Alors que près de 70 % de la population mondiale vivra en ville en 2050, le développement d’initiatives en faveur d’une urbanisation soutenable et durable retient l’attention des décideurs publics à l’heure où la question de la responsabilité sociale et environnementale est mise en avant. Par ailleurs, les 600 villes qui croissent le plus vite au monde représenteront près de 60 % de la croissance mondiale. Aussi les municipalités doivent-elles nécessairement prêter attention aux modes de gestion de leurs infrastructures et de leurs ressources dans un contexte budgétaire contraint.

Texte : Frédérique Alfonsi, maître de conférences Université Caen Normandie

 

Qu’entend-on par intelligence ?
(…) La ville intelligente s’inscrit dans la lignée d’un urbanisme technocratique et planifié né au xixe siècle en France, dans un objectif conjoint de sécurisation et de salubrité publiques. L’idée était déjà de mieux gérer la ville, de mieux la contrôler, problématiques toujours d’actualité avec le déploiement par exemple de caméras de vidéosurveillance. Comme hier, c’est le déploiement en réseau qui est à l’œuvre (égouts, électricité, wifi) dans une logique top down.
Dans cette optique, les réseaux virtuels déployés à l’échelle de la ville intelligente ne sont plus alors considérés comme des outils, répondant à des besoins et à des usages, mais comme des prolongements des territoires physiques existants. Dans la construction de l’espace, le numérique se prétend urbaniste. Les villes sont alors assimilées à des réseaux décloisonnés fonctionnant en temps réel et en interactivité. (…)

Tram de Montpellier
© Peter Curbishley – Wikimedia Commons

Des projets rentables ?
Poser la question de la rentabilité de tels projets revient à adhérer à cette vision techniciste et centralisée de la ville intelligente et donc à oblitérer ce qui fait l’essence même de ces projets, à savoir une approche horizontale, co-construite.
L’analyse de 50 projets européens de ville intelligente menée par le cabinet McKinsey met en évidence le déploiement de solutions sur mesure plutôt qu’à grande échelle. En effet, dans la plupart des cas, ni les municipalités ni les fournisseurs de solutions n’ont voulu ou n’ont été capables de se risquer à développer des expérimentations à large échelle.
Car, comme dans tout projet de recherche-développement, l’investissement de départ est lourd. C’est la raison pour laquelle leur financement provient le plus souvent de subventions ou d’aides publiques (IDEFI, BPI, FEDER, etc.) avec le soutien de laboratoires de recherche plutôt que d’un autofinancement des municipalités. (…)

Vue sur la sculpture de Frank O. Gehry à Barcelone
© Till Niermann – CC

Vue sur les buildings du Central Park de Songdo en Corée
© Ken Eckert, Wikimedia Commons

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mode de gouvernance de la cité interrogé
(…) Pour qu’elles réussissent leur pari de l’intelligence, les municipalités doivent associer les citoyens dès l’élaboration et tout le long du déploiement du projet. Cette association est la condition sine qua non de l’acceptation des solutions déployées car elle sera centrée sur les usages et donc sur les besoins des individus, des entreprises et des organismes publics du tissu local. La médiation à destination de ces différents publics ne peut toutefois être seule mise en oeuvre. Elle doit être accompagnée d’une assistance à maîtrise d’ouvrage pour faire évoluer et maturer le projet agilement, en temps réel.
En remettant le citoyen au cœur de la « construction » de la ville, l’appréhension top down pourra être dépassée au profit d’une approche plus souple, plus collaborative, de nature horizontale, cohérente avec la nature des technologies. Cela implique de nouvelles techniques de management, de nouveaux modes de gestion de projet qui bousculent nos habitus car ils nous obligent à penser autrement.