Woodmania : Les tours en bois

 

Hisser haut… et en bois  

 

Les nébuleuses urbaines ne cessent de s’étendre dans un contexte d’urgence écologique. Pour tenter de résoudre les questions foncières et environnementales, un nouveau modèle – la tour en bois – se développe à l’échelle internationale. De Bergen à Bordeaux, plusieurs expérimentations voient le jour mais le modèle doit toujours affronter les problématiques d’urbanité et de normes.  

 

Quatorze niveaux, cinquante mètres de hauteur, telles sont les dimensions de la Treet Towerun immeuble d’habitations de luxe, tout en bois, planté en bordure d’eau à proximité de la nouvelle marina de Bergen, en Norvège. Exhibant ses puissants systèmes d’assemblage, tel un mécano géant, l’édifice revendique le titre record de plus haute construction au monde totalement réalisée en bois. Initiée dès 2005, puis portée par Bergen and Omegn Building Society, une entreprise de construction axée sur le développement durable, en collaboration avec les concepteurs d’Artec Prosjekt, sa construction aura nécessité les compétences d’un regroupement élargi de spécialistes du bois.

 

© David Valldeby

 

Projet pilote

Posée sur un socle de béton, la tour est faite d’une structure porteuse en bois lamellé-collé particulièrement épaisse, laquelle reste visible en façade, derrière les parois de verre abritant les loggias. Elle est également très présente dans les appartements et les espaces partagés. Contreventée en diagonale, ce squelette porte les modules de bois porteurs (de type CLT, faits de panneaux structurels en lames de bois croisées) constituant les logements. Préfabriqués en Estonie, hauts de quatre niveaux, ces éléments n’ont nécessité que trois jours de travaux pour être accrochés à l’ossature. De fait, le temps de chantier en fut raccourci. Afin de réduire les mouvements, notamment ceux provoqués par les vents forts, les niveaux 5, 10 et celui de la toiture sont lestés par de lourdes dalles de béton, mais ces dernières n’assurent aucune fonction structurelle.

 

Projet pilote passif, répondant aux meilleurs standards écologiques, la Treet Tower n’est plus l’exception norvégienne. La tour Hoho à Vienne culmine à 84 m tandis que la Brock Commons de Vancouver la dépasse de 39 m. Néanmoins, le tout-bois est encore au stade expérimental. En effet, ces deux édifices – autrichien et canadien – prennent appui sur un noyau de béton. En construction mixte, la concurrence se fait rude et de multiples projets revendiquent la primeur en matière de grande hauteur bois, qu’il s’agisse de programmes de logements ou de bureaux.

 

Woodmania

Wood’Up, future tour de logements dans le XIIIe arrondissement parisien par LAN architectes ; Woodeum, promoteur immobilier « pour une ville durable » ; Ywood, filiale bois de Nexity ; Woodrise, congrès mondial sur les immeubles de bois de moyenne et grande hauteur … une woodmania gagne tous les secteurs de la construction. Les raisons en relèvent de toute évidence de l’urgence écologique mondiale : utilisé pour construire, le bois diminue l’empreinte carbone car il emprisonne le CO2. Il est aussi source d’inventions nécessaires, tandis que la filière sèche ainsi favorisée diminue les temps de chantier. « La construction en bois permet de penser l’assemblage et le désassemblage, de fait on peut réutiliser la matière », explique Lina Ghotmeh, architecte d’une future tour expérimentale dans le quartier Masséna (dans le cadre de l’opération Réinventer Paris) dont les coursives extérieures régulent les contraintes incendie, et d’une autre à Angers, où la rationalisation maximale est la règle de conception pour diminuer les coûts. « Ce sont des projets difficiles à mener » poursuit-elle, « car en France nous n’avons pas la culture du bois, il n’y a pas d’exemple, tout est à construire. La contrainte règlementaire peut aider, c’est un dialogue à établir ».

 

3 bis ZAC Euratlantique, Bordeaux © Cyrille Weiner

 

Développer les filières

En ce qui concerne les politiques urbaines, les mesures en faveur du développement des filières bois sont lancées : ainsi de l’Institut FCBA (forêt cellulose bois-construction ameublement), du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) valorisant sa section bois et encore de l’Association ADIVbois, porteuse du projet « Immeubles à vivre en bois » dont l’objectif est de montrer qu’il est possible de construire haut et en bois. Soutenue par l’état à hauteur de 5,8 millions d’euros, ADIVbois développe des activités de recherches, d’assistance technique, de formations… et initie des concours d’architecture comme celui, très remarqué, pour les immeubles de grande hauteur. L’événement a donné lieu à une profusion de constructions virtuelles. Aujourd’hui, peu d’entre elles ont émergé : la grande hauteur en bois se heurte contre les récifs réglementaires, économiques et culturels, particulièrement en France, où le béton est encore roi.

 

Toucher du bois

À Bordeaux, l’immeuble Perspective, dessiné par l’agence Laisné/Roussel1, initié de gré à gré par le promoteur Pichet, est l’heureux détenteur du titre de plus grand édifice tertiaire en bois de France avec ses 31 m d’élévation. Projet étendard, souhaité par la ville et par l’aménageur Euratlantique, il fut inauguré par le maire Alain Juppé, et se veut une brillante vitrine de la filière en gardant visible le matériau, très bien manipulé par les architectes.

 

© Baudevelopment

 

« La structure est simple », expose Dimitri Roussel, « l’exploit se situe davantage du point de vue réglementaire et administratif. L’enjeu était de convaincre les pompiers et de s’inscrire dans une filière française. La demande était claire, il fallait exploiter les ressources locales. Nous avons utilisé du pin des Landes pour l’ossature et de l’épicéa du Limousin. Aujourd’hui, les scieries se redéveloppent et les entreprises se fédèrent, la demande structurant l’offre. Notre bâtiment a coûté plus cher, 5 à 10% supplémentaires qu’en filière traditionnelle », précise-t-il, mais la protection environnementale se doit d’englober ces surcoûts, « c’est un sujet de société majeur. Nous sommes dans une phase de transition, les grands majors du BTP changent » ajoute-t-il. Ici, la structure reste mixte avec un noyau de circulation en béton pour la stabilité de l’édifice, prouvant que le tout-bois n’est pas toujours adéquat : « il faut poursuivre l’expérimentation, le bois est très pertinent si on le met au bon endroit » conclut Dimitri Roussel.

 

Texte : Sophie Trelcat

Photo de couverture :3 bis ZAC Euratlantique, Bordeaux © Cyrille Weiner

Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro 100 du magazine Archistorm, disponible en kiosque.