« Réinventer Paris » : capitale métropolitaine du XXIe siècle

Reconnu comme l’un des plus ambitieux concours internationaux d’architecture et d’innovation, « Réinventer Paris », lancé en 2014, invitait à renouveler une fabrique de la ville dont les outils traditionnels semblent inadaptés aux enjeux contemporains : l’urgence écologique, les nouveaux usages et les nouvelles temporalités liés au numérique, la porosité croissante de nos modes de vie, l’évolution des mobilités, la transformation des liens entre les secteurs privé et public, sont devenus autant de nouvelles valeurs sur lesquelles doit s’appuyer la pensée urbaine. La déclaration de l’architecte portugais Manuel Aires Mateus, membre du jury de l’appel à projets, était on ne peut plus limpide en ce qui concerne les enjeux du concours : « ‘‘Réinventer Paris’’ a été une façon de réfléchir sur cette belle ville et sur sa valeur historique et contemporaine. Cela a aussi témoigné de la volonté de la maintenir en vie, adaptée et figurant comme un exemple de la valeur du chevauchement des temps sur la qualité d’une métropole. » Rompant radicalement avec les pratiques antérieures en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, l’appel à projets ne consistait plus à vendre des parcelles au plus offrant, la municipalité procédant en effet à des cessions de fonciers ou à l’établissement de baux emphytéotiques selon des critères d’innovations sociales et environnementales. Elle invitait explicitement à la constitution de groupements non conventionnels pour explorer des programmations ouvertes à l’expérimentation, tout en insistant sur la viabilité économique des projets présentés. Des équipes pluridisciplinaires issues du monde entier se sont ainsi constituées pour répondre sur les 23 différents sites en rassemblant les traditionnels acteurs de l’aménagement urbain, alliés à de nouveaux partenaires tels que des start-up, artistes, associations, écologues etc. L’appel ayant enclenché une dynamique unique, pas moins de 815 manifestations furent reçues, aboutissant à 372 offres initiales et 74 offres finales. En février 2016, les 22 lauréats étaient annoncés. Sur le site de Clichy-Batignolles, l’équipe fédérée autour de PCA-STREAM remportait la mise face à quatre finalistes

« Nous étudions les mutations des espaces de travail depuis de nombreuses années, et nous avons constaté que dans un contexte économique très concurrentiel, où l’innovation est devenue centrale, ils devaient désormais favoriser le bien-être, l’échange et la relation, qui renforcent la créativité et l’intelligence collective. »
Philippe Chiambaretta, architecte fondateur de PCA-STREAM

Une innovation constructive

Depuis le périphérique parisien ou la ville de Clichy, le Stream Building dévoile au loin son élégante ossature de bois laissée visible en pointe nord de l’édifice : « cet exosquelette qui se poursuit à l’extérieur est une manière de raconter ce qu’est un bâtiment à structure bois » explique Philippe Chiambaretta. Loin de rester inerte, cet élément symbolique formera le support d’une œuvre artistique de grande échelle souhaitée dès le départ par l’équipe de conception. Celle-ci sera réalisée par Pablo Valbuena, artiste espagnol installé en France, renommé pour son usage de la lumière comme matière première. Art et architecture font ici bon ménage et s’accordent au diapason pour hisser haut l’idée d’innovation qui sous-tend le projet dans sa totalité.

Le bâtiment, stabilisé en son cœur par les noyaux d’ascenseurs en béton, assume le principe d’une trame régulière de très grande échelle. Cette structure hors du commun génère une figure de façade au dessin très affirmé : elle affiche dans le paysage de la ville une forte présence, évoquant une œuvre d’art minimaliste de Sol LeWitt, mais à l’échelle de l’architecture. L’enveloppe de la grille est entièrement composée de caissons vitrés de forme carrée ne privilégiant ni l’horizontale ni la verticale. Ce caractère isotrope apporte stabilité et harmonie au bâtiment, tout en diffusant une très grande luminosité dans les espaces intérieurs. Le soin apporté à la qualité de la lumière dans le bâtiment se perçoit également depuis le parvis de la rue, qui offre de belles transparences sur chacun des niveaux.

La trame de bois, inédite à cette échelle, s’avère particulièrement performante du point de vue de son empreinte carbone, tout en ayant permis une réduction drastique du temps de chantier. Basé sur un module de 3,60 m x 3,60 m, ce système constructif permet également une grande disponibilité d’usages, de façon à pouvoir accueillir indifféremment des programmes variés, selon une granulométrie très souple : espaces de travail, résidence hôtelière, restaurant, commerces, salles de coworking, salle de sport…

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Extraits d’interview

Patrick Bosque, directeur général adjoint de Hines, France

Comment le groupe Hines est-il entré dans l’aventure de l’immeuble Stream Building ?

Lorsque la ville de Paris a organisé la première consultation « Réinventer Paris » en 2015, Hines avait identifié plusieurs terrains, dont celui de Clichy-Batignolles, pour répondre à cette invitation à innover. Nous avions alors proposé un montage d’opération avec les investisseurs Eurosic et ACM et nous avions signé un accord dans le cadre d’un Contrat de Promotion Immobilière que nous souhaitions assurer. Par la suite, nous nous sommes rapprochés de l’agence PCA-STREAM, fondée et dirigée par l’architecte Philippe Chiambaretta. Après la réussite au concours, en février 2016, nous nous sommes engagés dans la phase de mise au point des études pour le dépôt du Permis de Construire. Au fil du projet, l’opération a été cédée à un nouvel investisseur : Covivio, ACM restant à ses côtés en co-investissement.


Olivier Estève, directeur général délégué de l’entreprise Covivio

Le Stream Building est un bâtiment manifeste dont Covivio est maître d’ouvrage : en quoi le projet rencontre-t-il l’expertise de Covivio, reconnue pour son ADN partenarial ?

Sur chacun de nos projets, nous menons des processus de design thinking en collaboration avec des équipes constituées de profils très diversifiés, parmi lesquels figurent les architectes. Pour la réalisation du Stream Building qui s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets innovants « Réinventer Paris », la co-conception dès l’origine du projet fut un élément majeur. La Ville de Paris avait rédigé un cahier des charges contenant un certain nombre d’objectifs à atteindre tels que l’inclusion, la performance environnementale, la mixité… Les différents groupements avaient alors carte blanche pour proposer leur vision adaptée à un site. Dès le départ, l’équipe a réfléchi à l’échelle de la ZAC Clichy-Batignolles. Il nous est rapidement apparu nécessaire de ramener de la vie et de la mixité, et de compléter l’équipement structurant du quartier qu’est le Tribunal de Justice. Il a alors été imaginé un programme de bureaux, d’hôtel et de commerces de services, fortement connecté au quartier. Notre mobilisation concernant le volet concertation s’est concrétisée par une consultation avec les riverains pour le choix de ces commerces. En parallèle, pour contribuer au bien-être des habitants, le projet a proposé d’introduire la nature en ville avec des façades plantées et une toiture consacrée à l’agriculture urbaine. Un second volet consiste à accueillir du coworking solidaire, dit Cinaspic, lequel est inclus dans le cadre d’une politique de soutien à l’emploi. Sur ce dernier point, la Ville souhaitait des espaces indépendants mais nous avons défendu le choix de ne pas isoler les individus bénéficiaires et d’intégrer cette surface d’environ 100 m2 au working café et aux espaces d’accueil du Stream Building en rez-de-chaussée.


Philippe Chiambaretta, architecte fondateur de PCA-STREAM

L’agence PCA-STREAM est à l’origine du projet manifeste Stream Building : quelle est la corrélation entre les deux noms ?

PCA-STREAM développe depuis sa création une approche non formaliste basée sur les interactions entre recherche et pratique opérationnelle. Nous fonctionnons en quelque sorte avec deux hémisphères qui dialoguent et s’enrichissent mutuellement : PCA, l’agence d’architecture, d’architecture d’intérieur et d’urbanisme, et STREAM, une structure de recherche pluridisciplinaire. Cette démarche prospective, portée par un lab interne, s’est notamment incarnée dans une collection d’ouvrages qui explorent de grands enjeux contemporains. Stream 02, After Office (2012), qui était consacré aux nouveaux espaces de travail, avait par exemple inspiré de nombreux aspects de nos projets de bureaux, je pense notamment à l’emblématique #cloud.paris, livré en 2015 ; mais avec le Stream Building, nous avons voulu franchir un nouveau cap. Le bâtiment a en effet été conçu peu après la publication de Stream 03, Habiter l’Anthropocène (2014), qui nous avait notamment conduits à la notion de ville-métabolisme, ce que nous avons cherché à incarner dans un bâtiment fonctionnant lui-même comme un métabolisme. Pour la première fois, l’ensemble de notre équipe de recherche et de nos contributeurs ou partenaires scientifiques a été directement impliqué dans le processus même de conception. Projet manifeste dans ses usages et ses interactions avec la ville, le Stream Building est ainsi devenu une sorte de POC, c’est-à-dire un proof of concept des recherches du programme STREAM, ce que nous avons voulu symboliser dans son nom même : Stream Building.


Thomas Skrzypkowiak, directeur dénéral et Amandine Thibault, chef de projet MOEX chez Builders & Partners, Groupe Vertical Sea 

Que représente le Stream Building au sein de votre production ?

Nous avons la chance chez Builders & Partners d’œuvrer sur un spectre élargi de typologies de bâtiments avec des enjeux sociétaux, environnementaux, techniques très importants. Nous intervenons également dans le secteur de la santé, avec par exemple le projet du CHU de Nantes ou sur des projets urbains tels que le Cœur de Ville à Issy-les-Moulineaux. Le Stream Building fait partie de ces pépites immobilières que nous réalisons et que nous sommes fiers de mettre en avant. Lorsque nous avons démarré le projet en 2017, rares étaient les opérations qui avaient autant de connotations à l’environnement et aux sujets sociétaux ; c’était, et cela reste, novateur.

Le Stream Building a créé une symbiose entre les équipes qui partagent un même esprit et cela a beaucoup d’importance dans l’acte de construire. Ici, il a fallu réinventer les méthodes, les phasages, ce qui fut très stimulant, et nous sommes intimement persuadés que dans cet écosystème de personnes très différentes, notre rôle est de trouver des terrains d’entente, cela fait partie de notre quotidien.

Axonométrie

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Covivio
Promoteurs : Hines France
Maître d’œuvre général : Builders & Partners
BET : Charpente Concept, Kephren, VS-A
Surface : 16 000 m²
Livraison : septembre 2022

Texte : Sophie Trelcat
Photos : Jean-Philippe Mesguen

— retrouvez la réalisation sur Stream Building par PCA-STREAM dans Archistorm 117 daté novembre – décembre 2022