EXTRAIT

 

Hors Série Archistorm Fresh Architectures

 

HORS D’ŒUVRE 

L’esprit d’équipe

Un trio de tête, trois architectes fondateurs : Julien Rousseau le créatif, Luca Battaglia rompu aux chantiers et Ulisse Gnesda, l’homme de la modération. Fort d’une quarantaine de collaborateurs, l’équipe est engagée. On y parle de prise de risque, d’émulation et de solidarité. Chacun est stimulé sur son domaine d’excellence, en conciliant initiatives personnelles et projet commun. Un noyau fidèle de quatre managers porte la culture de l’entreprise, du pilotage de la création, à la conception technique, en passant par l’expertise de l’acte de construire. Giovanna Dapelo, Stéphane Pereira Ramos, Julien Faure, Pamela Gennari, récemment rejoints par Nadim Nehmé, constituent une équipe solide de management qui permet à Fresh de poursuivre sereinement sa croissance.

 

Les Buttes-Chaumont

Ce pied d’immeuble des années 1960, en bordure des Buttes-Chaumont, avait de quoi séduire : sa position centrale dans Paris, dans un quartier en pleine mutation très attractif pour faire venir et conserver les meilleurs talents. Le parc des Buttes-Chaumont est un lieu chargé d’histoire, empreint d’atmosphères bucoliques. Il est le poumon d’un quartier en proximité des futurs 21e, 22e et 23e arrondissements de Paris, nés de la transformation des faubourgs parisiens au sein du Grand Paris. L’espace, acquis en 2018, a été pensé comme une pépinière. Un plan d’urbanisme distribue les accès depuis une circulation en bordure de façade. La vie s’organise autour de deux pôles situés au cœur des lieux. D’une part, un atelier maquette, ouvert à la manière des cuisines des nouveaux restaurants, laisse la place à l’expérimentation, et l’offre aux regards ; d’autre part, un espace de vie et de restauration, généreux, pratique, et propice aux instants de convivialité. Grâce à de belles hauteurs sous plafond, une mezzanine fournit une vision de l’espace en surplomb et réserve des lieux pour les conférences et expositions, ou les activités de détente.

 

L’équipe Fresh Architectures, © Ava du Parc – Studio J’Adore

 

FRAGMENTS

Le dessin, la base

Il est un talent d’architecte, fondamental, qui est l’art du dessin. Il est le gage d’une compréhension rigoureuse de ce que l’architecte projette. Voir dans l’espace et le traduire sur le dessin parait simple : maîtriser, savoir projeter, s’abstraire, fonctionner dans un esprit de synthèse non digital, mais analogique. Julien Rousseau est une perle rare. Il sait dessiner. Il aime dessiner. Il nous montre que cette aptitude à dessiner est l’élément fondateur de son architecture.

J.R. : « Je suis convaincu que les nouvelles technologies nous apporteront à nouveau de la spontanéité dans cette synthèse du geste. Je travaille en « story-board » avec le besoin d’illustrer mes pensées. Idem dans le business en passant par l’abstraction du dessin. Je ne peux pas m’empêcher de mettre toute mon énergie à ce que chaque détail soit soigné. Tout est dessiné. J’ai un vrai besoin du dessin et je me nourris de cela. J’emmène mes équipes sur cette voie, pour que tout soit dessiné : la goutte d’eau, le joint creux, le plan qui vient rencontrer la lumière, les pare-vues à densité progressive, tout cela est tramé, mis en musique, avec beaucoup de soin. C’est un savoir-faire. Dans notre projet Allure à Batignolles (Paris), le travail avec le
serrurier, la petite crénelure, le joint creux qui tombe au bon endroit, ce sont des choses qui m’intéressent. L’articulation, la rencontre des matières, des trames, des découpes, tout cela est un vrai métier. Ça, je l’ai vraiment appris en Angleterre : être capable d’interroger le détail.
Au sein de notre projet à Stalingrad (Paris), tout le principe a été de travailler le dessin des ouvertures qui viennent en oblique pour aller chercher les vues lointaines. Et couper le champ visuel dès que l’on s’approche du bâtiment. Densifier, se protéger, former un bouclier et avoir un cœur d’îlot, qui lui, est beaucoup plus accessible, à la lumière, au silence. Et les appartements ont été tournés vers ce cœur d’îlot. »

Transformation du tissu haussmannien, croquis de J. R. / Haussmann-era architecture: J. R.’s sketch

 

Liberté

Si précieuse, la liberté à l’agence est préservée, choyée. L’ouverture sur le monde est la condition sine qua non de la liberté de créer. Par exemple, Giovanna Dapelo explique qu’il ne peut y avoir de cadre temporel stricte quant à la production de son travail créatif. Le temps de l’inspiration étant difficilement maîtrisable, parfois très rapide, parfois long. Les tests sont indispensables pour accompagner le travail de réflexion et derrière une création, il y a de nombreux fichiers de travail, beaucoup de matériels, une quantité de références, d’images, une sélection. L’investissement personnel de chacun fait écho à cette liberté.
Et derrière cette préservation d’un esprit résolument ouvert, derrière l’apologie du libre arbitre, au sein des murs de l’agence, se cache la confiance, l’optimisme enviable et rayonnant de Julien, qu’il n’hésite pas à exprimer.

 

PROJETS

Figure de proue : ALLURE BATIGNOLLES

Des agences d’architecture emblématiques mais aussi émergentes sont amenées à travailler sur le site ClichyBatignolles entre 2007 et 2018. Rappelons-nous : le programme, initié en vue des JO 2012, et en dépit de l’échec de la candidature française, imprime un élan sans précédent, à l’origine d’un nouveau quartier implanté sur une ancienne friche ferroviaire de la gare Saint-Lazare. Il en résulte un aménagement urbain d’envergure exceptionnelle pour Paris : cinquante-quatre hectares (François Grether urbaniste) avec un parc (Jacqueline Osty paysagiste), de l’architecture très contemporaine, dont on prend tout juste la mesure ; puisque les opérations sont aujourd’hui toutes livrées depuis à peine deux ans…, dont en lisière, l’emblématique nouveau Palais de Justice de Paris de Renzo Piano.

Le projet Allure se situe à la pointe de la zone, tout près des voies ferrées. Deux maîtres d’ouvrage l’initient : Ogic et Demathieu & Bard. Il est mené en partenariat avec l’agence ITAR Architectures. En écho au projet de Stalingrad, avoir la possibilité d’œuvrer sur ce site parisien, pour une jeune agence, est un remarquable signe de distinction. Toujours en écho au projet de Stalingrad, l’apologie du pli atteint ici des sommets.

La proue de Batignolles est de taille et mise à l’épreuve de l’intelligence collective. « L’atelier Batignolles » met en branle une intelligence collective de projets à l’échelle de toute la zone, d’où émerge un quartier cohérent. EXIT la succession d’opérations où l’on mesure l’égo de chaque architecte ! Cette époque est révolue. Des ateliers, il résulte : de la mixité, de l’intrication, de la cohabitation qui ne contredisent en rien l’expression architecturale de chaque îlot. Juste, l’ensemble est fluide, alors formidable cette idée d’atelier dédié !

Le projet revisite une solution constructive, qui a pour avantage d’optimiser le processus d’isolation, et d’accompagner l’idée d’une enveloppe d’abord dessinée (plutôt que l’encapsulage ou le calfeutrement) : le mur à coffrage et isolation intégrée. Le savoir-faire de l’entreprise Jousselin permet de travailler en collaboration sur le procédé de préfabrication architectonique à l’échelle du projet, anticipant ainsi sur la phase chantier. Le travail rythmique mené sur les façades de la tour en découle directement : à l’ouest et à l’est, les façades accueillent des espaces extérieurs animés, au nord et au sud les façades lissent intègrent des baies aquarium, généreusement ouvertes sur le paysage. Variation sur un thème, les pans est-ouest de la tour déclinent le thème du balcon dont certains atteignent 2,8 m de profondeur. Les teintes jouent la partition harmonique de toute part : panneaux blancs, bois avec brise-soleils, cadres aluminium champagne, dorés, plus loin complétés par les parements de briques marron/gris clair des deux autres bâtiments. Les loggias des maisons renvoient côté parc au paysage, tandis que les garde-corps transparents des deux autres entités ménagent des percées visuelles généreuses sur les panoramas alentours. Les logements en majorité traversants, double ou triple orientés, résultent d’un principe de géométrie variable, autorisant l’agrandissement comme le repli, en relation constante avec l’environnement extérieur grâce aux percées visuelles.

 

Projet Allure, Fresh – Itar Architectures, © David Foessel

 

Mixité

Après la conception de nombreux programmes de logements, de plus en plus conséquents, programmes quasi tous accompagnés de locaux commerciaux en pieds d’immeubles, étroitement adaptés à chaque contexte urbain (densifier en hauteur et/ou en largeur, ville historique, zone suburbaines, friches industrielle, etc.), pensés pour un futur vertueux, la consécration arrive sans trainer pour Fresh Architectures, et ce par une commande de grande envergure mêlant intérêts privés et publics, appelant aux meilleures règles de mixité et de souplesse programmatique.
Si la mixité fonctionnelle et la flexibilité programmatique sont expérimentées depuis de nombreuses années à l’échelle du territoire, par des investisseurs, des promoteurs, des collectivités accompagnés par de grandes agences d’architecture très identifiés internationalement et nationalement, il est rassurant de constater que, d’une part la relève est assurée par la jeune génération, que d’autre part, la jeune génération a pour capacité d’enrichir les approches, en valorisant l’habitant par un cadre de vie « hyper-qualifié » et mixte.

 

Flagship

« Avoir pignon sur rue » : n’est-ce pas un bon moyen pour maintenir la vie en ville tout en travaillant l’image de marque ? Fresh fait ses premières armes sur ce type de pratique, non avec une marque à proprement parler, mais avec le syndicat UNIFA représentant marques et savoir-faire dans les métiers de l’ameublement. Puis l’exercice prend de l’envergure avec la commande d’un flagship, qui va bientôt venir résonner au cœur de Paris, l’occasion de restructurer un îlot entier sur la mythique avenue Montaigne.

 

L’hyper matière : AVENUE MONTAIGNE

Mais à l’heure où la colère gronde de toute part, à l’heure du dérèglement climatique, comment créer LE flagship d’une grande marque sur l’une des avenues les plus mythiques de Paris ? C’est un immense défi, posé à Fresh Architectures aujourd’hui, déterminant pour l’avenir de/des enseigne(s). Les enseignes seront-elles à la hauteur pour s’inscrire dans le cercle vertueux qu’il devient plus qu’urgent de mettre en place et de manière universelle ?

Dans nos cœurs urbains aujourd’hui, au-delà des récents ravages semés par la colère, l’usure ronge le bâti ancien et les changements d’usage brutaux menacent d’abandon des pans de villes entiers. Les cœurs métropolitains les plus attractifs n’échappent pas au danger, et les acteurs face à la menace de ces fractures insidieuses, se doivent d’être très mobilisés et solidaires. En dépit de ses fractures internes, la France crée encore l’envie, et les énergies se rassemblent internationalement pour générer de la richesse. Plus du tout la richesse des trente-glorieuses, insouciante, emprunte de gaspillage et de pollution à tous vents. Mais une richesse intrinsèque ou le C02 doit être piégé, où la biodiversité doit se développer à nouveau, où la matière doit se recycler où disparaitre sans empreintes, où l’espace à vivre s’auto régénère.

 

Projet pour l’Avenue Montaigne – Fresh Architectures, © Tudor Costachesku

 

Texte : Anne-Charlotte Depondt

Photo de couverture : Projet Allure, Fresh – Itar Architectures, © David Foessel

Ce hors-série est disponible en librairie spécialisée et au sein du numéro 100 du magazine Archistorm pour les abonnés.