Par le plus grand hasard, ce mois de mai, j’auditionne les candidats lycéens à l’École d’architecture de la ville et des territoires de Marne-la-Vallée la même semaine où je finalise les réflexions du groupe « sensibiliser » que j’anime pour Mme la ministre de la Culture dans le cadre de la « Stratégie nationale pour l’Architecture (SNA) ». Et c’est le télescopage…

Pour la SNA, nous mettons en valeur le rôle sociétal de l’architecture, aussi bien pour le logement et le cadre de vie, pour la ville et les espaces publics que nous partageons que pour la plus-value économique que représente l’architecture, même ordinaire, dans les secteurs de l’industrie et de l’artisanat. Promouvoir l’architecture, c’est aussi favoriser les cultures constructives et les compétences des autres métiers. Nous tentons, avec l’appui d’autres ministères, dont le Logement, l’Égalité des territoires et la Ruralité, de montrer à quel point la diversité des contextes territoriaux, des métropoles aux villages, devrait susciter et stimuler une diversité de pratiques d’architectes, mieux en phase avec les spécificités de chaque situation. Nous pensons qu’aujourd’hui, alors que la sobriété est de mise, aussi bien en termes de budget que de ressources et d’énergie, l’architecture est plus que jamais nécessaire : sa transversalité éloigne les approches sectorielles dispendieuses. […]
En parallèle, dans les vingt-cinq entretiens menés avec de jeunes lycéens, l’image qui se dessine est tout autre, sans doute plus proche de la représentation commune de l’architecture. Une bonne vingtaine citent en premier lieu l’impact du bâtiment de Frank Gehry pour la fondation Vuitton sur leur motivation, comme si l’architecture se distinguait d’abord par l’exceptionnel, le monumental, le vertige budgétaire… Seuls trois (sur vingt-cinq… !) soulignent qu’être architecte, c’est s’intéresser, pour les améliorer, aux conditions de la vie urbaine, aux plans des logements. Un peu plus, sept ou huit, insistent sur les enjeux environnementaux avec une conviction sincère et précise. Mais on reste sur sa faim. Ces entretiens aléatoires laissent rêveur sur un autre sujet d’actualité – la réforme du collège – et la capacité de l’enseignement secondaire à stimuler l’esprit critique et l’intelligence citoyenne, la culture générale et le sens de la situation. […]

 

Place de l’hôtel de Ville de Saint-Etienne, 2013
© Richard Bonnet photographies, 2013

Maison du projet, future maison des associations pour le nouveau quartier de Monges Croix du Sud à Cornebarrieu (Toulouse), 2007
© Obras architectes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le ministère de la Culture a eu naguère tendance à se focaliser sur la rareté savante que le marché immobilier et l’industrie du BTP voulaient bien lui laisser à l’occasion magnifier. Il réaffirme aujourd’hui l’intérêt d’une architecture exigeante et néanmoins ordinaire, les enjeux de société, la dimension territoriale et urbaine de l’architecture, la force féconde de la culture constructive. C’est heureux. Les monuments demeurent nécessaires, mais ne faut-il pas étendre notre attention et notre énergie à cette qualité banale, et si souvent maltraitée, qui est celle des appartements, des maisons, des rues, des places, des paysages que nous habitons ? Je suis heureux de participer à cette réflexion. Mais je le fais sans ingénuité. Les fonctionnaires de Bercy, qui administrent à l’ancienne la France d’en haut sans en discerner les richesses profondes, les ressources incroyables – y compris économiques… ! –, se moquent bien de la culture, et de l’architecture. C’est probablement eux qui auront gain de cause, in fine. […]

Le monde se métamorphose, et a besoin de décalages. Ne rien laisser paraître demande un travail patient, délicat, précis, une attention au lieu, mais aussi une exigence vis-à-vis d’une discipline – l’architecture – dont l’histoire immense nous nourrit chaque jour. Le concepteur disparaîtra peut-être, mais l’espace demeure, disponible. C’est une belle raison de travailler, non ?

Retrouvez l’intégralité de l’artice dans le n°73 d’archiSTORM