PORTRAIT

FLINT ARCHITECTES

 

En 1995, Christophe Gautie et Véronique Tastet créent leur agence en plein Bordeaux après avoir travaillé chez Francis Soler, la restructuration du hangar 14, qui accueille depuis 2004 la Biennale Agora, leur valut le prix de la première oeuvre de l’équerre d’argent en 1998. Alternant commandes privées et concours publics, les projets se suivent mais ne se ressemblent pas. Seul point commun : une conception tous azimuts.

 

Flint Architectes. Sur Wikipédia, consulté pour essayer de trouver un sens à ce drôle de nom, le patronyme est si courant chez les artistes, les personnages de légende (notamment le pirate de Stevenson dans L’Île au trésor) et la géographie, que ces pistes n’apprennent rien. « Quand le comptable nous a demandé comment allait s’appeler la société, c’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit. Il fait référence à un film avec James Coburn, dont j’étais fan, que j’avais vu dans les années 70. Il nous est ensuite apparu comme un bon masque, non frontal, non expressif, support d’un imaginaire non rattaché à l’architecture mais plutôt d’un autre univers. »

 

Conception XXL
« Imaginaire. » « Autre univers »… Moins anodin qu’il n’y paraît, le choix d’un tel nom dénote une volonté de se caractériser davantage par un état d’esprit que par une logique constructive ou formelle. De fait, Flint a un mode de
conception bien à elle qui consiste à apporter des réponses très en amont du programme après avoir ratissé très large le champ des réflexions et des références. Cette méthode passe par une quête d’idées tous azimuts, sans dogme ni formatage, à la manière d’un brainstorming, qui ne se réduit pas à la seule source architecturale. « Étudiant dans les années 80, j’ai été très influencé par Rem Koolhaas et sa manière de requestionner le programme pour inventer de nouvelles évidences, si pertinentes qu’elles emportaient l’adhésion, explique Christophe Gautié. À ma connaissance, il est le seul à savoir le faire, mais nous essayons de suivre cet exemple en réinterprétant le programme et en reformulant les questions : comment donner de la force et de la présence au bâtiment ? Comment s’assurer de sa réversibilité ? Comment trouver la retenue sans être austère ? Comment être beau sans maquillage ? Comment trouver l’adéquation entre l’énergie dépensée et l’espace pratiqué ? Comment surprendre et dépasser les attentes du maître d’ouvrage, des usagers ? »

 

Construire une trame narrative
Pour les projets les plus importants, c’est la même ritournelle qui se met en place : 15 architectes, 15 chefs de projet. Peu importe l’ancienneté ou l’âge : « L’objectif est de se donner les moyens de raconter une histoire. Nous investissons en temps, en personnes, en argent, pour maintenir le plaisir, développerles idées et nous donner les moyens de construire une narration à travers les volumes que nous construisons. » Tour à tour, en fonction des disponibilités et des aptitudes de chacun, tout le monde s’y colle pour alimenter le récit du projet, ce « devenir à inventer ». Trois architectes sont désignés pour travailler en workshop. Ils ont pour mission d’ouvrir les perspectives,
d’appréhender spontanément, librement, le programme et le site, en établissant des connexions qui, en apparence, n’ont pas lieu d’être, « à la manière des dessins automatiques de Coop Immelb[l]au au début des années 80 et des Dadaïstes ».
Véronique et Christophe connaissent le programme dans le détail. Tous les quatre jours, un PowerPoint du workshop fait état de l’avancement des réflexions. Deux autres architectes sont appelés à réfléchir en parallèle, pour garder une distance critique. Cette histoire se traduit ensuite en volumes et en plans, sur maquette, avec tout le travail sur la logique structurelle, le choix des matériaux, l’économie du projet, la peau, l’usage. L’usage justement. « Ce qui nous préoccupe avant tout, c’est la façon de chercher une adéquation entre l’énergie dépensée et l’espace pratiqué, la manière dont le projet va être habité, la position que va prendre l’être humain dans le bâtiment. »
Au final, tout l’enjeu sera de conserver ce fil narratif patiemment élaboré, et ce, malgré les discussions et les modifications qui ne manqueront pas de se présenter. Les bons contes font-ils les bons architectes ?

 

 

Texte : Delphine Désveaux