LES NOUVEAUX MÉTIERS DE L’ARCHITECTURE 

« Ce paysage urbain mixte de forme ou d’informe,
protégé ou délaissé, avec ces logiques de monuments indexés
et ces infrastructures exhibées,
ce paysage, car c’en est un,
ce paysage abandonné c’est notre paysage. »,
extrait de La Phrase urbaine,
Jean-Christophe Bailly

 

Un paysagiste ? Qui est-il ? Pour Jean-Christophe Decaux, le paysagiste est un thérapeute qui s’efforce de recréer un lien entre l’homme moderne et la nature. Michel Péna plus véhémente interroge : « Ce titre a-t-il encore un sens ? Est-ce le petit entrepreneur qui vient tondre ma pelouse ou celui qui va conseiller la politique territoriale de ma région ? Quel rapport y a-t-il ? Mais où est donc le paysage ? » Le titre de paysagiste n’est pas protégé, pas de label, pas de certification. Via la question environnementale sans doute sommes-nous davantage sensibles à ce qui s’y lie. La profession de paysagiste, encore jeune dans sa forme contemporaine, offre une certaine liberté d’exercice et implique l’exploration de modalités d’action nouvelles sur l’espace, selon Cyrille Martin. Pourtant « le renouveau du paysagisme en France s’opère dans les années 1970 autour de l’École nationale d’horticulture de Versailles – rappelle Michel Audouy. Des personnalités venues de l’univers de l’art, de l’architecture, de l’urbanisme… – Michel Corajoud, Bernard Lassus, Jacques Simon, Jacques Sgard, plus tard Gilles Clément – ouvrent l’école, jusqu’alors héritière de la grande tradition horticole du XIXe siècle, à d’autres approches et d’autres horizons disciplinaires. Outrepasser les limites est le mot d’ordre : aller toujours chercher au-delà : par exemple, explorer en amont ou en aval une rivière pour en comprendre le cours, révéler une vue en modifiant la topographie du terrain, s’enrichir d’autres disciplines, d’autres projets, expérimenter. »[1] Nous avons interrogé Gilles Clément sur la relation entre le paysagiste et son objet.

Base sous-marine de Saint-Nazaire ©Jean-Pierre Dalbéra

 

La rédaction : Souvent on vous cite, en précisant que vous vous présenter comme jardinier plutôt que comme paysagiste. Quelle est la distinction ? Est-elle équivalente à celle entre jardin et paysage ?
Gilles Clément : Le paysagiste peut « créer » des paysages avec toutes sortes de matériaux, notamment les matériaux inertes. Il peut ne pas connaître les végétaux et la transformation de l’espace par eux dans le temps. Les écoles du paysages ont abandonné l’enseignement du vivant pendant de longues années et semblent vouloir le reprendre récemment. Le jardinier quant à lui crée des paysages avec le vivant. Il est dans l’obligation de connaître la complexité des espèces et leur comportement dans le temps. C’est un métier beaucoup plus compliqué que d’être simplement paysagiste.

Jardin désigne l’espace clos dans lequel on installe et protège ce que l’on estime comme étant le meilleur et le plus précieux. Avec le temps les styles de jardin évoluent car l’idée du meilleur évolue.

Le paysage est un élément essentiel de la création architecturale et/ou urbanistique, il insuffle la vie au bâti et permet une connexion avec la nature. Mais le paysage est aussi une représentation des enjeux sociétaux. Quel est rapport entre paysage et architecture ? Paysage et société ?
L’architecture crée le paysage comme n’importe quel volume placé sur la peau de la Terre. Il peut s’agir d’un arbre, d’une ligne à haute tension, d’une tour-gratte-ciel ou d’un modeste hameau. Mais, dans la composante globale du paysage, l’architecture a une forte puissance de qualification : elle peut embellir ou enlaidir le paysage global avec une certaine radicalité.

Par ailleurs, il n’y a pas de paysage sans société humaine. Le paysage n’existe que par la société. Je définis le paysage comme étant tout ce qui se trouve sous l’étendue du regard – pour les non-voyants, tout ce qui se trouve sous l’étendue de tous les autres sens. Il s’agit donc d’une donnée sensible, qui dépend de la sensibilité et de la culture de chaque individu. Contrairement à l’environnement, qui est donnée objective de lecture de notre milieu, le paysage correspond toujours à une lecture subjective.

[1] Toutes les citations sont extraites du livre : Les 101 mots du paysage à l’usage de tous, Archibooks, Paris, 2017.

Visuel à la une :  © Jean-Pierre Dalbéra

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