Depuis 2010, Hermès a ouvert dix maroquineries à travers la France. Deuxième site du pôle normand de la maison, la maroquinerie inaugurée à Louviers, dans la vallée de l’Eure, accueille 260 artisans formés au sein de l’École Hermès des savoir-faire ouverte en 2021. L’architecture, imaginée par l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh et son atelier, émerge de recherches menées en parallèle sur l’histoire du lieu ainsi que sur les valeurs et savoir-faire de la célèbre maison. Le travail de Lina Ghotmeh s’ancre, selon ses propres mots, au sein d’une « archéologie du futur ».

Intégration dans le paysage lovérien

Sur ce site archéologique, des fouilles préventives ont révélé les vestiges d’un foyer magdalénien tapissé d’outils. Employés notamment pour le travail des os et des peaux, ces objets attestent d’une activité humaine et artisanale remontant au Paléolithique supérieur. Une caractéristique qui permet d’établir un certain lien de continuité avec l’activité actuelle du site.

Une autre particularité relève de la composition du sol, chargé de terre humide et argileuse prête à être modelée. La conception de l’édifice repose sur les ressources locales et les spécificités environnementales de la vallée. Élevée sur une friche industrielle, la structure présente une ossature légère en bois et briques. Près de 500 000 briques fabriquées à proximité du site et posées par des compagnons habillent l’édifice. Leur teinte déclinée du rouge au violet anime la composition. Une succession d’arcs en plein cintre et d’arcs en anse de panier rythme l’architecture, convoquant l’origine de l’entreprise fondée par Thierry Hermès en 1837, d’abord manufacture de harnais et de selles.

© Iwan Baan, Tadzio

Écrin architectural, reflet des savoir-faire

La nouvelle maroquinerie intègre un atelier de sellerie. En inaugurant le site lovérien, le métier de la manufacture Hermès, dédié à l’équitation, s’établit en dehors de Paris pour la première fois. Savoir-faire historique de la maison, la sellerie est placée au cœur du vaste édifice de 6 200 m². Le plan découle de la fonction du bâtiment qui regroupe l’ensemble des processus de création.

Le plan d’ensemble est formé par un quadrilatère de 90 m de côté. Une forme faisant écho aux soies qui font la renommée de la maison. L’entrée s’effectue par une cour végétalisée, prolongeant le site naturel alentour. Le bâtiment scindé en trois unités abrite quatre grands ateliers, répartis en périphérie et qui bénéficient de lumière et vues vers l’extérieur. Les angles, laissés libres, pourront accueillir, selon les besoins futurs, jardins ou extensions. La distribution, percée d’arcades, annonce également une grande flexibilité des lieux.

Par sa position centrale, le grand espace d’accueil sert aussi de lieu d’exposition et de mise en valeur des réalisations de l’atelier et des savoir-faire des artisans. Au cœur de cet écrin harmonieux, l’œuvre La Place du village, réalisée par le sculpteur Emmanuel Saulnier, évoque le galop équestre. Librement inspirée du tableau Le Derby d’Epsom, de Théodore Géricault (musée du Louvre, 1821), la sculpture suspendue est constituée d’aiguilles en acier inox brutes ou noires, jointes par des étrivières de cuir noir, réalisées sur mesure par les artisans bridiers de la maison.

À l’intérieur, tout est mis en place pour favoriser le bien-être des usagers. Les sols en béton ciré et l’habillage boisé des murs dialoguent dans une gamme chromatique sobre aux teintes naturelles. Les équipements vecteurs de nuisances sonores, machines de coupes ou aspirateurs à poussière, sont réunis dans une pièce à l’isolation acoustique renforcée. Partout, des panneaux phoniques atténuent les bruits ambiants. La conception des locaux privilégie la lumière naturelle, et, au nord du bâtiment, des ouvertures en toiture apportent un éclairage diffus. Pour arriver à ce résultat, l’architecte a réalisé avec un bureau d’études des simulations énergétiques afin d’optimiser l’éclairage naturel, mais aussi les consommations énergétiques.

« Par ce projet, je souhaitais revaloriser une friche industrielle. Entouré par une nature et des coteaux extraordinaires, le site reste magnifique et je pense qu’il faut sublimer le beau dans un lieu lorsque l’on construit. »

Lina Ghotmeh, architecte

Coupe transversale

Un bâtiment à énergie positive

Le site industriel est le tout premier en France à bénéficier du label E4C2. La maroquinerie de Louviers incarne les ambitions de développement durable portées par la maison Hermès. Proposant une architecture bioclimatique, le bâtiment tire parti des avantages du site. Le choix des matériaux et la réflexion sur le traitement de l’air favorisent une ventilation naturelle. L’autonomie énergétique est assurée par géothermie et les besoins en éclairage, chauffage et climatisation sont compensés par des panneaux photovoltaïques participant eux aussi à cette autonomie.

Les sols environnants, ayant subi les excavations du chantier, ont été revitalisés et transformés en parc par l’intervention du paysagiste belge Erik Dhont. Sur trois hectares, la végétalisation participe au développement de la biodiversité locale. Le paysage est ponctué de bassins et de noues, intégrés au système d’évacuation et de récupération des eaux pluviales, acheminées vers les nappes phréatiques.

Extraits d’interview
Lina Ghotmeh, architecte

Comment a commencé ce projet, la rencontre avec Hermès ?

J’ai été invitée par Hermès ainsi que 3 autres agences pour concourir pour ce projet de manufacture. J’ai été très touchée d’apprendre avoir remporté ce projet avec l’unanimité du jury de ce concours.

Quelles étaient les ambitions ?

Ce projet est né avec une très belle ambition, celle de construire la première manufacture bas carbone, à énergie positive en France, labellisée E4C2. C’est une prouesse technique environnementale et architecturale puisqu’il s’agit en plus d’un lieu qui est dédié à la production, donc qui a besoin de beaucoup d’énergie et d’électricité pour fonctionner.

J’ai pensé l’architecture de ce projet de façon bioclimatique, en répondant aux ressources naturelles, en pensant d’ores et déjà à une architecture dessinée de façon intelligente afin de réduire les besoins en énergie du bâtiment. Avec mon équipe de bureaux d’études ingénieurs et spécialisés, nous avons travaillé sur plusieurs simulations énergétiques du projet pour optimiser les consommations et l’éclairage naturel. Nous avons opté aussi pour l’utilisation d’énergie renouvelable (géothermie et panneaux solaires), nous avons calculé l’impact carbone de tous les matériaux… Avec mon atelier, j’ai engagé une recherche autour des matériaux et choisi les matériaux les moins carbonés tout en pensant à produire une architecture capable de beauté.

 

Texte : Cléa Calderoni
Visuel à la une : © Iwan Baan, Tadzio

— retrouvez l’article sur Chatillon Architectes Ateliers Hermès, Louviers, Lina Ghotmeh Architecture dans Archistorm 121 daté juillet – août 2023 !