VARIATIONS SUR UN MÊME THÈME

Le temps passe, et le savoir-faire s’aiguise à travers une pratique de l’architecture où les programmes, les échelles et le degré de complexité sont très différenciés. Porter un regard sur les récits apparaissant en filigrane des projets permet de tisser les fils d’une pensée qui trouve sa cohérence dans la notion de « volume libre ». Affranchi de tout dogmatisme, ce concept fort consiste en un jeu combinatoire des volumes qui se décalent et se déforment pour créer de nouveaux sols et aller chercher la meilleure inscription contextuelle. Cette déclinaison sur le « volume libre » permet aux projets de trouver une unité tout en proposant des images singulières, sans oublier pour autant la qualité d’usage : « Il est important de trouver une cohérence, de s’adosser à un solide fil conducteur permettant d’aller au bout d’une recherche et de tenir sur le temps long de l’architecture », souligne Christophe Rousselle.

Une pensée du réel
Cette multiplicité des formes pourrait sembler éclectique, mais elle est bien la recherche de la mise en place d’une même ligne architecturale, laquelle est guidée par un concept de liberté de l’expression formelle. Cette attitude consciente offre une réponse adaptée à des situations ressenties comme particulières et une capacité à extraire la solution du coeur même du problème : « Une pensée, ou une émotion, advient, te poursuit et ne te laisse pas tranquille. C’est celle-ci qui déclenchera un dessin, l’idée d’un projet », explique Christophe Rousselle. Plus précisément, pour l’architecte, le moment de création d’un bâtiment consiste avant tout à étudier ses relations avec son environnement. Et c’est sans aucun doute dans la lecture de ce contexte que se trouve la dimension poétique. La réalisation du groupe scolaire de Cranves-Sales, en Haute-Savoie, en est un exemple probant. Sur un site pentu du massif boisé des Voirons, Christophe Rousselle propose une délicate fragmentation volumétrique, subtilement inscrite dans le sol. Cette dernière offre une échelle différente pour chacun des usages, tout en s’inscrivant dans l’écriture vernaculaire du village de Savoie.
Le choix de la pierre offre une matérialité inhabituelle pour ce type de programme. Naturelle et vivante, la matière oscille du gris au vert, selon les lumières. Cette attitude vis-à-vis du site d’accueil d’un projet est garante de la volonté de fonder une pensée du réel. L’architecture devient alors stratégie, processus, un sur-mesure, libre de tout a priori, qui sédimente une couche supplémentaire à un contexte.

Les Courbes © Takuji Shimmura

Le plaisir du détail
Ainsi la rigueur affichée au sein de l’agence Christophe Rousselle estelle bien sous-tendue par une liberté de penser les projets, de définir leurs expressions architecturales multiples et contextuelles, de travailler la plasticité, dans un plaisir non dissimulé de la fabrique, visible dans le contrôle rigoureux des détails. Ainsi du projet de Colombes, tout en courbes et contre-courbes. Impeccablement réalisées, ces formes ne perdent rien de leurs nettes continuités lors de la concrétisation bâtie. À New York, le projet de tour sur Orchard Street, actuellement en cours, est un bâtiment rugueux, une masse élancée, qui laisse percevoir depuis la rue la puissante matérialité de la sous-face des larges terrasses en béton banché. Peu courant dans la Big Apple, cette matière brutaliste participe à l’effet signal. Le travail sur la matière a souvent pour idée d’affecter les sens et de troubler la perception.
La première réalisation de Christophe Rousselle, une maison au Chili édifiée en 2006, constitue toujours une référence à cet égard. La maison Serrano est faite de l’imbrication de deux volumes, sans repère d’échelle, en dialogue avec l’immensité de la ville à laquelle elle fait face. Depuis la rue en contrebas, l’habitation joue de l’ambiguïté entre les idées de massivité et de légèreté : en effet, le volume principal, habillé de bois, semble flotter sur un volume de verre, qui s’efface dans l’ombre. (…) 

QUELQUES PROJETS

Résidence Beauregard – Rennes

Résidence Beauregard – Rennes © Takuji Shimmura

Le projet propose une variation sur le thème de l’objet sculptural et de son appropriation architecturale. Les rez-de-chaussée des deux constructions s’alignent strictement en bordure de la parcelle. Dans les étages, des retraits et des saillies accueillent les espaces extérieurs prolongeant les habitations et créent un épannelage surprenant des bâtiments. L’effet de mouvement est accentué par l’alternance, un étage sur deux, des matériaux de façade : béton noir profond et tôle ondulée en métal doré, dont les pleins et les vides génèrent des jeux graphiques et de lumière. Les excroissances des façades sont placées en décalage les unes par rapport aux autres de manière à dégager des vues, à capter la lumière au maximum, ce qui apporte aux habitants un sentiment d’individualisation et la quiétude de celui d’habiter un dernier étage, à tous les niveaux.

Bâti-Armor, Aiguillon / Christophe Rousselle / Équipe : Cristina Brezae, Joana Kingwell / 5 300 m2 / 83 unités mixtes / 6,4 M€ / 2012-2015


Résidence Liberté – Rennes

ChristopRésidence Liberté – Renneshe Rouselle – Rennes © Charly Broyez

Situé en plein coeur du centre historique de Rennes, ce projet assume son caractère contemporain, face à la place de Bretagne. Le bâtiment tout entier est pensé comme un bloc minéral évidé. La façade principale est traitée de manière sobre, uniformément recouverte de pierre au calepinage linéaire et horizontal. Cet immeuble oscille entre massivité et légèreté, il s’attache à l’existant grâce à un épais bloc de pierre dont les balcons organisés en décalage semblent cisaillés directement dans ce volume massif. En coeur d’îlot, la façade de béton noir est dessinée de manière plus libérée, sans rien céder au hasard de la composition : elle offre des loggias, de grandes terrasses et des jardins d’hiver positionnés irrégulièrement de manière à offrir, dans chaque logement, un maximum de luminosité au sud. Bien que très contrastées, les deux façades développent de grands linéaires de baies vitrées toute hauteur magnifiant des logements qui sont pour la plupart traversants.

Bâti-Armor / Christophe Rousselle / Équipe : Léo Bourgeois / 2 070 m2 / 4 M€ / 26 unités / 2014-2019


Résidence Le Copenhague – Montreuil

Résidence Le Copenhague – Montreuil © Takuji Shimmura

Situé à l’angle de deux rues, ce projet résidentiel s’affiche tel un monolithe brut, dont la forme est issue d’une succession de règles et de contraintes impactant la constructibilité du site. La simplicité formelle n’est qu’apparente. Les étages aux plans très variés sont autant de réponses à la situation propre de chaque appartement. La construction maintient une ambiguïté sur sa hauteur, ainsi que sur la nature de sa matérialité. Elle se perçoit parfois, au gré des ambiances lumineuses extérieures, comme du métal ou du marbre, grâce à un coulage du béton dans des banches métalliques très lisse. Cette matière devenue précieuse  est un véritable capteur de lumière. Les découpes nettes de l’édifice lui confèrent un statut sculptural, d’autant plus préservé que la mise en oeuvre des garde-corps en verre les rend immatériels. L’édifice, posé sur un rez-de-chaussée vitré, semble comme posé dans la ville. Les retraits dans  les étages supérieurs génèrent de larges terrasses ; les détails soignés, les grandes baies vitrées offrent une grande qualité d’habitat, affichant clairement la pérennité des ouvrages.
Altoa Promotion / Christophe Rousselle / Équipe : Jean-Philippe Marre, Joana Kingwell / 1 300 m2 / 2,6 M€ / 21 unités / 2013-2017


Cabane G – Sologne

Nicolas Laisne architecte, Christophe Rousselle architecte © Cyrille Weiner

Au coeur d’une forêt de Sologne, sur les berges d’un étang, cette maison aux lignes simples s’insère dans le paysage de manière discrète et naturelle. D’origine vernaculaire, sa forme est issue de la réhabilitation et de l’extension d’un hangar à bateaux. Pour obtenir une grande qualité spatiale, toutes les pièces exploitent la hauteur totale sous toiture.
Au nord, des clins de bois et des ouvertures verticales animent la façade derrière laquelle s’étire l’espace de circulation intérieure de l’habitation. Au sud, en bordure de l’étang, la façade est faite de grandes parois vitrées toute hauteur, ouvertes sur le paysage de l’eau et des massifs d’arbres, au second plan. Chaque ouverture coulisse intégralement, donnant un accès direct à un ponton posé sur l’eau. Le nouvel espace de vie et de détente s’ouvre également vers une large terrasse sur l’étang de la Giraudière.
Privé / Christophe Rousselle, Nicolas Laisné / 140 m2 / 2006-2007

Texte Sophie Trelcat
Visuel à a une Résidence Jeanne d’Arc © Takuji Shimmura

Retrouvez l’intégralité du Hors Série sur Christophe Rousselle Architecte en libriaires spécialisées et au sein du daté numéro 112 daté janvier – février 2022 pour les abonnés