Propos recueillis par Christine Blanchet

La photographie d’architecture est un sujet peu étudié. Peut-être souffre-t-elle d’être un art de commande, concurrentiel, très codifié, pourtant il s’agit bien d’un domaine des arts visuels et plastiques avec une histoire, des racines, des maîtres, une production et des recherches vivantes, sans oublier que l’architecture est un thème à succès de la photographie populaire et touristique. Le CAUE92 rend hommage, pendant trois semaines d’une programmation qui leur est dédiée, aux photographes et à leurs images.

Entretien avec Laure Waast, architecte

Laure Waast © CAUE92

Comment le projet d’exposition est-il né au CAUE92 ?
L’élargissement du Mois de la Photo au Grand Paris a servi de déclencheur. Mais au-delà, une raison domine. Elle tient aux relations du CAUE92 à la photographie. Le CAUE est né à la fin des années 1970. La banlieue était alors un espace hors champ. Elle était encore considérée comme une forme assez voisine du chaos, peu digne d’intérêt, où tout au plus se construisaient de grands ensembles de logements qui abîmaient le paysage. Depuis Doisneau, peu de photographes s’y étaient intéressés. Une inversion s’est produite au début des années 1980. La mission photographique de la Datar, créée en 1983, qui s’intéressait particulièrement aux territoires en mutation, a largement contribué à ce changement de focale. C’est dans ce contexte que le tout jeune CAUE, qui avait besoin de documenter son territoire, celui des Hauts-de-Seine, s’est engagé en photographie. Médiateur pour l’architecture, commanditaire pour la photographie : avec la revue Topos qu’il avait créée dans les années 1990, puis avec les grandes expositions qu’il a réalisées dans les années 2000, il s’est très volontairement positionné comme tel (il est notamment à l’origine du magnifique travail de Stéphane Couturier sur les usines Renault). C’est une entreprise que nous voulons poursuivre dans notre galerie de Nanterre aujourd’hui.

Souvenir d’un futur © Laurent Kronental

Memorial © Filip Dujardin

 

Photographie et architecture entretiennent-elles des relations particulières ?
Architecture et photographie entretiennent des relations anciennes ; si anciennes qu’elles ont l’âge de la photographie. Et elles sont bien vivantes, en témoigne le succès de l’architecture sur les réseaux sociaux d’images ; plus d’un humain sur deux se presse dans une agglomération urbaine, c’est peut-être la raison. L’architecture se trouve à l’intersection des grands sujets de la photographie : l’homme et le paysage. Il s’y reflète parfaitement les époques, les sociétés et leurs milieux. L’architecture est un sujet pour la photographie, en retour la photographie est indispensable aux architectes pour communiquer ; la relation est symbiotique.

Centre culturel. O-S architectes. Saint-Germain-Lès-Arpajon © Cyrille Weiner

L’exposition présente des approches différentes (artistiques, documentaires, etc.), avez-vous eu une volonté de témoigner de ces différentes appréhensions ? Comment ?
Notre envie était de rendre compte de la densité de l’iconographie architecturale. Nous avons voulu montrer de quelles différentes manières l’architecture est un sujet, comment les photographes s’en emparent, et quelles sont les utilisations faites de ces images (presse, édition, exposition). Observer le changement, documenter un bâtiment, interroger le paysage urbain, indicer le réel mais aussi le transformer sont autant de positionnements possibles. De la photographie architecturale de commande telle que la pratiquent Hélène Binet ou Boegly et Grazia au réalisme documentaire de Pierre-Olivier Deschamps ou Cyrille Weiner, des recherches critiques de Nicolas Moulin aux métamorphoses plastiques de Filip Dujardin, l’éventail des approches est large. Au-delà de la capacité de la photographie à rendre compte des intentions des architectes et à informer le monde construit, la force des grands photographes est d’exploiter leur art pour nous conduire au-delà de la surface, et délivrer par l’image des informations non visuelles. La photographie est un art de l’interprétation.

Quelles sont les réactions du public face à ces images d’architecture, est-ce que la photographie change son rapport et sa vision de l’architecture ?
Difficile de présumer des réactions du public face à des images très différentes dans leur esthétique, leur technique, leur format, leur sujet. La précision troublante des cathédrales de Markus Brunetti s’impose-t-elle plus que la cour diaphane du conservatoire de Versailles captée par Schnepp-Renou ? Et que dire du détail d’une ombre sur le pont de Potenza, des portraits de Laurent Kronental, de la chapelle autoroutière fixée par Naaro, des cours de Budapest de Marchand et Meffre ? Certaines images exerceront un attrait, d’autres du rejet ou de la nostalgie ; elles renvoient à notre expérience sensible du monde. Ce dont on est certain, en revanche, est que la photographie impacte la pratique de l’architecture, et que la circulation des images forge notre regard sur l’architecture. La photographie nous invite à poser les yeux sur ce que l’on ne voit pas forcément.

 

L’ombre de l’angle : architecture et photographie / Jusqu’au 29 avril 2017
Du mercredi au samedi de 12 h à 18 h, jusqu’à 22 h les soirs de débat et apéro-DJ.
Une exposition sélectionnée par le Mois de la Photo Off !

Apéros parlés
Conversations publiques sur l’architecture et la photographie emmenées
par le journaliste Olivier Namias, les jeudis 6, 13 et 20 avril à 19 h.

Studio-photo
Bike-food et DJ set, les vendredis 7, 14 et 21 avril à 18 h.

CAUE92 – La Galerie
9 place Nelson-Mandela, 92000 Nanterre
http://www.caue92.fr/