Texte : Christine Blanchet

À l’ère de la modernité

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Avant 1890, le béton est essentiellement un matériau d’infrastructures, mais en quelques années les inventions et les brevets se multiplient sous l’impulsion de personnalités comme Cottancin, Coignet, Wayss-Freytag ou encore Hennebique, favorisant ainsi son développement et sa diffusion en Europe et aux États-Unis.
À la fin du xixe siècle, le béton reste caché sous les revêtements de pierres ou de briques. Son coût économique et ses atouts techniques pour les ossatures, porte-à-faux, coques ou voiles minces le destinent à être principalement employé dans des bâtiments industriels (hangars, usines, silos). Si l’on reconnaît déjà le brillant avenir de ce matériau, dû essentiellement à ses qualités économiques, pour autant « son aspect indigent ne convient guère aux façades ». Certains même n’hésitent pas à employer à son propos le terme de « laideur ». Mais la pugnacité d’architectes visionnaires tels Perret, Sauvage ou de Baudot permet d’engager le béton dans une voie plus esthétique, les libérant peu à peu des formes du passé.
En construisant l’immeuble de la rue Franklin à Paris en 1902, Perret, influencé par le rationalisme, donne à voir pour la première fois l’armature entière et apparente faite en béton armé de l’édifice. Le théâtre des Champs-Élysées ou encore l’église du Raincy, bâtis respectivement en 1911 et 1923, incarnent le bien-fondé de ses idées et de ses nouvelles méthodes pour imposer « le béton esthétique ». Ce n’est pas sans causer quelques polémiques, qui lui vaudront une notoriété immédiate.

« Mon béton est plus beau que la pierre. Je le travaille, je le cisèle, j’en fais une matière qui dépasse en beauté les revêtements les plus précieux. »
Auguste Perret

© D. R. : Pier Luigi Nervi, Les entrepôts de sel de Tortona

Du rejet à la fascination

Depuis juillet 2016, ce sont dix-sept sites créés par Le Corbusier, dont dix en France, qui bénéficient du prestigieux label international de l’UNESCO. Malgré les critiques et les controverses récentes, l’oeuvre du pionnier du Mouvement moderne perdure et son parti pris d’une esthétique en béton brut, monumentale et dépouillée, a largement participé à une projection visionnaire de l’architecture du xxe siècle, avec ses édifices sur pilotis et ses grandes fenêtres en bandeau ouvrant vers l’extérieur.
Les réalisations corbuséennes témoignent de l’évolution des mentalités et du nouveau regard porté sur ces architectures, tant décriées hier ! À Marseille, la Cité radieuse, surnommée à sa sortie de terre, de manière peu affectueuse la Maison du Fada, est devenue depuis 2013 le troisième lieu le plus visité après Notre-Damede-la-Garde et le MuCEM de Rudy Ricciotti. Aménagé sur le toit-terrasse, le nouveau centre d’art, le MAMO, contribue avec les habitants, les activités commerciales et l’école maternelle à pérenniser l’âme vivante du lieu.

« Il y a un parallèle à faire entre le vieillissement de ces quartiers et les personnes âgées qui les habitent : les seniors sont eux aussi toujours là, debout. »
Laurent Kronental

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Patrimoine en devenir

En cours de rénovation, le musée de la Poste, conçu par l’architecte André Chatelin en 1973, va certainement participer d’une nouvelle étape d’appréciation de ces édifices fonctionnels d’inspiration brutaliste, architectures des années 1970 encore mal aimées de nos contemporains. La rénovation et la transformation du « nouveau » musée ont été confiées à l’architecte Frédéric Jung, dont le parti pris illustre parfaitement le désir de ne plus rejeter en bloc ces traces du passé, mais au contraire de les adapter aux besoins et aux normes de notre société. Il ne s’agit là que de rajouter des strates rappelant que le présent se fonde toujours sur le passé.

« Ce projet, c’est aussi une rencontre avec l’architecture des années 1970, brutale, mais digne d’intérêt dans l’exploration des bétons, des opacités, dans le recherche d’une expressivité forte… »
Frédéric Jung

© Jung Architecture – L’Autre Image : Façade sud sur le boulevard de Vaugirard du futur Musée

© Collection Musée de La Poste : Vue générale du musée Postal – 2011

© Philippe Boulen/Ville du Havre : Vue du bassin du Commerce avec en arrière-plan Le Volcan (Espace Oscar Niermeyer) et l’église Saint Joseph