Édifiée en 1999 dans le quartier nord d’Islington, à Londres, la Straw Bale House, un projet visionnaire dessiné par l’architecte britannique Sarah Wigglesworth, entérinait la fin d’une époque. Sa richesse expressive renouvelait de manière inédite la plasticité architecturale avec des murs épais en paille, en partie visibles, des soubassements en gabions faits de morceaux de béton récupérés sur le site, une toiture végétale plantée de fraisiers. L’une de ses façades est faite de sacs de sable superposés, une autre est en toile épaisse, tandis que d’anciennes traverses de chemin de fer structurent certaines ouvertures. Cette palette de matériaux et la géométrie contrastée de l’ensemble n’étaient en rien un geste gratuit. Bien au contraire, à travers cette construction, Sarah Wigglesworth proposait un manifeste de l’architecture écologique en milieu urbain.

La durabilité était au cœur de la conception, avec une attention portée aux ressources et à leur impact carbone, une isolation passive, de la ventilation naturelle et le recyclage de l’eau. Réunissant deux ateliers de création et une habitation individuelle, l’édifice a été l’objet d’une couverture médiatique internationale inégalée, à l’instar des blockbusters de l’architecture. Désormais, il était primordial d’envisager l’architecture comme un organisme vivant ayant un impact sur l’environnement.

Précurseur pour l’époque, et de conception très pointue, cet édifice fascinant n’a rien perdu de sa pertinence vingt années plus tard. En effet, la maison vient d’être transformée par son autrice afin qu’en soit améliorée la thermique et pour faire évoluer ses usages, ce que permettait la flexibilité du plan. Ainsi la Straw Bale House reste le marqueur d’un nouveau paradigme en architecture, où l’urgence climatique est une préoccupation devenue incontournable.

Hôtel et Maison d’hôtes réalisés dans le cadre de la Biennale de Longquan en Chine, Anna Heringer architecte © Jenny JI

Acculturations locales

Depuis, la préservation de l’environnement a emprunté des formes diverses, plus ou moins technologiques et répondant à des normes réglementaires. En parallèle, dans notre monde désormais global où la rencontre de multiples cultures locales offre un champ de possibles débridé, un nouveau courant architectural qui était émergent ces dernières années s’est affirmé. Il s’agit d’une architecture déclinant une palette de matériaux naturels, respectueux de la planète et dont la mise en œuvre bouleverse le rapport à l’acte de construire. Les fondements de l’architecture en sont à l’occasion reformulés. Les projets de l’agence Perraudin sont à cet égard des exemples probants. Guidée par « la volonté de réduire le bilan carbone des constructions », l’équipe Perraudin a réalisé à Caluire, à côté de Lyon, un immeuble d’une superficie de 2 200 m2 (atelier de menuiserie, plateaux de bureaux et logements) dont la particularité est d’être en pierre massive et porteuse. Côté rue et en cœur d’îlot, l’édifice très ouvert présente des façades régulièrement tramées, tous les 2,30 m, tandis que ses flancs offrent la forte présence de deux grands aplats de pierre. Les traces de sédimentation, la découpe précise des blocs, leurs tonalités couleur miel, leurs rugosités différentes, les tracés de leurs veines transforment ces pignons en deux monochromes particulièrement expressifs. En partie nord, l’effet produit est encore accentué par l’insertion d’un fin moucharabieh, protégeant les escaliers de desserte des différents étages. La charge émotionnelle de la pierre irradie tout aussi fortement dans les espaces intérieurs où elle reste visible. En partie basse, la réalisation d’arches doubles génère une grande qualité volumétrique et permet d’obtenir de larges portées afin d’accueillir les ateliers et les bureaux.

Des spatialités renouvelées

Ces espaces d’une beauté à couper le souffle sont aussi l’objet de réflexions sur des dispositifs spatiaux très abouties. À Plan-les-Ouates, en Suisse, l’atelier Perraudin livrait au même moment 65 logements sociaux, également en pierre massive et porteuse. Le plan est divisé en trois couronnes, lesquelles sont emboîtées comme des poupées gigognes. Le premier noyau, au centre, contient les circulations. Autour de celui-ci, une deuxième couronne accueille les pièces de service. Enfin, le troisième anneau, en périmètre de l’édifice, comprend les espaces de vie, fédérateurs de la vie familiale. Cette simplicité du plan cache une véritable complexité, notamment s’agissant de la superposition des éléments porteurs, qui représente un véritable défi. D’une plasticité extraordinaire, ces édifices en pierre naturelle permettent un chantier propre et moins long qu’un chantier béton. De plus, leur grande vertu du point de vue de la régulation thermique, été comme hiver, permet d’éviter la pose d’un isolant artificiel. (…)

Immeuble de logements traversants, en bois, réalisés dans un coeur d’ilot du 12ème arrondissement de Paris, par Mars architectes © Charly Broyez

Texte Sophie Trelcat
Visuel à la une Straw Bale House, Stock Orchard Street, Islington, Londres par Sarah Wigglesworth architecte © Paul Smoothy

Retrouvez l’intégralité de l’article Dossier Sociétal Matérialités post-carbone dans Archistorm 113 daté mars – avril 2022