Au cœur de Montpellier, dans le quartier populaire et résidentiel Boutonnet, l’agence Architecturestudio, mandataire, associée à l’agence montpelliéraine MDR et au paysagiste BASE, réussit une triple gageure : offrir à la métropole montpelliéraine son conservatoire à rayonnement régional avec la Cité des Arts, dédiée à la danse, à la musique et au théâtre, un outil culturel contemporain au service du plus grand nombre ; traiter l’avenir de la friche de la maternité Grasset trop longtemps marquée par des années de squat ; participer à la revitalisation du quartier par un schéma de composition urbaine associé à des espaces publics spacieux et naturels. Le tout sans faux pas ni fausse note !

Que la maternité accouche du conservatoire, rien de plus naturel. La Cité des Arts se voit tel un village musical – on y danse sur les toits – où vides, patios, terrasses et jardins suspendus reliés par des circulations lumineuses largement ouvertes sur le square s’organisent harmonieusement non plus sur une portée musicale invisible, mais sur une portée architecturale rythmée, équilibrée, parfaitement accordée au contexte morphologique du quartier, résidentiel et pavillonnaire.

Un, prérequis incontournable du maître d’ouvrage fortement apprécié des habitants du quartier : conserver l’emblématique pavillon d’entrée de l’ex-maternité dévolu à l’administration de la Cité et au centre de ressources, dans le respect de son architecture académique en pierre à la composition ordonnancée.

Deux, démolir les bâtiments non adaptés. Trois, accoler un bâtiment contemporain d’architecture abstraite, fragmenté de métal et de verre, lieu de vie et de culture voué à l’enseignement. Tel est le choix gagnant d’Architecturestudio. L’agence y voit une mise en tension ou une opposition signifiante quand chacune des deux propositions architecturales se confronte à l’autre au bénéfice de la création d’un sens nouveau : en retrait, le nouvel édifice offre un fond de scène et une mise en valeur de son précédent historique.

L’implantation d’un vaste et double parvis, indispensable articulation à la ville – il regroupe l’accès principal à la Cité et à l’auditorium, ainsi que l’accès secondaire indépendant à la salle des musiques actuelles –, donne le tempo avec une introduction progressive et aérée, végétale, prémices du grand hall d’accueil, où la lumière naturelle joue un double registre : lumineux et structurant. L’ombre et la lumière esquissent un pas de deux à découvrir dans cette fragmentation en différents volumes nécessaires à l’insertion urbaine apaisée et discrète d’un équipement d’une surface pourtant conséquente de 10 000 m2, qui est aussi source d’un jeu d’ombres mutuelles bienvenu. L’association à la fraîcheur apportée par une végétation très présente participe à un microclimat favorable en toutes saisons, qui illustre une architecture passive, naturellement bioclimatique labellisée à de multiples reprises : Bâtiment Durable Occitanie, Bâtiment Durable Méditerranée niveau Argent, Bâtiment Basse Consommation niveau confort pour l’existant, Bâtiment à Énergie Positive.

© Juan Jerez

L’organisation spatiale répond à une sédimentation verticale. Le hall d’accueil monumental et convivial, en double hauteur avec son escalier décalé en diagonale, et l’auditorium de 400 places s’installent en rez-de-chaussée ; toutes les grandes salles pratiques de cours, les plateaux d’orchestre et l’espace audition-répétition-diffusion se regroupent au rez-de-chaussée au sud du nouveau bâtiment ; d’autres salles de musique pour la pratique instrumentale et la formation musicale investissent le R+1, l’entresol ou mezzanine et le R+2 ; les salles de danse, d’éveil corporel et d’art dramatique règnent au dernier niveau avec cette grande terrasse végétalisée en correspondance avec l’acrotère du pavillon d’origine. L’ambition pédagogique de la Cité se traduit par cet auditorium ouvert au public, sept studios de danse, un studio de théâtre, deux plateaux d’orchestre de 50 à 80 musiciens, deux salles d’audition de 80 spectateurs, deux salles de musique de chambre, deux salles de pratique collective pouvant accueillir jusqu’à 20 musiciens, une salle de pratique collective de musique ancienne, deux salles de pratique pour les percussions, une salle ouverte de musique traditionnelle, un club de jazz et de musiques actuelles pour 100 spectateurs… À chaque espace musical son identité visuelle : le bois pour l’auditorium et les plateaux d’orchestre, le métal pour les salles de percussions, la couleur blanche pour les petites salles de pratique.

La façade sur l’avenue du Professeur-Grasset au levant renvoie à une architecture contemporaine entre métal et verre définie par un rythme vertical en correspondance harmonieuse avec des brise-soleil en verre sérigraphié dont les couleurs différentes et mouvantes tout au long de la journée dialoguent avec le feuillage et l’écorce des platanes, entretiennent une forme de vibration et protègent le hall des apports thermiques, fort importants. Ce dispositif se retourne en toiture en faveur d’un jeu d’ombre et de lumière variable en fonction de la lumière naturelle. La façade opposée, au couchant, également de verre sérigraphié, joue de tonalités plus languedociennes avec sa palette de rouge et de jaune. Entre l’imbrication-déstructuration des espaces et la lumière toujours omniprésente filtrée par ces brise-soleil colorés jaillit un univers poétique, écho aux enseignements artistiques dispensés dans la Cité, un cadre de vie et de travail plaisant.

Porteuse de la revitalisation du cœur du quartier Boutonnet, l’architecture « contextuelle, innovante et contemporaine » se veut le gage indiscutable du rayonnement attendu de la Cité des Arts Danse Musique Théâtre, conservatoire à rayonnement régional de Montpellier Méditerranée Métropole.

La nature fortifiée

La Cité des Arts bénéficie d’un patrimoine végétal préexistant d’importance, souvent de grande noblesse, avec ses alignements de platanes et ses deux cèdres majestueux conservés, préservés et mis en scène, repères de haute taille de l’entrée principale pour l’un et d’un espace boisé classé du square pour le second, qu’accompagne un tilleul majestueux à petites feuilles. En front du bâtiment restauré, le parvis principal, ou place, est planté en mail avec des assises pour les usagers de la Cité et les habitants du quartier à l’ombre du grand cèdre et d’albizzias. Le second parvis, place des musiques actuelles, se compose d’assises individuelles adossées à des bosquets.

De nouvelles plantations en pied d’arbres, en accord avec les anciens parterres du pavillon d’accueil de l’ex-maternité, installent un paysage qui tend vers l’unité sur l’ensemble du parvis pour une image identitaire perceptible du tramway et de son arrêt face à l’entrée de la Cité. Les massifs fleuris aux formes classiques orthogonales soulignent l’ancien bâtiment historique réhabilité ; sur le parvis, ils deviennent plus organiques, brisent la raideur et inspirent la fluidité musicale et la morphologie végétale. Tiré de la façade de la Cité jusqu’à la voirie de l’avenue du Professeur-Grasset, un revêtement minéral – béton microsablé pour le parvis principal et le secondaire, sable stabilisé pour le mail planté – suggère un espace à partager.

À l’arrière, le square Christine-Boumeester, espace public pour tous, s’appuie sur la zone boisée classée à préserver qui offrira, dès les premières années, un effet de végétation dense avec la conservation d’un maximum de sujets que renforce une généreuse campagne de plantations en tige et en cépée dans le respect d’une palette végétale diversifiée, afin de donner à voir le plus possible d’essences adaptées aux conditions climatiques locales. Avec la même composition paysagère dans les formes, les matériaux et la palette, le square s’infiltre jusque dans la voie d’accès arrière à la Cité.

© Juan Jerez

Enfin, ce square accueille des équipements orientés vers la pratique ludique du spectacle pour tous : théâtre de verdure et mobilier « scénique », mur de graff, fresque murale, jeux d’éveil à la musique, aire de jeux, etc. Hélas, le diagnostic phytosanitaire des plantations existantes impose la suppression de nombreux arbres pour des raisons également sécuritaires. A contrario, la conservation patrimoniale de sujets à la qualité parfois médiocre préserve la perception d’une végétation dense.

À l’avenir, des plantations compensatoires à la palette diversifiée assureront un renouvellement ainsi qu’une valorisation de l’espace boisé régénéré par des sujets arborés et une augmentation de la biodiversité du boisement.  Au final, ce square s’inscrit telle une polarité de quartier pour des usages et des publics diversifiés. L’architecture de la Cité multiplie des terrasses à ciel ouvert qui ouvrent des vues extérieures sur les boisements alentour, du square mitoyen aux alignements de platanes remarquables. De suffisantes épaisseurs de substrat pérennisent des jardins plantés de graminées et de vivaces rustiques qui composent un vaste paysage apprécié d’étage en étage. Outre l’augmentation de la biodiversité locale avec ces compositions de type prairial à fruticée, ces terrasses participent à la forte inertie thermique du bâtiment pour des températures intérieures mieux maîtrisées. La nature s’infiltre jusqu’au cœur du bâtiment avec ses sept patios – source originale de protection contre le gel –, véritables jardins intérieurs protégés, parfois plantés d’arbres, d’arbrisseaux et d’arbres de troisième grandeur qui permettent aux étages supérieurs de bénéficier de vues directes sur la canopée et d’une protection naturelle contre l’ensoleillement excessif. Une palette plus exubérante de végétaux spécialement sélectionnés offre des contrastes et une forte identité aux espaces intérieurs. Chaque patio porte une pulsion musicale différente. Ils se déclinent en trois compositions – trois patios Allegro à l’est, deux Adagio au centre et enfin deux Ostinato à l’ouest, sur le square –, dont le dessin et le choix des végétaux obéissent à une mise en matière de tempos artistiques.

Chacun vibre d’une pulsation musicale personnelle, source d’identification des jardins et contribution au repérage des usagers au cœur du bâtiment : Allegro pour des patios que rythme une végétation lumineuse et colorée avec des floraisons jaunes et orangées chatoyantes aux formes rondes et généreuses avec des couvre-sols moelleux et verdoyants ; Adagio pour des patios qui mettent à l’honneur le tempo lent et fluide d’une composition souple telle la douceur de l’écume sur le sable, quand la palette végétale se compose de plantes succulentes et exotiques à la croissance lente et à la structure foliaire presque immobile ; Ostinato pour des patios à la trame régulière et répétitive de petits arbustes « boule » bien taillés, telle cette partition répétée en boucle qui est la métaphore du nécessaire entraînement au travail des arts – musique, danse, théâtre – dispensés par la Cité qui requièrent rigueur, passion et persévérance.

Extraits d’interview

Éric Penso, vice-président de Montpellier Méditerranée Métropole, délégué à la Culture et au  Patrimoine historique

Vous vous dites sous le charme de la Cité des Arts. Quels qualificatifs associez-vous à son architecture ?

Extraordinaire et exceptionnelle, avec la préservation d’un patrimoine historique lourdement réhabilité associé à une création architecturale contemporaine parfaitement intégrée dans son environnement, végétal et bâti. Cet équipement né d’une relation forte et d’un travail de qualité avec Architecturestudio conjugue ces matériaux d’hier et d’aujourd’hui que sont la pierre, le béton, le métal et le verre, marie l’histoire et l’avenir, mis en scène dans un cadre végétal abondant marqué par ces alignements de platanes majestueux et enrichi d’un nouveau square. Je résumerais la Cité des Arts par ces quatre mots : tradition, patrimoine, modernité, fonctionnalité.

 

Texte : Pierre Delohen
Visuel à la une : Photo © Juan Jerez

— retrouvez l’intégralité de l’article sur le Cité des Arts, Montpellier, Architecturestudio, MDR architectes dans Archistorm 123 daté novembre – décembre 2023 !