RÉALISATION

Halle Boca à Bordeaux par ANMA

 

Photos : Sergio Grazia

Texte : Elisabeth Tran-Mignard et Amélie Luquain

 

Le visage de Bordeaux (Gironde) a bien changé ces quinze dernières années. Sur le quai de la Palutade, là où bars et discothèques avaient investis les anciens chais et maisons ouvrières, le visiteur découvre un quartier contemporain. Tout juste sorti de terre, ce n’est encore que l’embryon d’une vaste opération d’intérêt national dénommée « Bordeaux-Euratlantique ». Un projet de développement territorial qui s’étend sur plus de 700 ha, répartis entre les trois communes de Bordeaux, Bègles et Floirac, porté par l’Établissement public d’aménagement (EPA) du même nom. Créé en 2010, il a pour ambition de loger 40 000 nouveaux habitants et de produire 30 000 emplois, au travers de la construction de milliers de mètres carrés de logements, de bureaux et d’équipements publics.

 

 

« UNE OPERATION INSCRITE DANS UN VASTE PROJET DE DÉVELOPPEMENT TERRITOTIAL »

 

Avec l’arrivée de la nouvelle ligne à grande vitesse (LGV) mettant Bordeaux à deux heures de Paris, le quartier de la gare Bordeaux Saint-Jean, au sud de la métropole bordelaise, se transforme. Les urbanistes, Reichen et Robert & Associés, ont divisé la ZAC Saint-Jean Belcier en plusieurs domaines, accentuant l’esprit de chaque lieu.

 

Le domaine de la Palutade est marqué par les activités nocturnes qui l’ont longtemps animé. Son attractivité à venir passe par une programmation variée. Déjà, la colossale Maison de l’Économie Créative et de la culture en Aquitaine (MECA), dessinée par l’agence internationale Bjarke Ingels Group (BIG), associée à Freaks architectes, dévoile sa volumétrie biseautée et ses façades de béton beige. Avec une surface de 12 000 m², elle est destinée à héberger des institutions culturelles a acronymes que sont le FRAC (Fond régional d’Art Contemporain), l’OARA (Office Artistique de la Région Aquitaine), l’ÉCLA (Écrit, Cinéma, Livre, Audiovisuel) et un vaste plateau d’expositions extérieures en lien direct avec l’espace public du quai. À ses côtés, s’élève l’imposant siège social de la Caisse d’Épargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC) conçu par Architecture-studio, à proximité du parking Parcub des architectes Bernard et Jean-Marie Mazieres. En bordure de la Garonne, le site est enserré entre les infrastructures : le boulevard des frères Moga au nord et les quais au sud ; les voies ferrées et le pont Saint-Jean à l’Ouest et le futur pont Jean-Jacques Bosc à l’Est. En 2019, démarre le chantier de requalification des berges du fleuve. Elles seront totalement revisitées dans la continuité de celles du centre de Bordeaux. Espaces verts, pistes cyclables, circulation apaisée, etc. participeront aux dynamismes des nouveaux quais.

 

 

UN SITE PORTEUR D’HISTOIRE

 

C’est le long du quai de Palutade, que sont reconvertis les anciens abattoirs de Bordeaux. Édifiée en 1938 par l’architecte Jacques Debat-Ponsan, cette halle aux bestiaux, du même nom que son concepteur, abritait bœufs, moutons et porcs. Témoignage de l’activité industrielle du secteur, elle est remarquable par son architecture, souligne Nicolas Michelin, architecte fondateur de l’Agence Nicolas Michelin & Associés (ANMA), en charge du projet de reconversion. Lors de sa première visite avec Eiffage, promoteur et constructeur de l’opération, l’architecte se dit ému par l’élégance du bâtiment, où subsistait encore la paille et d’autres traces du passé, alors même que la halle était ouverte sur l’extérieur, laissée à l’abandon. Couverte sous une fine voûte de béton, d’une dimension de 275 m de long par 30 m de large, la nef dégage un volume vide aux proportions spectaculaires. Le chapeau de béton armé, animé de vantelles et de carreaux de verre, repose sur les ailes des auvents latéraux, en porte-à-faux sur plus de 6 m, repris par des piliers évasés. Suite à un incendie, la halle est partiellement détruite en 1998. Cette partie, dénommée « marché aux porcs », est démolie en début d’année 2014 sur une centaine de mètre. Un diagnostic structurel rendait la zone impropre à accueillir de nouveaux usages. La ligne aérienne filant sur près de 300 m le long du quai perd un tiers de sa puissance. Alors que tout aurait pu être détruit, c’est dans le respect de la structure originale et de son patrimoine que l’aménageur, le maître d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre décident de réhabiliter et reconvertir la halle des anciens abattoirs de Bordeaux.

 

 

UNE PROGRAMMATION MIXTE

 

Dans la halle réhabilitée, 4500 m² de commerces et restaurants promettent un voyage gustatif. Notamment l’aire de restauration partagée « food court », où l’en consomme sur place, met en valeur des produits locaux provenant du Marché d’Intérêt National (MIN). Une offre complétée par l’accueil d’événements musicaux et culturels et des services de proximité, repartis aussi en rez-de-chaussée des nouveaux immeubles. Rebaptisée Halle Boca, les anciens abattoirs empruntent leur nouveau nom à un quartier animé de Buenos Aires, en Argentine.

À leur côté, un premier plot abrite 166 chambres d’hôtels reparties sur neuf niveaux, ainsi qu’un restaurant et un espace de séminaire, sous l’enseigne Hilton Garden Inn. Les deux autres bâtiments hébergent en R+8 des bureaux sur des plateaux de 700 m², soit 10 500 m² dédiés au tertiaire. Différentes activités seront mises en relation par un large espace public Vélo Intermodalité Piéton (VIP). Plus qu’un espace de détente et de promenade, il se veut une grande scène urbaine, où habitants, employés et visiteurs se rencontrent.

 

 

UNE MISE EN ŒUVRE COMPLEXE : UN CHANTIER EXEMPLAIRE EN 24  MOIS

 

Deux années de chantier, dont 10 mois dédiés aux travaux de réparation auront été nécessaire, pour répondre au souhait de conserver la voûte en béton d’origine, malgré le regretté « marché aux porcs » démoli quelques années plus tôt. La difficulté majeure de cette opération fut d’assurer la solidité d’un ouvrage des années 1930 très abimé, détérioré sur ses bétons et ses étanchéités, et de le transformer en un bâtiment recevant du public adapté aux réglementations actuelles. Il a fallu réparer l’existant en modifiant le moins possible la structure. Les bétons ont été sécurisés, les voûtes reconstituées et la toiture ré-étanché, tout en ajoutant le moins de charges possibles, afin de préserver la silhouette initiale de ce patrimoine.

 

 

Le mot de l’architecte

Nicolas Michelin, architecte fondateur de l’ANMA.

 

Quelle a été la genèse du projet ? Eiffage vous a sollicité sans concours. Pourquoi ?

 

Ce projet attendait un preneur bien qu’il suscitait une sorte d’appel à manifestation d’intérêt permanent. Des propositions avaient déjà été faites, mais elles n’étaient pas satisfaisantes. Eiffage, en tant que promoteur immobilier, m’a demandé si l’opération intéressait ANMA. Nous nous sommes rendus sur le site et nous avons visité la halle. La solution m’est assez vite apparue, comme une intuition. Nous avons fait quelques esquisses, que j’ai communiquées à Eiffage et que nous avons proposées à l’aménageur, l’EPA Bordeaux-Euratlantique. Dans un premier temps, notre intervention sur le territoire voisin des Bassins à Flot a posé problème. Mais une fois l’esquisse présentée aux différents intervenants et à Alain Juppé, maire de Bordeaux, le projet a pu se dérouler. Le fait qu’une antenne de l’Agence soit déjà implantée dans la ville a également pesé dans la balance.

 

Qu’est-ce qui vous a motivé dans cette commande ? Quelles étaient vos premières impressions en arrivant sur le site ?

 

La halle Debat-Ponsan est un lieu qui parle, de par son élégance et sa valeur patrimoniale, et ce même si l’immeuble du siège de la Caisse d’Épargne est un obstacle vis-à-vis de la Garonne. Ensuite, je pense qu’il ne faut pas démolir systématiquement les bâtiments. Il vaut mieux essayer de leur donner une deuxième vie, ce qui est meilleur pour l’environnement et ne coûte pas forcément plus cher. Cette certitude est d’ailleurs dans l’ADN de l’agence ANMA. Datée des années 1930, la halle était restée figée dans son époque, abîmée par le temps. On pouvait y trouver de vielles horloges, des tableaux sur lesquels était encore indiqué le cours de la volaille et des vaches, comme si le temps s’était arrêté. Face à ce spectacle, un imaginaire prend forme et une solution apparait rapidement. On a commencé par imaginer prolonger la nef, là où elle avait été détruite, et construire au-dessus. L’esthétique globale était préservée.

 

Quels étaient les enjeux de conception ?

 

Nous souhaitions que la halle garde son identité et qu’on lui offre un maximum de lumière. Il s’agissait d’un travail d’horloger, assez direct, avec une sorte de simplicité et de vérité, entre architecture et ingénierie. L’enjeu était principalement technique, un rôle qu’ont parfaitement assumé les chefs de projets Michel Delplace, architecte associé de l’ANMA et Bruno Isambert, chef de projet. Nous avons dû beaucoup réfléchir et trouver les solutions pour ne pas alourdir la fine structure de béton en l’étanchant, ainsi que pour apporter de la lumière à travers les vantelles et les pavés de verre. Par ailleurs, l’ajout d’une mezzanine centrale dans la halle a posé bien des problèmes, mais finalement, nous avons quand même réussi à préserver la volumétrie et l’interminable perspective de la halle. Sur la partie neuve, nous ne voulions pas de formes complexes, juste des tranches, en façade légère. Finalement, les logiques constructives d’Eiffage nous ont conduit à faire des façades porteuses en béton mais, là encore par un travail assez fin, nous avons su leur donner une impression de légèreté.

 

 

Maîtrise d’ouvrage : Eiffage Immobilier / Halle Debat Ponsan

Maîtrise d’œuvre : ANMA / Agence Nicolas Michelin & Associés

Surface totale : 18 200 m2

 

 

Retrouvez l’article sur la Halle Boca à Bordeaux dans le numéro 95 du magazine Archistorm, daté mars-avril 2019 !