PORTRAIT

YANN KERSALÉ

 

Les jardins du musée du Quai Branly, la résille de béton du MuCEM à Marseille, le pont Chaban-Delmas à Bordeaux, la place de la République à Paris mais aussi les trains Bombardier circulant en Île-de-France : par les créations de mises en lumière de l’artiste Yann Kersalé, toutes ces réalisations architecturales ou urbaines, ces infrastructures ou ces équipements – et bien d’autres encore – muent à la tombée de la nuit. Retour sur le travail du plasticien, des architectes et de son studio SNAIK Light Art Studio.

 

C’est en fond de cour d’un immeuble situé derrière la mairie de Vincennes que se déploie depuis 1983 l’atelier du plasticien Yann Kersalé. (…) Les œuvres d’art disséminées dans ce bel espace ouvert, le mobilier dont certains éléments ont été dessinés par l’artiste et, plus simplement, l’ambiance – travailler par exemple au rythme de la musique – confèrent au lieu les qualités d’un espace domestique et participent à réinterroger ce qu’est un lieu de travail. (…) Comme il nous l’explique, « ce lieu a une fonction qui va bien au-delà de, simplement, nous abriter et nous permettre de travailler. C’est un lieu d’expériences, d’expérimentations, de relationnel, de vie, c’est une galerie sans en être une, c’est tout un tas d’éléments ».

Rien de surprenant alors à ce que l’artiste soit attaché au terme « atelier » pour dénommer ce lieu et caractériser l’ensemble des pratiques qu’il permet et soutient, à commencer par la première, la création. « Je dis atelier parce que nous menons vraiment un travail plastique. On ne fait pas de maîtrise d’œuvre, rappelle Yann Kersalé. Notre pratique est celle d’un sculpteur qui aurait pris pour terrain de jeu la nuit et aurait remplacé les matériaux usuellement travaillés par celui impalpable qu’est la lumière. » Cette démarche pionnière, l’artiste la construit depuis la fin des années 1970, après des études aux Beaux-Arts de Quimper. Ses débuts dans l’éclairage de spectacles l’orientent rapidement vers la création d’œuvres, visibles « du crépuscule à l’aube », et fondées sur la mise en lumière d’architectures mais aussi, depuis bientôt 40 ans, de sites naturels, d’espaces publics et d’infrastructures. Les installations et le design d’objets constituent aussi une voie d’expression plastique pour l’artiste et son équipe.

Yann Kersalé et ses associés de SNAIK Light Art Studio

Aujourd’hui composé de six associés constitués en SCOP, SNAIK Light Art Studio travaille exclusivement à la conception et la réalisation des œuvres de Kersalé. Comme l’explique son directeur artistique Jean-Marie Priol, l’expertise qu’a progressivement façonnée l’atelier sur la lumière, « matériau de la transversalité », l’amène à imaginer des œuvres à différentes échelles, sur des territoires les plus variés, en France comme dans le monde, et à collaborer avec des professionnels de la conception et de l’aménagement du cadre bâti allant des architectes aux paysagistes, en passant par les urbanistes, les ingénieurs, les géographes, mais aussi les designers. (…)

Au sein même de l’équipe de SNAIK, la pluridisciplinarité est de mise. Les parcours des six associés balaient un large spectre de formation, des arts plastiques à l’architecture et du graphisme au design. (…) Si Yann Kersalé tient la barre, c’est le travail collégial d’une équipe qui assure le franchissement de la ligne d’arrivée, soit l’aboutissement du projet artistique. Une fois une esthétique, un percept ou un concept imaginé par l’artiste, mission est donnée à l’atelier de répondre aux interrogations quasi routinières des commanditaires : comment cela tient-il, fonctionne-t-il ? Combien ça coûte ? (…)

Les volumes de cet ancien garage agrandi et réhabilité permettent toutes les formes de travail et de création.

Mais n’oublions pas, et Yann Kersalé le rappelle, que l’ambition première reste « d’insuffler un peu de poésie ». La méthode, lentement élaborée par l’équipe, en est une parfaite illustration. Tout commence par la constitution d’un « synopsis ». Ce document annonce un titre et mêle texte d’intentions, schémas, croquis, photographies et données, qu’elles soient historiques, géographiques ou sociologiques, à une interprétation contextuelle. (…) Un moyen, aussi, de revendiquer la création comme moteur essentiel d’une démarche qui se différenciera toujours de celle des concepteurs lumière. Si Yann Kersalé reconnaît le travail de ces professionnels, apparus dans les années 1980, envers les industriels pour les inciter à développer et fabriquer des matériels d’éclairement plus performants et adaptés aux projets de grande ampleur en extérieur, il s’en distingue par les intentions, la méthode et le sens qu’il confère à sa pratique artistique : questionner et jouer du rapport de chacun à la perception de l’espace la nuit, qui demeure souvent empreint de mystère, de fascination.

 

Texte : Maxime Decommer
Visuels
: © Sami Trablesi

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