DOSSIER SOCIÉTAL

KOOLHAAS’ KIDS

En presque un demi-siècle d’analyses, de théories et de réalisations, la sphère koolhaassienne a multiplié les coups de théâtre jusqu’à ancrer solidement et diffuser une nouvelle approche de la ville et de l’architecture. L’impact de cette vision au sein de la discipline a engendré une deuxième et aujourd’hui même une troisième génération d’acteurs convertie à l’instabilité contemporaine.

Depuis les années 1990, la scène internationale de l’architecture est marquée par un ensemble de créateurs rompus aux leçons de l’Office for Metropolitan Architecture (créé en 1975 par Rem Koolhaas, Madelon Vriesendorp, Elia et Zoe Zenghelis) qui bouleversent la profession. MVRDV, XDGA, OFFICE ou encore BIG, toutes ces agences se distinguent par une approche libérale de la discipline et une pratique débridée générant des expériences visuelles et spatiales inédites. Un bref retour sur les fondements du contexte national, géographique, historique et culturel de la mouvance koolhassienne permet de mieux saisir cette dernière. Les Pays-Bas sont un pays neuf à la géographie partiellement artificielle : une fraction de son territoire est issue de la poldérisation, et une grande partie du bâti a fait suite aux ravages de la Seconde Guerre mondiale. Entre contraintes naturelles et historiques, la Hollande entretient une tradition en matière de production de nouveaux paysages, associant zones à fortes densités urbanisées et réserves naturelles aménagées et protégées. L’identité culturelle reste par ailleurs marquée par la tradition calviniste, qui se manifeste aujourd’hui à travers une philosophie conceptuelle et minimaliste.

Kortrijk Xpo, architectes OFFICE, Courtrai © Bas Princen

Tirer le fil…

Quelle que soit la génération, il est aujourd’hui possible d’identifier une école issue de l’enseignement de l’OMA, au sein de laquelle chacun développe ses stratégies personnelles, liées cependant à un concept commun : la gestion de la densité dans un paysage considéré comme instrument conceptuel. À cet égard, les projets et recherches développés par l’équipe néerlandaise MVRDV — créée en 1993 et dont l’un des trois cofondateurs, Winy Maas, fut formé auprès de Rem Koolhaas — s’affichent comme précurseurs. Publié en 1998, leur manifeste, Farmax, est désormais une référence. Le livre traite notamment des domaines urbains continus composés de logements bon marché, de bureaux à louer à bas prix, d’entrepôts et autres éléments urbains de basse densité. Ces étendues sont lues en tant que Datatown s’appuyant uniquement sur des données — les datascapes — et non sur une topographie, une idéologie, un contexte ou une représentation. Comment sortir de cette substance qui transforme notre environnement en une vaste étendue grise et médiocre ? Est-il possible de reconsidérer cette situation en poussant la densité jusqu’à un extrême ? Sous l’effet de quelle polarité mettre cette substance en agitation ?

Édifié en 2014, le projet Markthal les amenait à interroger, cette fois, l’équilibre entre pouvoir public et initiative privée. Prenant la forme d’une arche gigantesque, contenant 228 logements, l’extraordinaire construction réussit à transformer un projet de développement privé en bâtiment public. En effet, sous ses 40 mètres de hauteur, l’arcade accueille un marché traditionnel avec ses étals de fruits et légumes, sur lesquels donnent les appartements traversants. Publié dix ans plus tôt, Five Minutes City, leur livre sur la mobilité, trouve une nouvelle pertinence à l’aune de la crise sanitaire actuelle et des restrictions de déplacement. Établissant un lien entre les équipements de la ville et le temps requis pour les atteindre, la recherche interroge les besoins et la nature de l’urbain envisagés selon la temporalité : que serait la « ville des cinq minutes » ?

Typologies libérées

Nées de pratiques locales et nourries d’une culture internationale, les expérimentations de ces concepteurs passent par l’immersion dans ce que d’autres vivent comme des contraintes. Leur principale source d’inspiration est une acceptation et une interprétation pragmatique des forces sociales qui déterminent la réalité quotidienne de la pratique architecturale. Développant une analyse du contexte sans idées préconçues, leur processus d’intervention commence souvent par le souci d’établir les forces externes et internes potentiellement signifiantes pour le projet. Le brillant travail de l’architecte belge Xaveer De Geyter, fondateur de l’agence XDGA dans les années 1990, formé également au sein de l’OMA avec laquelle il collabora durant une décennie, illustre parfaitement le propos : « L’architecture concerne l’ouverture de possibilités : les potentiels d’un site, les opportunités cachées d’une situation particulière à un moment donné, d’un conflit programmatique. » L’agence revendique une décortication méticuleuse du programme et du contexte, « ce dernier n’étant pas uniquement le contexte physique alentour, mais celui des champs élargis du social, de l’économique, du politique, de l’administratif et aussi les questions techniques, tous ces champs étant envisagés à niveau égal ». Ce scanner ouvre des domaines inexplorés, révèle des possibilités cachées ou relie ensemble des incompatibilités du projet. Le contexte s’en trouve alors complètement transformé.

École Melopee 195, architectes XDGA, Gand © Maxime Delvaux

Ainsi de l’école Melopee à Gand qu’il vient de livrer en bordure de bassin de l’ancien port de Gand en pleine restructuration, selon un plan dessiné par l’OMA. La construction bouleverse totalement l’organisation spatiale attendue pour ce type d’équipement. Pour organiser un programme dense sur un terrain contraint — école primaire, garderie, centre de loisirs et des équipements sportifs pour l’école et le quartier, autant de fonctions dont les relations les unes avec les autres sont complexes —, Xaveer De Geyter a imaginé une gigantesque structure tramée en acier. Cette grille accueille les espaces clos d’un côté, tandis que de l’autre, face à l’eau, l’ossature permet d’empiler des plateaux et de concentrer les programmes extérieurs tels que jardin, terrain de basket, cour de récréation, amphithéâtre extérieur, toboggan, bac à sable, reliés par des jeux de passerelles et d’escaliers. Il est très inhabituel d’assister à une densification ainsi dans la hauteur d’espaces qui généralement s’étalent et consomment de grandes surfaces au sol. (…)

Texte Sophie Trelcat
Visuel à la une 168 logements, projet 79th and Park, architectes BIG, Stockholm © Laurian Ghinitoiu

Retrouvez l’intégralité du dossier sociétal Koolhaas’ kids dans le daté mars – avril 2021 d’Archistorm