ESPACE MÉMOIRE

BAL(L)ADES VIRTUELLES

« Espace mémoire » reste à l’intérieur, confinement a obligé. Nous ne souhaitions pas une rencontre virtuelle supplémentaire, alors nous vous proposons un parcours de lieux en musique, notre « space & music list », étendue, mais loin d’être exhaustive : une projection de lieux traversés et visités, que nous associons à des musiques aimées. Nous vous entraînons, en ces temps étranges, dans une promenade introspective rêvée et rêveuse.

PAVILLON ALLEMAND, Barcelone, Ludwig Mies van der Rohe, 1929 / SHE’S LOST CONTROL, Joy Division, 1979

Happé à peine entré. Le son se perd, serpente, résonne d’un marbre à l’autre, froid. Le son glisse entre mur et sol, jusqu’au plan d’eau, et déroute. Le personnage qui habite les lieux est une femme qui danse ; elle passe sa vie à se refléter dans l’eau, les vitres, le travertin. Je la rêve dans une danse frénétique quand les portes se ferment et que le rideau rouge est tiré. Elle s’étire un peu, puis fait vibrer la pièce comme un cœur battant, se cogne. She’s lost control again, comme la danseuse d’un ballet russe qui s’échappe ; mais, au matin, elle aura repris sa posture figée et délicate, prête pour l’arrivée des nouveaux visiteurs.


VILLA CONTARINI, Piazzola sul Brenta, Andrea Palladio, 1560 / TANGERINE, Christophe & Alan Vega, 2016

Ce qui frappe dans sa perspective frontale, c’est l’empreinte urbaine de cet immense palais palladien. À lui seul, il est à la fois la ville, la porte, la campagne, le palais et les bas-fonds. Dans ce géant de pierre et de rocaille, on est happé dans le salon de musique, central et vertical, en triple hauteur, comme aspiré vers le haut par un œilleton mystérieux qui observerait les spectateurs au balcon. Puis, dans un duo chanté, dansant et sépulcral, on découvre de riches salons recouverts de coquillages, de squelettes peut-être de suicidés, et d’images fantastiques. Mais dans le charme du rythme qui va et qui vient, on découvre l’envers du décor, simple, sec, évident et pauvre, d’un charme fou qui opère entre baroque et brutal, entre opulence et évidence.

© Marie-Jeanne Hoffner


PALLAZO DELLA CIVILTÀ, Rome, Giovanni Guerrini, Ernesto Lapadula, Mario Romano, 1942 / MACHINE GUN, Portishead, 1989

À Rome, il n’y a pas que la dolce vita, il y a l’EUR. Ce n’est plus vraiment Rome, c’est presque un décor de film noir, une scénographie historique des pires heures du fascisme, fantôme glacial se tenant à distance. Apparition magique à l’architecture radicale, grandiose, parfaite et tout en symétrie, cette belle endormie des années 1940 semble s’étonner des magazines de mode qui lui font du pied. Une musique sourde est diffusée par les haut-parleurs de la rue marchande, étouffée, mais entêtante, et le son des hélicoptères monte, puis des pétarades de mitraillettes éclatent. On est tenté de courir. Les notes brutales de Machine gun arrivent en fracas et nous effraient autant qu’elles nous enrobent. Le son résonne entre les arcades du Pallazzo della Civiltà et nous poursuit de rue en rue jusqu’au Caffè Palombini… Enfin en paix !

Texte Marie-Jeanne Hoffner, artiste, et Nicolas Karmochkine, architecte.
Visuel à la une VILLA CONTARINI, Piazzola sul Brenta, Andrea Palladio, 1560 / TANGERINE, Christophe & Alan Vega, 2016 © Marie-Jeanne Hoffner

Retrouvez l’intégralité de la sélection dans le daté Juillet-Aout d’Archistorm