Roquebrune-Cap-Martin recèle désormais trois architectures emblématiques de villégiatures sur la Riviera. Cette commune méridionale des plus pittoresque comptait déjà l’innovante Villa E-1027 bâtie en 1929 par l’Irlandaise Eileen Gray et le Cabanon de Le Corbusier – archétype minimaliste construit en 1961 sur la base du Modulor, si cher à l’architecte moderne. S’y est tout récemment greffé The Maybourne Riviera, restructuration lourde du Vista Palace opérée avec brio par Jean-Michel Wilmotte.

Montée en puissance

Loin de la caricature « touristique » de Monte-Carlo, sa voisine, Roquebrune a – depuis longtemps – su mettre à profit les vertus de ses escarpements, dans les contreforts orientaux du mont Angel jusqu’à son cap, pour développer une cité balnéaire à échelle humaine et paysagère.

Depuis 1920, un équipement hôtelier y culmine à 330 m, sur un piton rocheux le long de la Grande Corniche peu avant d’arriver à son château médiéval. Il y a un siècle, il ne s’agissait que d’un modeste hôtel de cinq chambres à l’architecture provençale, dénommé le Vistaéro. Détruit pendant la seconde guerre mondiale, puis reconstruit dans les années 1950, il fera finalement place – dix ans plus tard – à une construction moderne d’assez belle facture dessinée sur son éperon par André Minangoy, dont les balcons offraient à leurs hôtes une vue panoramique incroyable allant de Monaco aux côtes ligures. L’ayant racheté pour l’ « upgrader » en cinq étoiles, l’industriel allemand Max Grundig l’agrandit de façon conséquente en 1987. Une extension vient dénaturer le subtil équilibre du bâtiment des sixties coiffant la falaise tandis que sont annexées en contrebas de la route, la villa Skopicki et des constructions en restanques. Le Vista Palace, son nouveau nom, sera racheté en 2005 par un fonds d’investissement italien qui le conduira à… la cessation de paiement en 2014.

Seul le « Vista Aéro » émerge, tel un iceberg, du piton tandis que sa piscine à débordement semble « entablée » dans le rocher © Stéphane Aboudaram

Remonter la pente

Deux ans plus tard, l’ancien émir du Qatar s’en rend acquéreur et le fait entrer dans le giron du Maybourne Hotel Group[1] dont Paddy McKillen a repris les rênes. Le promoteur hôtelier et homme d’affaires irlandais est aussi le très inspiré propriétaire de Château La Coste, propriété viticole du Luberon où il a pu assumer sa passion pour l’architecture et l’art contemporains. Il fait appel à Jean-Michel Wilmotte pour réarchitecturer l’établissement, cette restructuration lourde devant également permettre de passer de 7 250 à 9 461 m2 et de 70 à 83 clés, dont 16 suites. Auteur du Mandarin Oriental et de la rénovation du Lutetia à Paris, l’architecte n’est pas un inconnu sur la Riviera où il a reconverti l’ancien siège de Radio Monte-Carlo en Novotel**** (2007), rénové en palaces La Réserve à Ramatuelle (2009) et Cheval Blanc à Saint-Tropez, et livrera l’été prochain l’hôtel-spa Le Menton*****.

« Pour atteindre cet objectif, il a fallu entièrement recomposer le site et l’implantation des bâtiments sur la parcelle très escarpée. Seul le bâtiment originel en “triangle” a été conservé sur l’éperon rocheux, pour réduire la masse bâtie de l’ensemble et maximiser les vues depuis les chambres. Dans l’à-pic de la falaise viennent s’ancrer sept “cristaux”, telles des suites troglodytes, et faire le lien avec la “corniche” en contrebas. Complètement réagencée, celle-ci est désormais étagée en terrasses, rappelant les restanques présentes sur le site. Pour relier ces trois niveaux, on a imaginé une colonne vertébrale constituée d’une batterie de trois ascenseurs et de plusieurs escaliers associés. L’enjeu principal a résidé dans l’intervention en douceur pour reconstituer la volumétrie de la colline et renouer avec l’architecture blanche, minérale et graphique prônée par le mouvement moderne. »

« L’unité entre la partie haute et la partie basse du projet tient à la mise en valeur des lignes horizontales du bâti : les nez de dalles des planchers du bâtiment principal ont été affinés et mis en valeur par les garde-corps en verre des balcons filants. De la même manière, et comme en écho, les différents “pliages” des terrasses de la Corniche – telles des courbes de niveau – accentuent l’horizontalité du bâti en harmonie avec la topographie du site. Traités en béton blanc teinté dans la masse, ils se fondent dans le paysage environnant. Par ailleurs, le côté dramatique et spectaculaire du site, l’impression de vertige, est renforcé par l’accentuation du porte-à-faux du bâtiment principal, suspendu en équilibre sur la falaise. »

Les balcons filants au garde-corps cristallin des cinq étages du « Vista Aéro » accentuent leur aérienne légèreté © VIA-TOLILA

Nager dans l’air bleu

Quand Claude Monet – natif du Havre – découvre la Méditerranée en 1880, il confesse « C’est si beau, si clair, si lumineux. On nage dans l’air bleu… C’est effrayant ! » Sauf s’ils souffrent du vertige, les hôtes du Maybourne Riviera seront plutôt fascinés, une fois plongés dans tout cet azur céleste et marin qui vous aspire dès le lobby sis au… huitième étage… de plain-pied avec la route départementale. Un vitrail coulissant de Le Corbusier et une sculpture de Louise Bourgeois suspendue au plafond sous double hauteur confirment la passion artistique et architecturale de Paddy McKillen. Vitrées toute hauteur, chambres et suites jouissent de terrasses ou balcons pour mieux embrasser le panorama.

Que dire depuis le restaurant bistronomique Ceto – venu couronner six niveaux au-dessus de ce « nuage de verre » – comme immergé dans la grande bleue où son chef argentin puise son inspiration. Mauro Colagreco en a confié l’architecture intérieure à son compatriote Marcelo Joulia[2]. Son faux plafond en staff est parcouru de vagues concentriques comme l’onde émise par un galet lancé dans l’eau. Ses confortables fauteuils pivotants évoquent une version menuisée de la mythique Platner Chair chez Knoll. Une imposante desserte minérale aux allures de météorite échouée sur terre rappelle la force des éléments sur ce site, tout comme la dentelle de pierre du comptoir du bar extérieur semblant sculptée par les vents.

André Fu, Bryan O’Sullivan et Pierre Yovanovitch ont été missionnés pour en aménager les hébergements et aménités diverses. Jean Mus en a sublimé les paysages.

Sans nul doute, une des plus séduisantes réalisations hôtelières de ces dernières années sur la Côte… d’Azur !

Semblant « socler » tout l’établissement, la piscine paraît se déverser dans la grande bleue © Richard Haughton

Texte : Lionel Blaisse
Visuel à la une : Creusés dans la roche, les sept « cristaux » abritent leur suite en duplex ou leur chambre à l’arrière de leur loggia sertie de béton blanc © The Maybourne Riviera

Fiche technique

Surface : 9 461 m2
Maître d’ouvrage : SEDH VISTA
Architecte : Wilmotte & Associés
Paysagiste : Jean MUS
Architecte d’opération : Demaria Architecture
Architectes d’intérieur : Naço, André Fu, Bryan O’Sullivan et Pierre Yovanovitch
BET Structure : Bollinger + Grohmann
Entreprises : Triverio Construction – VINCI Construction France

[1] Rebaptisé depuis Maybourne Hotel Group Qatar.

[2] Son agence Naço vient de fêter ses trente ans.

— retrouvez l’expérience hôtelière sur The Maybourne Riviera, Roquebrune-Cap-Martin par Jean-Michel Wilmotte Naço, BOS Studio, Pierre Yovanovitch, André Fu dans Archistorm 118 daté janvier – février 2023 !