DOSSIER SOCIÉTAL

ADAM KALKIN
VOYAGES AU LONG COURS

Artiste et architecte utilisant aussi bien la vidéo, l’installation, la performance, le dessin que la réification bâtie, Adam Kalkin œuvre aux franges de disciplines multiples. Ce croisement de cultures s’illustre à travers ses derniers projets architecturaux, comme une maison au Koweït ou un ensemble d’une centaine de logements en Virginie, aux États-Unis. On y retrouve une déclinaison du conteneur, qui est la marque de fabrique du créateur ainsi qu’un vecteur de son discours critique sur le monde. Un regard rétrospectif sur son œuvre est une invitation au voyage qui nous permet aussi de regarder notre contemporanéité avec de nouveaux filtres critiques.

Les sites Web, les réseaux sociaux, les magazines grand public nous abreuvent au quotidien d’architectures plus extraordinaires les unes que les autres, implantées aux quatre coins du monde. En matière de maison individuelle, plus particulièrement, c’est la surenchère à coups de parallélépipèdes d’une grande rigueur minimaliste, très largement ouverts par d’immenses baies vitrées sur de gigantesques terrasses. Au final, cette opulence d’espace et de matière finit par se noyer dans une masse uniforme, sans saveur particulière.

Abordant la question de l’habitat sous des formes multiples — collectif, individuel, habitat d’urgence — l’œuvre de l’architecte et artiste américain Adam Kalkin se démarque fortement.

Maison Adriance, Blue Hills, Maine, États-Unis © Peter Aaron/ Esto

Un parcours rétroactif à travers l’ensemble de son œuvre est autant une invitation à un voyage dans un univers frôlant l’onirique qu’une occasion de questionner la discipline, ses modes de production, ainsi que nos modes de vie. La maison au Koweït qui sera livrée tout prochainement est un assemblage d’éléments aussi inventifs qu’inattendus dans un site désertique : sous une large toile de tente sont empilés un ensemble de conteneurs de transport qui abritent l’habitation.

Sous d’autres latitudes, Kalkin propose d’autres configurations adaptées. Il y a quelques années, il livrait dans le Maine la maison Adriance, faite d’un hangar industriel sous lequel 12 conteneurs sont empilés deux par deux. Placés en bordure de l’habitation, les modules délimitent un large espace central de type loft. Accueillant les espaces privés —chambres, salles de bains, bureaux — ou totalement ouverts en rez-de-chaussée pour loger cuisine et bibliothèque, les conteneurs sont en connexion directe avec l’espace collectif central et ils structurent la maison selon un plan simple qui valorise de larges espaces et la communication entre les habitants. Ce collage improbable suscite une question pour le moins incongrue en matière d’habitat : « Mais de quels voyages au long cours peut bien revenir cette maison ? ». Les conteneurs nomades ont ici jeté l’ancre, et la construction Lego ne néglige aucun confort moderne.

Standard, singulier et écologique

Si ce type de constructions standardisées présente de grands avantages — elles sont écologiques, car issues du recyclage, bon marché et solides —, Kalkin s’y intéresse pour les possibilités de détournement qu’offrent les matériaux de cet univers fortement connoté : le hangar de la marque Butler est un symbole de la réussite industrielle américaine et il abrite les icônes de la circulation portuaire internationale. Ces conteneurs sont ainsi les acteurs d’une sédentarité qui garde en mémoire un certain nomadisme.

Maison Adriance, Blue Hills, Maine, États-Unis © Peter Aaron/ Esto

Installé dans le New Jersey, c’est lors de ses déplacements à New York que le concepteur de ces maisons a eu l’idée de recycler les conteneurs de transport dans un cadre domestique. Les importations étant supérieures aux exportations aux États-Unis, on croise le long des routes de vastes cimetières de ces boîtes métalliques. Kalkin est sensible à la puissance poétique de ces déchets industriels et leur imagine une seconde vie possible, recyclés en logements bon marché, écologiques, et à la mise en œuvre rapide.
C’est en découvrant ce processus de pensée, décelable en filigrane dans la propre habitation de l’artiste-architecte, la Bunny Lane, qu’Anne Adriance avait souhaité lui confier son projet de résidence secondaire. La maison personnelle d’Adam Kalkin compose en effet un véritable cadavre exquis de l’architecture aux étonnants rapports d’échelle : un grand volume préfabriqué englobe un pavillon vernaculaire qui préexistait sur le site. Cette configuration de poupées russes — une maison dans la maison — métamorphose les espaces autrefois extérieurs en espaces couverts, tandis qu’une façade du cottage apparaît en vitrine, derrière une partie vitrée de l’entrepôt qui l’accueille. À l’extrémité opposée, neuf alcôves se superposent et dévoilent leurs fonctions à la manière d’une gigantesque maison de poupées. La Bunny Lane a été suivie, quelques années plus tard, par d’autres réalisations tout aussi inventives spatialement : ainsi de la Jaw-Dropping Shipping Container Home, où deux empilements de modules sont reliés par une passerelle extérieure. Ici, les conteneurs gardent en façade les traces graphiques de leur origine. Manipulant l’univers du loft, de l’habitat vernaculaire et le vocabulaire industriel, la marmite de Kalkin bouillonne de propositions pour des modes de vie où l’organisation s’appuie sur un imaginaire affranchi des fonctions prédéterminées. Les réalisations de Kalkin révèlent un processus de conception peu linéaire ou rationnel. Actuellement, au sein d’Industrial Zombie, la société de design, d’ingénierie et de fabrication qu’il a créée avec Matthew Quilty, Adam Kalkin développe de nouveaux projets toujours inattendus, comme une résidence de 100 logements sur une rivière, en Virginie, une maison d’artistes à New York ainsi que le siège social d’une société de l’aérospatial axée sur la mise au point de carburants plus écologiques, localisée dans le Maine. (…)

Texte Sophie Trelcat
Visuel à la une Shelburne Museum, Shelburne, Vermont, États-Unis © Peter Aaron/ Esto

Retrouvez l’intégralité du Dossier Sociétal sur Adam Kalkin, Voyage au long cours, dans Archistorm daté septembre octobre 2021