RÉALISATION

SIÈGE SOCIAL DE MOËT HENNESSY, PARIS 7E
BARBARITOBANCEL ARCHITECTES

Le groupe LVMH enchaîne les inaugurations. Après la Samaritaine, le siège social de Moët Hennessy ! Logés au-dessus de la Grande Épicerie de Paris, dans les étages supérieurs de l’un deux bâtiments historiques du Bon Marché, les espaces de travail entendent incarner « les valeurs de la marque et l’excellence à la française », selon ses concepteurs, Ivana Barbarito et Benjamin Bancel. Coquet, mais talentueux. Prolixe, mais sur mesure.

Benjamin travaillait pour Alvaro Siza. Ivana faisait des photographies d’architecture pour Eduardo Souto de Moura. De leur rencontre à Porto est née l’agence Barbaritobancel architectes, à Paris. Leur credo ? Un exercice professionnel centré sur la pratique du dessin, que le couple franco-italien considère comme « la clé du métier d’architecte », « le langage qui permet de rassembler tous les intervenants du projet ». Bref, la signature d’une formation transalpine et de quatre années d’expérience portugaise. « Siza dessine tous ses projets dans les moindres détails », rapporte Benjamin Bancel, avant de louer les vertus du programme de l’école d’architecture de Porto : « Modèle vivant, croquis sur site, plans au Rotring, reconstitution de la coupe qui n’existe pas… Les étudiants de première année ne font que du dessin ! Ils n’ont pas d’autre matière ! » Car « comment penser l’architecture si on ne maîtrise pas l’outil ? »

Plus discret sur son expérience de deux ans en tant que salarié d’une entreprise d’agencement, Benjamin Bancel n’en reconnaît pas moins les bienfaits : « J’ai fait 28 Swarovski ! Quasiment tous les mêmes ! détaille-t-il, avec recul. Cela m’a néanmoins permis de comprendre la spécificité des espaces commerciaux, la mécanique des entreprises, le chiffrage et la méthodologie de chantier. » Les 28 Swarovski seraient-ils aussi profitables que les quatre années chez Siza ? L’opérationnel, aussi précieux que le dessin ? « Les surfaces commerciales sont des espaces très techniques. Il est intéressant de les appréhender avec des considérations supérieures, explique-t-il en référence au distingué Dior Flagship store de Miami, livré en 2016 par l’agence parisienne. Je crois que nous avions le profil pour conduire l’architecture dans le secteur des boutiques de luxe. »

Le grand salon

De fait, en parcourant les quatre étages du siège social de Moët Hennessy (400 casiers, postes non attribués), on s’intéresse moins au coût des travaux (probablement conséquent) qu’aux savoir-faire nécessaires à la conception et à l’exécution du projet. Du lustre au sol tissé, aucune prescription n’est sortie de la compétence de Barbaritobancel, qui a produit quelque 2 000 dessins ! Tout, ou presque, y est sur mesure : cloisons vitrées serties d’aluminium laqué, marqueterie de paille des salons découverte, table de pierre de la salle du conseil, etc. Illustrations de l’exhaustivité du travail des concepteurs : deux allers-retours en Belgique chez le fabricant des tapis ont permis de valider le rendu, d’entériner les parts de laine et de soie, de définir les touffetés-bouclés, les Pantone et les galons anglais, d’après les dessins originaux de l’agence. L’opération tertiaire de 9 600 m2, conduite en corps d’état séparés, comportait 33 lots. Un an d’études et un an et demi de chantier ont pourtant suffi à sa réalisation.

Benjamin Bancel se risque à décomposer le projet en quatre notions fondamentales, tel un peintre qui s’aventurerait à autopsier la lumière de son tableau à l’aune des trois couleurs primaires : résonance (correspondances entre le programme, le lieu d’intervention, la nature du maître d’ouvrage), ordonnance (hiérarchisation, polarités, parcours architectural), spatialité (rapport structure-lumière) et plastique (rapport matérialité-volume). À ce jeu de classification, la « résonance » et la « plastique » l’emportent nettement sur le reste par le truchement des matériaux nobles et le caractère plus ou moins artisanal des mises en œuvre. « Moët Hennessy, qui regroupe 23 maisons de vins et de spiritueux, c’est aussi des millésimes et des éditions rares ! » Et l’architecte de préciser : « Je ne comprends pas le métier de space planner. Il ne s’agit pas seulement de mettre des tables. Ce projet n’a pas été élaboré avec les services techniques, mais avec les Ressources humaines. Ça change le paradigme. Les espaces ne sont pas calibrés pour le productif, mais pour le bien-être. De là, la performance. »

Variations sur l’escalier de la rue de Sèvres

La facture Art déco de l’immeuble est une source d’inspiration revendiquée pour l’élaboration des détails constructifs, à l’exemple des parcloses en bois de fil des cloisons de chêne, assemblées avec des pièces d’angle en bois de bout, des vis inox et des rondelles de laiton embouti. « Dans l’Art déco, il y a l’idée d’un design global, où l’architecture est étroitement liée au mobilier. La nature, dont s’inspirait l’Art nouveau, est simplifiée, géométrisée, industrialisée. Nous souhaitions mettre en avant ces mécanismes et ces assemblages. » En d’autres termes, « nous en remettre à la vérité des matériaux », selon Ivana Barbarito.

Plusieurs fois modifiés par ses locataires successifs (le dernier était le Conseil régional d’Île-de-France), les intérieurs existants ne présentaient pas de décors ou d’ouvrages remarquables susceptibles d’être préservés, à l’exception des escaliers, judicieusement convertis en pièces maîtresses du projet, de sorte que les salariés en préférassent l’usage à celui des ascenseurs. Cela a impliqué de dévoyer les réseaux de ventilation de la cuisine de la Grande Épicerie (il se dit que c’est la plus grande de France) qui en grevaient l’aisance et l’esthétique. Le plus spectaculaire d’entre eux est l’escalier de la rue du Bac, dont le bloc ascenseur est recouvert de milliers de tubes de laboratoire, qui, aboutés grâce à des manchons de laiton, accueillent les luminaires. L’escalier de la rue de Sèvres n’en est pas moins représentatif des talents d’assemblage de Barbaritobancel. Du rez-de-chaussée au 1er étage, la volée neuve, parée de marches en chêne, est fabriquée à partir d’un élégant système de contremarches en console du limon. Du 1er au 4e étage, la majesté des volées d’origine, leur décollement du mur et leurs ferronneries en arabesques sont simplement soulignés par l’éclairage. Au-delà du 4e étage, la voix de l’Art déco est portée par des pièces courbes de laiton, clipsées sur les barreaudages existants, de manière à répondre aux normes actuelles de sécurité.

Autre figure majeure du plan, le patio est mis en valeur par un travail de végétalisation systématique (pose de jardinières en zinc devant toutes les baies). Le balayage à 45 degrés de l’enduit sur ITE de ses façades permet de gommer les éventuels fantômes de jointoiement. Positionné dans le couronnement de l’édifice, le grand salon est, pour sa part, doté d’un voluptueux plafond en staff, mélange de faste et de simplicité, comme la voûte d’une belle cave. Il est offert à tous les salariés, qu’il s’agisse du déjeuner quotidien ou de la réception d’un client. Comme dans les bureaux, le soufflage de la climatisation y est inférieur à 2,5 m/s pour des raisons de confort corporel et acoustique. Tous les éléments techniques y sont habilement dissimulés. Aucune grille de ventilation ne rature l’espace. Et Benjamin Bancel de rappeler Siza : « L’architecture commence lorsque l’on a intégré toutes les contraintes. »

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Moët Hennessy
AMO : Shift-in
Maîtrise d’oeuvre : Barbaritobancel
Bureaux d’études : Somete (structure), Kee (électricité), Cap Ingelec (fluides), Ponctuelle (éclairage), Altia (acoustique), Themaverde (environnement), Interface (cuisine), Barspoon (bar), Totem (synthèse), BTP consultants (bureau de contrôle)
Surface : 9 650 m2
Livraison : 2021

Texte Tristan Cuisinier
Photos Alessandra Chemollo, Slowphotostudio, Tristan Cuisinier
visuel à la une Le patio végétalisé par Barbaritobancel