PATRIMOINE

AU TEMPS DES ARTISTES DÉCORATEURS

La récente monographie consacrée à l’artiste décorateur Paul Follot permet d’approfondir la connaissance d’un mouvement cycliquement réévalué, l’Art déco, mais dont on méconnaît encore certaines des figures parmi les plus importantes. À l’approche du centenaire de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 qui l’a vu triompher, retour sur quelques uns de ses moments fondateurs.

Paul Follot dans le Pavillon Pomone, Exposition des Arts décoratifs et industriels de 1925.
Photographie anonyme, collection particulière.

La Première Guerre mondiale – durant laquelle Paul Follot passe trois hivers dans les tranchées – avait ralenti l’émergence de l’esthétique Art déco en germe depuis les environs de 1910, mais elle avait provoqué de profondes mutations artistiques et intellectuelles. « Je pense que le bénéfice que nous avons à retirer de la guerre est dans l’idée d’association », déclarait à ce propos le peintre André Mare, en 1919. « Travaillons en commun le plus possible. Les idées modernes ont fait des progrès énormes ces deux dernières années. L’avenir est à nous ! » Ces lignes sont le prélude à la naissance d’un groupe important dans la diffusion de l’Art déco : la Compagnie des Arts français. Fondée en 1919 autour de l’architecte-décorateur Louis Süe, directeur artistique, et de son associé André Mare, directeur technique, cette association d’actionnaires réunit notamment les frères André et Paul Véra, Roger de La Fresnaye, Richard Desvallières, André Dunoyer de Segonzac et Charles Dufresne. Ces artistes et décorateurs se retrouvent dans une commune ambition de rénover l’art décoratif français, fondée sur un retour à une tradition interrompue, selon eux, avec le style Louis-Philippe. Une galerie est inaugurée début 1920, rue du Faubourg-Saint-Honoré, où sont exposés meubles, luminaires, verreries, tissus, reliures ou tableaux. En grande partie dédié à l’industrie du luxe, le mobilier conçu par la Compagnie des Arts français est aussi destiné à la fabrication en série, présentée sur catalogue. Ce type de diffusion est cependant un échec, tout comme le sera la revue Architectures, lancée par la Compagnie en 1921 et don l’unique volume comprenait le célèbre dialogue de Paul Valéry, Eupalinos ou l’architecte. Avec l’arrivée de Jacques Adnet à sa direction, en 1928, la Compagnie des Arts français s’ouvrira à des artistes adoptant des formes plus épurées : Charlotte Perriand, Djo-Bourgeois, Francis Jourdain et René Herbst semblent déjà former une mission de préfiguration de l’Union des Artistes modernes, fondée en 1929.

L’idée d’association fonctionnera mieux dans les salons qu’organise la Société des artistes décorateurs (SAD) : les intérieurs présentés grandeur nature comprennent des décors muraux ou papiers peints qui en affirment l’unité de style. Francis Jourdain, Henri Rapin et Paul Follot excellent dans ces exercices, tandis que Jean Dupas présente ses silhouettes effilées en couverture du catalogue de l’édition de 1924. Un an plus tard, à l’Exposition de 1925 cette fois, le même Dupas triomphe avec son panneau Les Perruches, placé au-dessus de la cheminée du Pavillon du Collectionneur signé Pierre Patout et Jacques-Émile Ruhlmann. L’art collectif montre désormais sa force, se félicite Paul Géraldy, écrivain et ami de Paul Follot, dans L’Illustration : « L’époque est maintenant passée des recherches divergentes et indisciplinées. Un groupe d’artistes, rafraîchi par ce bain de nature, s’est mis d’accord avec lui-même, fait effort à présent dans une même direction, retrouve le sens de la vie, progresse vers sa perfection et atteint à une rigueur, à une unité, à un style digne de nos plus grandes époques. Demain, nous posséderons un art qui nous exprimera tout entiers ».

Maison-atelier de Paul Follot, 5 rue Victor-Shoelcher, Paris 14e.
Pierre Selmersheim architecte, Paul Follot décorateur, 1914 : façade. Courtesy Fondation Giacometti.

Point d’orgue pour cette génération de créateurs, l’Exposition de 1925 est également l’occasion de présenter des ensembles complets, associant le travail des architectes et des décorateurs. Les pavillons des ateliers de création des grands magasins (le Bon Marché avec Pomone, les Galeries Lafayette avec La Maîtrise, les Magasins du Louvre avec le Studium et le Printemps avec Primavera) sont de ce point de vue d’excellentes vitrines. Respectivement conçus par Louis-Hippolyte Boileau, le trio Joseph Hiriart, Georges Tribout et Georges Beau, Albert Laprade et enfin Henri Sauvage avec Georges Wybo, chacun a fait l’objet d’un programme d’aménagement intérieur par un architecte-décorateur (Paul Follot, Maurice Dufrène, Djo Bourgeois et Étienne Kohlmann, Alfred Levard).

Au pavillon du bon marché, l’atelier Pomone présente les travaux réalisés par Paul Follot depuis qu’il en a pris la direction artistique en 1922. Né en 1877, l’artiste a déjà une belle carrière derrière lui : cofondateur de la Société des Artistes décorateurs, en 1901, il est internationalement reconnu lorsque, en 1912-1914, il fait construire son hôtel particulier au 5, rue Schoelcher, face au cimetière Montparnasse. Secondé par l’architecte Pierre Selmersheim, il en conçoit lui-même les plans et l’ensemble de la décoration : le rez-de-chaussée servait de magasin d’exposition et l’entresol était occupé par des salles d’apparat ; suivaient deux étages d’appartement pour la famille de l’artiste et, au dernier niveau, son propre atelier ainsi que l’atelier de peinture de son épouse, Elfriede. D’origine allemande, cette dernière a probablement inspiré la forme du couronnement de l’immeuble, avec sa croupe hémicirculaire et sa grande baie ovale. Les souvenirs des Sécessions viennoise ou munichoise ne sont pas loin, mais les ornements sculptés des baies, les sobres ferronneries signées Edgar Brandt, tout comme la décoration intérieure témoignent d’une transition vers d’autres formes et participent ainsi déjà de l’Art déco. Le traitement du soubassement, lui, est l’une des éléments les plus remarquables, Follot choisissant de laisser le béton apparent et de lui conférer un caractère décoratif, tout en l’associant à un parement de mosaïque de terre cuite, composition géométrique à base de carreaux noirs, blancs et or.

La partie basse de l’hôtel est occupée depuis 2018 par l’Institut Giacometti, ce qui a permis de restaurer et de révéler au public des éléments importants de la décoration intérieure (tapisseries, lambris, pavements, mosaïques, ferronneries et meubles intégrés). Le mobilier dispersé de l’hôtel Follot – certaines pièces sont au musée d’Orsay – est quant à lui analysé dans la monographie, à la fois très documentée et romanesque dans son écriture, que lui consacre Léopold Diego Sanchez. L’ouvrage donne notamment à voir et à comprendre le délicat passage d’un répertoire de formes vers un autre (de l’Art nouveau à l’Art déco), qui passe aussi par un autre rapport entre l’architecture et le mobilier – désormais plus mobile, car moins assujetti au mur. Cette mobilité était bien un signe de modernité, que d’autres sauront pousser plus loin encore.

Léopold Diego Sanchez, Paul Follot : un artiste décorateur parisien, Paris, AAM Éditions, 2020, 336 p., 85 euros.

Texte Simon Texier
Visuel à la une Maison-atelier de Paul Follot, 5 rue Victor-Shoelcher, Paris 14e. Pierre Selmersheim architecte, Paul Follot décorateur, 1914 : entrée, photographie Maurice Culot

Retrouvez l’article Patrimoine : Au temps des artistes décorateurs, Paul Follot, dans archistorm daté mai-juin 2021