Avant d’être le quartier neuf que l’on découvre aujourd’hui, les Bassins à flot composaient un vaste territoire marqué par l’histoire portuaire de Bordeaux. Les deux bassins d’un kilomètre et demi avaient été conçus au tournant du XXe siècle comme des docks intérieurs, en prolongement des quais de la Garonne. Jusque dans les années quatre-vingt, ce secteur était un véritable “hub” d’activités liées à la maintenance des bateaux et au transport de marchandises. Après le départ du port en aval, le quartier devient une sorte de no man’s land pendant plusieurs années. Sa renaissance voit le jour à partir de 2010 avec le plan-guide établi par l’architecte Nicolas Michelin, qui conserve le « génie du lieu », entre imaginaire portuaire et architecture industrielle. Une décennie plus tard, les bardages de métal et les toitures en sheds dessinent un tout autre visage que celui du Bordeaux classique. Les Bassins à flot sont devenus un quartier emblématique du renouveau de la ville. Près de 10 000 personnes y résident et de nombreuses activités sont présentes : sièges d’entreprises1, écoles d’enseignement supérieur, halles, commerces, ainsi que deux musées2… Au coeur de cet espace, l’immensité des deux bassins a été préservée comme une large respiration.

La partie opposée à la Garonne, qui rejoint les boulevards entourant le centre de Bordeaux, constitue désormais une nouvelle entrée de ville avec le programme Quai des Caps, initié par les sociétés Fayat Immobilier et Pitch Promotion. Quatre îlots positionnés le long du bassin à flot n°2, face à l’ancienne base sous-marine, rassemblent des programmes variés : cinéma, bureaux, commerces, parking, hôtel… Chacun porte le nom d’un cap maritime célèbre et a été confié à plusieurs architectes. L’îlot P11, rebaptisé Cap Leeuwin3, a été réalisé par les agences bordelaises Moon Safari et Marjan Hessamfar & Joe Vérons architectes associés. Ce programme mixte se déploie sur plus de 15 000 m2 et réunit à la fois un hôtel B&B de 124 chambres, une résidence hôtelière à vocation sociale de 128 chambres, 5 755 m2 de bureaux et 2 911 m2 de commerces en rez-de-chaussée. L’un des enjeux était de donner une cohérence visuelle à l’ensemble, tout en ayant une signature architecturale forte, notamment par les matériaux.

 

Brique, aluminium et respirations extérieures

Cap Leeuwin s’élève de part et d’autre de la parcelle avec deux émergences, l’une sur huit niveaux (celle du B&B), l’autre sur sept niveaux (celle des bureaux). Pour éviter des constructions trop massives, chacune se divise en deux volumes positionnés en décalage l’un par rapport à l’autre. Le parti pris des architectes s’affirme par une dualité de matériaux : brique foncée et métal argenté, en lien avec l’esthétique industrielle souhaitée par Nicolas Michelin. Le long de la rue Lucien-Faure, qui relie les boulevards du centre-ville au pont Chaban-Delmas, Cap Leeuwin se découvre dans un panoramique offert aux automobilistes, piétons ou cyclistes… Les deux petites tours encadrent des bâtiments plus bas, aux toitures triangulaires rappelant les hangars d’autrefois. Cap Leeuwin s’inspire du passé portuaire bordelais mais exprime aussi un imaginaire plus universel, celui des quartiers « tendance » de grandes villes cosmopolites, souvent issus d’anciens quartiers ouvriers. Sur ce côté, la brique foncée domine, l’architecture forme une composition géométrique dense, un monochrome au socle vitré recevant les entrées des bâtiments. Les façades sont rythmées par le dessin des modénatures et les jeux d’ouvertures, tantôt en pleine hauteur pour les bureaux, tantôt pourvues d’allèges pour les chambres de l’hôtel et de la résidence hôtelière. Les ouvertures des chambres ont elles-mêmes des largeurs différentes qui créent d’autres variations.

Du côté du bassin à flot, Cap Leeuwin révèle un visage plus doux : la hauteur se réduit progressivement, les formes de sheds avancent vers l’eau, l’aluminium remplace la brique foncée. L’utilisation du métal déployé, qui s’apparente à un tressage industriel, crée une trame ajourée en double peau. Au rez-de-chaussée, on retrouve la ligne du socle avec des espaces généreusement vitrés pour accueillir là aussi des commerces. L’aluminium anodisé donne un aspect mat qui accroche la lumière et souligne les volumes, changeant de teinte en fonction de l’ensoleillement et des saisons. (…)

 

« Cap Leeuwin et le Quai des Caps participent pleinement à ce renouveau des Bassins à flot, avec une offre de services et de commerces qui vient enrichir et confirmer l’attractivité du quartier. »
Frédéric Martel, Directeur général de Fayat Immobilier

« C’est un signe fort de notre engagement au sein des Bassins à flot qui terminent leur renaissance amorcée il y a plus de dix ans. Cette évolution nous a encouragés à nous positionner, avec la conviction d’une dynamique de la ville à long terme. »
Vincent Evenou, Directeur de l’Asset Management – Keys REIM

 

Extrait de l’entretien avec Jean-Luc Baldelli, cofondateur de l’agence Moon Safari, architecture & urbanisme et Joe Vérons, cofondateur de l’agence Marjan Hessamfar & Joe Vérons architecte associés

En préambule, pouvez-vous revenir sur l’origine de vos agences ?
Joe Vérons : Après avoir travaillé plusieurs années avec Marjan Hessamfar sur des projets urbains à Téhéran, nous avons créé notre agence en 2004 à Bordeaux. Nous avons reçu en 2008 le prix de la première oeuvre de l’Équerre d’argent pour une école primaire qui a mis en lumière notre travail. Notre agence couvre aujourd’hui un large champ d’activités, des commandes publiques, du logement mais aussi des bâtiments techniques et industriels. Souvent amenés à travailler sur des programmes mixtes, nous avons développé une expertise certaine de ce type d’opérations. Implantés à Bordeaux, Paris et Toulouse, nous avons un rayonnement national et notre démarche s’appuie depuis toujours sur une forte contextualisation, qu’il s’agisse de l’environnement physique, des acteurs locaux, du patrimoine, du paysage…
Jean-Luc Baldelli : Avec Arnaud Guirao, mon associé, nous avons créé Moon Safari en référence à un titre du groupe de musique électronique AIR. Il reflète notre état d’esprit, le travail en équipe, l’exploration de styles différents tout en gardant l’exigence de la qualité. Moon Safari est une marque d’architecture ancrée dans son histoire locale et ouverte sur un territoire très vaste. L’agence réunit aujourd’hui plus de cinquante collaborateurs, à Bordeaux, Bayonne, Lyon et Paris. Nous sommes des architectes généralistes avec des approches spécialisées dans les grandes typologies de notre métier, les équipements d’enseignement, de santé, les programmes tertiaires, les complexes sportifs, le logement… L’esprit collectif de Moon Safari et la grande diversité de nos projets constituent nos forces aujourd’hui.

 

Texte Benoît Hermet
Photos Ivan Mathie

retrouvez l’article Réalisation sur Cap Leeuwin dans Archistorm 112 daté janvier – février 2022


1. Back Market, Cdiscount, Ubisoft, Crédit Agricole Aquitaine…
2. La Cité du Vin et le Musée Mer Marine.
3. Leeuwin est le nom du navire hollandais qui découvrit ce cap en 1622,
à la pointe de l’Australie, entre Océan Indien et Océan Pacifique.