PATRIMOINE

LA VILLE ET SES JARDINS : CHRONIQUE D’UN DIALOGUE INTIME (XXe SIÈCLE)

Le XIXe siècle avait déjà montré que ville et jardins pouvaient entretenir une relation conflictuelle, les administrations devant opérer des choix dans leurs entreprises d’aménagement, d’extension et d’embellissement. Le XXe siècle confirme cet antagonisme, et Paris, capitale à l’ère des métropoles, en est encore une fois le principal théâtre.

Une horloge végétale, installation de Jean-Max Albert (1988)
© Jean-Max Albert — Archives Jean-Max Albert

Contemporain du débat sur le Champ-de-Mars, le projet d’aménagement d’une ceinture verte sur les 1 100 hectares occupés par l’enceinte de Thiers, dérasée à partir de 1919, pose le problème du partage de l’espace entre deux nécessités absolues : jardins et logements. Les propositions d’un jardin continu tout autour de Paris, défendues par certains hygiénistes et urbanistes, s’avèrent, en l’occurrence, incompatibles avec les besoins de la capitale en matière de logement et d’équipements. Même difficile — la Ville doit faire appel à des capitaux privés en 1930 —, la construction de plusieurs milliers d’habitations à bon marché (HBM) entre 1922 et 1936 est un investissement autrement plus rentable qu’une ceinture verte. Cet ensemble bâti sans précédent ne sera alors ponctué que par quelques squares, aménagés par les architectes municipaux Léon Azéma et Roger Lardat, auxquels il faut néanmoins ajouter deux parcs importants : le parc Kellermann (Jacques Gréber) et celui de la Butte-du-Chapeau-Rouge (Léon Azéma), créés sur les sites à la géographie la plus particulière, et qui de ce fait ont l’avantage d’ouvrir le paysage parisien sur celui de la banlieue.

Le partage des espaces libres parisiens, qui seul permet d’assurer un équilibre des dépenses publiques, est explicitement assumé lors de l’ouverture du square Saint-Lambert, implanté sur le site de l’ancienne usine à gaz de Vaugirard, désaffectée en 1927. Même dans le 15e arrondissement, le plus vaste et l’un des moins denses de la capitale, la municipalité est en effet contrainte de conjuguer deux nécessités contradictoires : loger les Parisiens et aérer Paris. Aussi, la belle composition imaginée par l’architecte et urbaniste Georges Sébille ne pourra-t-elle pas englober la totalité des terrains libérés : sur 6,6 ha, la Ville ne lui réserve qu’un gros tiers. L’architecte-voyer en chef Louis Bonnier se chargera de justifier ce choix en rappelant que « dans les opérations d’aménagement, les possibilités financières de la collectivité doivent intervenir au même titre que les besoins d’hygiène, de circulation et d’esthétique. Le projet de la Ville de Paris nous semble réunir ces divers éléments dans un juste équilibre, divisant judicieusement la circulation au moyen de lots de bonnes dimensions, assainissant un quartier populeux pendant qu’il en est encore temps, et le dotant, sans dépense excessive, d’un espace libre planté, et sensiblement équivalent au square du Palais-Royal (20 853 m²) ou au jardin de l’Observatoire (22 057 m²)[1]. » Le square Saint-Lambert est en effet bordé de rues nouvelles desservant un ensemble d’HBM, ainsi qu’un manifeste de l’architecture scolaire, le lycée Camille-Sée signé François Le Cœur.

Promenade plantée © Mbzt

L’évolution des doctrines urbaines après 1945 met quasiment entre parenthèses l’idée de square public : la plupart des jardins réalisés dans le cadre des opérations de rénovation urbaine — entre 1960 et 1975 principalement — sont des jardins privés et témoignent d’une métamorphose de la ville, qui accueille désormais l’essentiel de l’espace libre en cœur d’îlot. Quelques opérations remarquables conduites par l’OPHLM dans les années 1950, tel le square Georges-Contenot (12e), cachent cependant mal un appauvrissement général de la culture paysagère.

Il faut attendre les années 1980 pour que, avec les Zac (zones d’aménagement concerté), l’espace public retrouve sa prééminence dans la fabrication de la ville. La place étant perçue comme un espace sans véritable utilité et moins rentable, c’est le jardin qui, le plus souvent, fédère autour de lui les nouveaux quartiers et constitue le principal espace public des Zac ; c’est le cas des squares ou jardins Rachmaninov (Évangile, 18e), Damia (Dorian, 11e), Héloïse-et-Abélard (Chevaleret-Jeanne d’Arc, 13e), Joan-Miró et Gandon (Gandon-Masséna, 13e), Nicole-de-Hauteclocque (Dupleix, 15e) ou encore James-Joyce et Georges-Duhamel (Paris Rive gauche, 13e).

[1] Rapport de Louis Bonnier, 28 juin 1929, fonds L. Bonnier, SIAF/CAPA.

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Texte Simon Texier
Visuel à la une Square Nicole de Hauteclocque © Mbzt

Retrouvez l’intégralité de l’article Patrimoine sur la ville et ses jardins dans le daté septembre-octobre d’Archistorm