DOSSIER SOCIÉTAL

L’AGRICULTURE URBAINE : VERS DE NOUVELLES SOCIABILITÉS

Face à l’urbanisation croissante, à la raréfaction des terres agricoles et aux nécessités de « construire écologique », les pouvoirs publics tentent de réguler la transformation inéluctable de la ville par des politiques dites « vertes » : toitures plantées, corridors végétaux, coulées et trames vertes et bleues… Toutes manifestent la volonté d’atténuer les nuisances urbaines.

Le développement d’espaces agricoles en ville en est une autre version et représente aujourd’hui une tendance forte, notamment en s’associant au bâti.

L’agriculture urbaine est désormais reconnue par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) comme une nécessité afin de permettre le développement durable de la ville. On le sait, elle est source de nombreux avantages, comme la réintroduction de la biodiversité, la régulation thermique et encore la production d’une alimentation locale et bio en ville. Cette pratique ne pourrait toutefois pas s’ériger en solution face à la raréfaction des terres cultivables. En effet se posent les questions du rendement, et donc celles de la surface disponible et du type de culture possible. À Paris, par exemple, et d’après l’Apur, 16 000 hectares de cultures seraient nécessaires pour assurer l’autosuffisance de ses habitants en fruits et légumes, ce qui représente une fois et demie la surface de la ville. Il y a donc un équilibre à trouver et un modèle économique à ajuster, car l’agriculture urbaine sera toujours limitée. Quoi qu’il en soit, il s’avère que l’espace agricole est de moins en moins étranger à la ville. Quelles en sont les traductions spatiales ? L’agriculture urbaine peut-elle agir sur la qualité urbaine et architecturale ? Pourrait-elle être un vecteur de l’activation de l’espace public ?

Des usages agricoles pour l’architecture

Renouveler, par l’agriculture urbaine et le végétal, les formes et les usages de l’architecture, tel est le fil conducteur de l’agence Chartier-Dalix. Cette dernière saisissait l’occasion du concours atypique « Réinventer Paris » (ici, pour partie en collaboration avec l’architecte Jacques Ferrier) pour métamorphoser le boulevard périphérique de la porte-Maillot en un paysage partagé. Pour cela, ils ont imaginé une structure habitée, recouverte d’un jardin ouvert à tous, et qui enjambe le périphérique. Sur cette dernière, Frédéric Chartier et Pascale Dalix ont dessiné un immeuble de logements à structure bois. Les façades sont toutes prolongées par de larges balcons végétalisés, tandis que sur la toiture sont plantés des champs de thé qui constitueront la culture du premier cru de thé parisien. Les habitants des logements et les usagers des bureaux intégrés au projet pourront profiter de ce jardin extraordinaire surplombant la ville.

Un espace de dégustation est aménagé, tandis qu’en rez-de-chaussée sont installés des fours à thé et les installations pour son conditionnement. Une boutique partenaire offrira le cru à la vente. « L’idée est d’installer l’ensemble de la chaîne économique pour rendre viable l’activité », explique Pascale Dalix. Déjà éprouvée dans d’autres réalisations de l’agence, la question de la pérennité des espaces plantés est envisagée comme part entière du projet et dès les prémices de ce dernier. Porte-Maillot, un paysagiste a conçu les plantations des balcons, et la copropriété sera tenue d’en gérer l’entretien. Pour cela, un accord a été passé avec l’École du Breuil, spécialisée dans les arts et techniques du paysage de la ville de Paris, dont les apprentis trouveront ici un lieu de pratique de l’horticulture en ville.

Pôle logistique Sogaris, Vitry-sur-Seine, Chartier-Dalix

Les bâtiments ressources

Pour Pascale Dalix et Frédéric Chartier, développant une pensée théorique sur « le bâtiment ressource », cette approche de l’architecture est susceptible de faire renouer les urbains avec la question des saisons : « L’agriculture urbaine redonne la conscience que tout n’est pas disponible tout le temps. De plus, la question de la relation sociale est reconsidérée, car les gens échangent des savoirs. De même pour celle du partage du temps : comment un immeuble d’habitation se réorganise-t-il ? » En effet, il est possible d’imaginer un nouveau temps de travail qui intégrerait une part liée à l’activité agricole au sein d’un édifice. Les fondamentaux architecturaux s’en trouvent bouleversés : « un toit n’est plus un toit, les circulations extérieures et intérieures ainsi que les accès au bâtiment sont totalement réorganisés. »

Ces interrogations s’illustrent aussi pleinement dans le cadre du projet de pôle logistique, actuellement en cours à Vitry. Dès le départ, Chartier et Dalix ont interrogé ce que le bâtiment pourrait offrir au quartier qui accueillera par ailleurs des logements : l’édifice entre en interférence totale avec la ville en aménageant un hectare d’activités agricoles en toiture. La pousse verticale sera également développée, tandis qu’un espace de pleine terre formera la ceinture du bâtiment. Il sera possible d’y créer des jardins nourriciers confiés au même exploitant que celui de la toiture, et d’autres participatifs qui seront investis par les habitants des logements. À l’étage, des ateliers pourront être utilisés différemment au fil des saisons, par exemple pour la mise en bocaux de tomates, lors des récoltes. Les circulations sur le toit seront une nouvelle façon de vivre l’édifice, parcourable par des circulations extérieures. Le projet Sogaris réinterroge les programmes imposant des mastodontes étanches en ville, l’agriculture urbaine et les jardins leur offrant de sortir de leur mutisme pour interagir avec la ville et les habitants. (…)

Cité maraîchère de Romainville, par ilimelgo architectes
© poltred

Texte Sophie Trelcat
Visuel à la une Réponse au concours « Réinventer Paris » par l’agence Chartier-Dalix. Pour partie en collaboration avec l’architecte Jacques Ferrier. Transformation du boulevard périphérique de la porte-Maillot en un paysage partagé

Retrouvez l’intégralité du dossier sociétal sur l’agriculture urbaine : Vers de nouvelles sociabilités, dans Architsorm daté mai – juin 2021