé rive droite, au cœur du quartier des White Cube Galleries… comme un pied de nez.

Amelio avait ouvert sa galerie avec une architecture conçue à l’époque par l’artiste-architecte Cy Twombly. Pour parachever l’hommage, De Carlo reprend l’idée et s’entoure d’architectes-artistes. Il voue une passion au Japon, est très proche de la culture de ce pays. La maison qu’il habite à Milan « renferme de très nombreux objets rapportés du pays du soleil levant ». Lorsque De Carlo s’est interrogé sur le choix de l’architecte pour son espace, son équipe a réalisé une micro-sélection finale de plusieurs d’entre eux. Les architectes de PiM.studio — bons amis de De Carlo et de Kengo Kuma — ont permis de faire le lien. Un rendez-vous fut organisé en janvier 2020. Tous ensemble, ils ont visité trois espaces, et celui de la rue de Turenne a été retenu.

Clay Baby (m.l.), Kaari Upson, 09.02.2021 – 27.02.2021. Photo by Thomas Lannes. Courtesy MASSIMODECARLO

« Pour la conception de Massimo De Carlo Piece Unique, nous nous sommes inspirés de la galerie originale de Saint-Germain et, d’une certaine manière de la prégnance de l’architecture parisienne traditionnelle, expliquent de concert Kengo Kuma et PiM.studio Architects. Ce concept très fort d’exposer une seule et unique œuvre d’art nous a inspiré la création d’un design spécial pour souligner cette approche encore très innovante d’exposer l’art. Ainsi nous avons divisé l’espace originel en deux zones, en recréant approximativement la taille et les proportions de la galerie d’origine depuis la rue, et avec une grande façade vitrée — la vitrine. Nous avons voulu souligner la relation entre la rue et l’espace de la galerie, entre le passant et l’art exposé à l’intérieur : la vue des œuvres d’art depuis la rue est, en fait, un aspect important du projet. Pour l’intérieur, nous voulions créer un espace riche et texturé en retirant plutôt qu’en ajoutant de nouveaux éléments. Nous avons retiré les finitions accumulées au fil des ans sur les deux murs principaux et les plafonds. Nous avons ainsi révélé la beauté nue de l’architecture parisienne traditionnelle, avec cette pierre de Paris si particulière, et en redécouvrant le bois du plafond. Cette même approche nous a permis de concevoir le desk de réception en utilisant la même pierre parisienne, avec le parti pris de laisser les faces visibles aussi rugueuses qu’elles l’étaient après avoir été taillées dans la carrière. Un sol en argile texturé complète les matériaux existants dans la galerie. En contrepartie à ces aspects rugueux, pierreux, les murs blancs d’exposition de l’œuvre créent un équilibre serein. Dans l’espace d’exposition, nous avons également conçu un meuble simple et modulable qui peut être utilisé pour stocker des œuvres d’art ou pour les exposer, et qui peut être transformé en un espace de travail flexible si nécessaire. »

Pièce Unique était déjà un concept totalement novateur à la fin des années 1980. De Carlo va encore plus loin, donne un coup de pied supplémentaire dans la fourmilière des white cubes. Massimo De Carlo Pièce Unique revendique d’être une galerie sans événements : « pas de vernissage, pas de dîner, pas de VIP. » Massimo De Carlo Pièce Unique va également expérimenter un nouvel équilibre entre projets physiques et initiatives numériques, grâce à un site Web innovant et à une chaîne Instagram.

Alors, allons joyeusement puiser dans l’histoire et les histoires pour excaver des idées puissantes qui, mixées avec la contemporanéité, feront des concepts visionnaires disant la mutation en train de se jouer.

Texte Yves Mirande
Visuel à la une La galerie Massimo De Carlo Pièce Unique. Photo by Delfino Sisto Legnani and Piercarlo Quecchia. Courtesy MASSIMODECARLO

Retrouvez l’article Création sur la Galerie Massimo De Carlo Pièce Unique dans Archistorm daté mai – juin 2021