Ouvrage d’art long de 200 mètres enjambant les 29 voies ferrées qui séparent les quartiers Amédée Saint-Germain et Armagnac, le pont de la Palombe est construit au sud de la gare Saint-Jean, à Bordeaux. Il s’érige au cœur d’un quartier empreint d’une histoire fortement liée à son activité ferroviaire. Le projet s’inscrit dans le cadre d’un concours ouvert à l’échelle de l’ensemble des secteurs de la ZAC aménagée par Bordeaux Euratlantique. Conçu par l’équipe Marc Mimram Architecture et Ingénierie et Artelia, réalisé par Bouygues Travaux Publics et le groupe belge Victor Buyck Steel Construction, le pont est inauguré à l’issue d’un chantier colossal. Ce viaduc faisant partie intégrante du programme d’aménagement de l’Opération d’Intérêt National Bordeaux Euratlantique atténue désormais la frontière physique créée par les voies ferrées.
Entretien Arnaud Boulinguez, Directeur des travaux, Bouygues Travaux Publics Régions France
Quelle a été la mission de Bouygues Travaux Publics Régions France dans le cadre de ce projet, et quelles sont les expertises apportées ?
Dans le cadre de ce projet, Bouygues Travaux Publics Régions France (Bouygues TP RF) a opéré en tant que mandataire du groupement d’entreprises titulaire du marché.
En complément des missions de mandataire – incluant coordination et pilotage général de l’opération –, Bouygues TP RF avait également en charge la réalisation des études d’exécution des ouvrages en béton armé, la réalisation des travaux des ouvrages préparatoires pour les plateformes de lançage de la charpente métallique, des appuis de l’ouvrage de franchissement principal et des ouvr-
ages de la rampe d’accès. Et enfin, la réalisation des travaux d’équipements et de superstructures.
Quelles sont les lignes structurantes du projet ?
Il s’agit d’un ouvrage de franchissement principal avec des ouvrages d’accès latéraux. Le projet se compose ainsi de trois parties : la rampe courbe du côté du quartier Armagnac, le franchissement principal et la rampe du côté du quartier Amédée Saint-Germain. Il y a néanmoins eu deux marchés afin de permettre le raccordement d’une rive à l’autre. Tout d’abord, le marché du pont de la Palombe, comprenant la réalisation de l’ouvrage de franchissement principal et des ouvrages de la rampe d’accès côté Armagnac. Ensuite le marché dit « des ouvrages de raccordement au pont de la Palombe » comprenant la réalisation de plusieurs ouvrages dont la rampe d’accès côté Amédée Saint-Germain.
Techniquement, le franchissement se compose d’un caisson principal complété par deux poutres en treillis, d’un tablier avec arcs en superstructure et d’une passerelle piétonne soutenue par des consoles métalliques. La rampe courbe côté Armagnac se compose quant à elle de deux segments, avec une structure principale en béton armé, longue d’une centaine de mètres, puis se terminant par un remblai.
Quelles ont été les grandes phases du chantier ?
Ce chantier relativement long s’inscrit dans une opération globale d’aménagement pilotée par Bordeaux Euratlantique. Nous avons été adjudicataires en 2016, pour une livraison en 2021 puis une mise en service au printemps 2022.
Tout d’abord, le projet a débuté par une période de préparation, avec notamment la réalisation des études d’exécution et des études des ouvrages provisoires, la mise au point des formulations des bétons architectoniques, puis la réalisation des appuis de l’ouvrage de franchissement principal dans le domaine ferroviaire, selon le calendrier fixé par SNCF Réseau. Après l’acheminement des éléments, les premières étapes de construction ont été l’assemblage et la mise en place de l’ouvrage métallique du franchissement principal par lançages. Après l’achèvement des opérations de lançage, le montage des ouvrages de la première rampe d’accès a pu débuter. Enfin, les éléments de superstructures ont été réalisés et tous les équipements ont été installés.
Entretien Olivier Peyratou, Directeur de projets et Dominique Hallaert, Directeur de projets, Victor Buyck Steel Construction
Quels ont été les défis techniques relevés ?
Commençons par les chiffres clés : la longueur du pont est de 200 mètres pour une largeur de 18 mètres. Il franchit 500 mètres au-dessus des 23 voies ferroviaires de la gare de Bordeaux Saint-Jean. Le poids de l’ouvrage atteint environ 2 000 tonnes.
VBSC a fabriqué les éléments du pont au sein de ses ateliers à Eeklo, en Belgique. Les 50 tronçons du pont et les deux tronçons des arches ont ensuite été acheminés par convois exceptionnels routiers jusqu’à Bordeaux.
Les convois déchargés via des grues par phases de cinq tronçons ont ensuite été montés sur une rampe de lançage puis soudés entre eux. Après que les 25 premiers tronçons furent soudés, l’installation de l’avant-bec et de l’arrière-bec a commencé pour permettre le lançage, suivant un profil rigoureusement calculé par nos ingénieurs.
Pour des raisons techniques évidentes, ce pont ne pouvait être monté ni soudé directement au-dessus des voies ferroviaires. La mise en place d’une estacade et d’une rampe de lançage, nécessaires au montage, a rendu possible l’exécution du lançage suivant un profil permettant de franchir les voies de chemins de fer et leurs caténaires.
Sur une longueur totale de 100 mètres, comprenant l’avant-bec, l’arrière-bec et le système de lançage – composés notamment de câbles et d’un vérin à creux –, le premier lançage a eu lieu en décembre 2017 pendant une coupure de circulation des voies de chemins de fer.
À la suite de cette opération, l’espace libéré sur la plateforme de lançage et l’estacade permettait la construction de la seconde partie du pont. De nouveau, 25 tronçons ont été livrés puis soudés, de même que les deux arches. En mai 2018, le second lançage eut lieu, suivi au mois de juin par le dévérinage.
Quelles étaient les exigences auxquelles vous avez dû répondre ?
Les principales exigences ont été, en premier lieu, le soin apporté à l’architecture unique du pont impliquant une maîtrise de la géométrie tant en phase de soudage qu’en phases provisoire et finale. La géométrie du pont et des arches a finalement bien été respectée.
Ensuite, il a fallu tenir compte des délais stricts. Trois créneaux de coupures de circulations des voies pour les deux lançages puis le dévérinage ont été prévus longtemps à l’avance.
Enfin, l’une des exigences concernait l’entretien, qui se devait d’être minimisé afin de ne pas avoir à interrompre à l’avenir le trafic ferroviaire en dessous de l’ouvrage. Ainsi, le choix du matériau principal pour ce pont s’est porté sur l’acier autopatinable. Il s’agit d’un acier qui rouille immédiatement, mais dont le processus corrosif stoppe dans le temps, grâce à la formation d’une couche d’oxydation autoprotectrice. Ce type d’acier ne nécessite donc pas l’application d’une peinture anticorrosion et constitue pour cette raison un avantage vis-à-vis de son entretien sur le temps long.
Entretien Yann Henry, Chef de projet, Artelia
Quel a été le rôle d’Artelia au cours de ce projet ? Quelles expertises avez-vous apportées ?
L’équipe de Marc Mimram Architecture et Ingénierie, qui a conçu et réalisé les calculs des ouvrages, a fait appel à Artelia en ce qui concerne le suivi et la réalisation des travaux. Nous sommes intervenus à partir de l’étape de l’étude de projet, durant laquelle a été réalisée la gestion de l’interface SNCF et notamment l’organisation des différentes coupures de réseau. Ensuite, lors de la phase d’exécution, nous avons piloté cette interface en participant à toutes les procédures spécifiques liées à la sécurité ferroviaire, devant être rédigées par le mandataire et validées par la SNCF afin d’avoir les autorisations nécessaires aux travaux. Nous avons assuré la mission de préparation et de suivi des travaux du chantier en travaillant à partir des méthodes proposées par l’entreprise. Nous les avons validées ou au besoin amendées afin de nous assurer du bon déroulement des opérations.
Le pilotage des travaux en interface du domaine ferroviaire a été mené avec un sous-traitant spécialiste des représentants sécurité opérationnelle (RSO), l’entreprise ATIF. Je souhaite par ailleurs souligner la qualité du travail réalisé par les équipes travaux Bouygues TP RF, tant en termes d’études et méthodes qu’en termes de réalisation de travaux.
Quelles sont les spécificités de cet ouvrage d’art ?
Tout d’abord, un ouvrage classique subit une grande dilatation longitudinale et une faible
dilatation latérale, la dilatation dans les deux sens est très rare. Mais ici, à cause de la rampe placée en angle de 90 degrés, le tablier métallique qui possède une grande dilatation longitudinale doit se marier avec une rampe en béton qui subira des dilatations à la fois longitudinales et latérales. Il a donc fallu placer à cet endroit un joint spécifique qui résiste à la dilatation bilatérale tout en conservant son rôle d’étanchéité. Les avis techniques n’existant pas pour ce genre de produits très spécifiques, nous avons commandé un joint de chaussée conçu sur mesure par Robert Chartier Application.
Parmi les autres spécificités techniques, l’ouvrage possède deux arcs, ce qui en termes de mise en œuvre et de soudure donne lieu à d’importantes épaisseurs. En ce qui concerne l’étanchéité, comme la rampe est en béton, alors que la console est métallique, la jonction entre les deux matériaux est difficile à gérer. Les produits d’étanchéité de chacun de ces deux matériaux ne sont pas compatibles. La solution a consisté à créer de petites barrières d’une très faible épaisseur pour que les deux parties concomitantes ne se touchent pas.
Enfin, comme la semelle de la pile P1 est très proche de la voie SNCF, le fût de pile présentait un excentrement par rapport à la semelle. Celle-ci fondée sur pieux a nécessité la mise en œuvre de quelques pieux précontraints, le pont de la Palombe se voyant ainsi hissé au rang d’unique ouvrage d’art avec pieux précontraints en France.
Par Cléa Calderoni
Toutes les photographies sont de © Erieta Attali
— Retrouvez l’article dans Archistorm 132 daté mai – juin 2025