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L’ARCHITECTURE FIN DU MONDE
3 VIVRE EN ECOVILLAGE – DEVENIR HOBBIT, SEPARATISME ET AUTONOMIE

 

Imaginons que les partisans de la collapsologie se soient trompés. Hier encore, ils faisaient leur beurre d’annoncer à tous vents (pollués) la fin imminente du monde excessif où nous mal-vivons. Hier encore, chaque intervention du catastrophiste Pablo Servigne sur les réseaux sociaux, suivie par les foules, s’accompagnait de suicides de masse pour cause de désespoir solastalgique. Hier encore, tout le monde se préparait d’arrache-pied à revenir au mode de vie amish, éclairage à la bougie et cuves à pétrole changées en jardinières à légumes, en composteurs à excréments ou en autres récupérateurs d’eau de pluie (polluée aussi). Hier encore, nous autres mangeurs de viande en costard et tailleur étions à deux doigts de muter en brouteurs de prairies sauvages allant tout nu. Et puis quoi ? D’accord, la température moyenne s’est élevée, et le réchauffement climatique est un fait avéré. D’accord, la biodiversité a reculé. D’accord, l’eau du robinet a un goût de pesticides. D’accord, toutes les banquises ou presque ont fondu. Pour autant, la vie continue et, ma foi, elle ressemble encore beaucoup à la vie d’avant.

En mieux, à y bien regarder. À force d’affermir notre conscience écologique, toujours plus de Terriens ont déménagé vers les écovillages, ce nouvel urbanisme vertueux. La fin du monde ? Damned, la voilà encore différée.

L’écovillage, terme issu du rapprochement des vocables « écologie » et « village », est ainsi défini par l’encyclopédie Wikipédia : « Un écovillage (ou éco-village, éco-lieu, éco-hameau) est une agglomération rurale ayant une perspective d’autosuffisance reposant sur trois axes : un modèle économique alternatif, une place prépondérante accordée à l’écologie, une vie communautaire active. Un des objectifs de ce concept est de redonner une place plus équilibrée à l’homme en harmonie avec son environnement, dans un respect des écosystèmes présents. »

Ajoutons à la définition générique cette mention complémentaire, de nature à la fois quantitativiste et éthique – elle n’est pas à négliger, elle donne à l’écovillagisme ses lettres de noblesse, dont elle fait un apostolat de notre époque ancrée dans la surexploitation et l’épuisement des ressources : « Le principe de base [de l’écovillage, de l’écovillagisme] est de ne pas prendre à la terre plus que ce qu’on peut lui retourner. Les modes de culture alternative comme la permaculture, par exemple par le biais de l’agroécologie, y sont mis en pratique. »

Agriculteurs amish © Vladimir Kudinov

Un mouvement de fond hétéroclite

L’écovillagisme ou la vie frugale et décente au village. Est-ce si nouveau ? La crise environnementale, dès le XIXe siècle et la révolution industrielle, le rend d’office amical, ne serait-il pas encore à l’ordre du jour. Les grandes villes d’alors, nourries par un exode rural désordonné et aux périphéries rongées par le cancer industriel, sont en passe de devenir invivables. Pourquoi, plutôt que les rejoindre en cohortes, ne pas rester au village ? Et ce village où prédominent activités agraires et vie en douceur, pourquoi ne pas en faire l’Éden existentiel ?

Devenue une pulsion viscérale du XXIe siècle, l’envie du village reste un phénomène minoritaire jusqu’à la fin du XXe siècle, séquence par excellence de l’urbanisation massive. Cela, même si cette « envie de village », dès avant notre époque écologiquement sinistrée, annonce ses défenseurs. Les socialistes utopistes de la Colônia Cecília installent au Paraná (Brésil), en 1890, une microsociété agraire fondée sur le partage du travail et des biens. Le principe des kibboutzim (le premier, le kibboutz Degania, est implanté en Palestine ottomane en 1909) se nourrit d’un même esprit à la fois agraire et communautaire. Quelques régimes totalitaires, quelques pouvoirs politiques réactionnaires du XXe siècle encore (stalinisme en URSS, Chine de la Révolution culturelle, Révolution nationale en France…), souvent rétifs à l’atmosphère délétère et cosmopolite des villes, ont vanté eux aussi les vertus de la vie à la campagne. Pas au point encore, cependant, d’en faire ce principe supérieur que précipite le désastre écologique enregistré à compter des Trente Glorieuses (1945-1973), qui va faire plébisciter cette « envie de village », puis l’universaliser. En émane le désir élargi d’une forme de vie plus proche de la nature, humainement plus fraternelle aussi. L’écovillagisme contemporain naît de cette pulsion. Des personnes isolées, des groupes culturellement en rupture de ban avec les sociétés établies en sont les promoteurs, parfois unis dans des associations nationales ou internationales (Réseau français des écovillages créé en 1997, Global Ecovillage Network né en 1995…). Les mobiles des écovillageois sont politiques, environnementaux et éthiques : respecter la nature, respecter son prochain. On y affiche le refus de donner crédit au mode de vie capitaliste et consumériste. L’esprit est au séparatisme, voire à la sédition. On promeut dans certains cas d’écovillagisme un communautarisme dit « intentionnel » où se regrouperont des personnes mues par les mêmes aspirations, les mêmes colères, les mêmes refus, dans une perspective ouvertement antisociale. (…)

Texte Paul Ardenne
Visuel à la une Détail du village des Hobbits sur le tournage de la saga Le Seigneur des anneaux, Nouvelle-Zélande © Jeff Finley
Retrouvez la partie 1 de cet article ici
Retrouvez la partie 2 de cet article ici

Retrouvez l’intégralité de l’article de Paul Ardenne, sur l’architecture de fin du monde, dans le daté novembre – décembre 2020 d’Archistorm