PORTRAIT D’AGENCE

JACQUES FERRIER ARCHITECTURE

À l’œuvre depuis 1993, Jacques Ferrier est un architecte en prise avec son époque. Il a su faire évoluer sa pratique sans jamais perdre de vue la philosophie qui a forgé sa renommée. Depuis 2010, il travaille en étroite collaboration avec le Sensual City Studio, un laboratoire de prospective urbaine qu’il a cofondé avec Pauline Marchetti. Parmi les dernières livraisons de l’agence figurent le siège de Rouen Métropole Normandie et les Arènes de Lunel, des bâtiments où priment comme toujours la rigueur constructive et l’économie esthétique chères à l’architecte.

Détailler le CV d’un architecte pourrait a priori sembler ennuyeux. Il se révèle néanmoins fondamental pour comprendre la philosophie de l’agence créée à Paris par Jacques Ferrier en 1993. Diplômé de l’école de Paris Belleville mais aussi de l’École Centrale, cet architecte et ingénieur est depuis toujours fermement attaché à l’acte de construire. Ses bâtiments parlent pour lui, témoignant de cette imbrication maîtrisée entre esthétique et technique, toujours guidé par l’envie de tirer le maximum du savoir-faire des entreprises et du potentiel des matériaux. Inutile de chercher les grands gestes dans la production de Jacques Ferrier pour qui frugalité et économie esthétique ont toujours primé. L’architecture spectaculaire l’ennuie. La rigueur constructive est son mantra. La culture scientifique héritée de sa double formation le protège des dérives formelles qu’il fustige : « Pour moi qui ai toujours été fasciné par les infinies possibilités d’usage et de transformation des constructions simples et populaires, moins d’architecture c’est mieux. Le minimalisme constructif n’est pas une position d’ascétisme, mais une condition pour que l’architecture s’impose le moins possible et sache s’effacer devant les multiples scénarios de la vie dans le bâtiment. Une liberté qui met le plaisir d’expérimenter l’architecture au premier plan, mais en dehors de tout formalisme » écrit-il. Ce qui ne signifie pas pour autant construire des bâtiments invisibles. Tout est question de mesure. En 2017, il livre le siège de Rouen Métropole Normandie sur un site particulièrement exposé en bordure de Seine et dont le maître d’ouvrage souhaitait faire un signal urbain à l’échelle de la ville. Encore une fois, c’est par un savant mariage entre architecture et technologie que le bâtiment trouve toute sa puissance sans avoir besoin d’en faire trop. Inspirée par l’impressionnisme, une sur-enveloppe en verre dichroïque coloré dont la teinte change au gré de la lumière et du ciel donne toute sa dimension plastique au projet : « C’est un bâtiment qui ne va pas s’épuiser au premier regard, qui aura toujours quelque chose de nouveau à dire » résume Jacques Ferrier.

Portrait Agence, Jacques Ferrier Architecte

Travailler horizontalement

Une quarantaine de personnes travaille dans l’agence de Jacques Ferrier située dans le 14ème arrondissement. Il y a deux ans, il a quitté la rue Vergniaud pour s’installer un kilomètre plus loin, rue Dareau, dans un lieu qui reflète la façon de travailler, très transversale, où la notion de hiérarchie n’a que peu de place. Quand l’architecte raconte son quotidien, il ne convoque jamais la première personne. Le « nous » et « l’agence » l’emportent systématiquement. « Dans son organisation spatiale, cette nouvelle agence a acté l’horizontalité indissociable de notre fonctionnement » résume Jacques Ferrier. Baignée de lumière naturelle, elle est installée de plain-pied entre de deux jardins verdoyants : « Un lieu à l’unisson des bâtiments que nous dessinons ». Les postes de travail n’occupent qu’un tiers de l’agence au profit d’espaces non affectés, à investir au gré des besoins. « Passer toute la journée devant l’écran n’est pas le message que nous souhaitons faire passer. Il y a ici de nombreuses manières d’investir les lieux et de travailler, aussi bien dedans que dehors » poursuit-il. Désormais, une seule salle de réunion fermée est aussi la bibliothèque. La cuisine fait office de salle de réunion informelle tandis le babyfoot jouxte le traceur et les photocopieuses. Une organisation plus agile particulièrement appréciée. Ce qui ne change pas en revanche, ce sont les nombreuses maquettes nichées dans chaque recoin l’agence. Outils fondamentaux dans la genèse des projets mais aussi leur mise au point durant le chantier, elles sont réalisées sur place dans un atelier spécifiquement dédié à leur fabrication.

Portrait Agence, Jacques Ferrier Architecte

Le tournant de Shanghai

En 2010, Jacques Ferrier conçoit un jardin vertical enveloppé d’une résille de béton pour représenter l’Hexagone à l’Exposition Universelle de Shanghai. L’occasion d’explorer le concept de la ville sensuelle, fil conducteur du pavillon français. Éphémère et démontable, loin des grandes échelles auxquelles il se confronte régulièrement, ce projet a cependant marqué un tournant dans la pratique professionnelle de Jacques Ferrier. Pour poursuivre ces réflexions qui ont pris corps en Chine, il cofonde en 2010 le Sensual City Studio avec l’architecte Pauline Marchetti en association avec le philosophe Philippe Simay, un laboratoire d’idées et de prospective urbaine reposant sur le décloisonnement des disciplines. Un an plus tard, ils remportent ensemble un concours d’envergure portant sur le design des futures gares du Grand Paris Express afin d’apporter une cohérence globale au réseau. La collaboration entre l’agence et le studio s’est étoffée au fil des années jusqu’à devenir aujourd’hui constitutive d’une production architecturale commune : « Confronter des points de vue décalés, échanger, explorer de multiples solutions, créer le dialogue, offrir une méthode alternative et complémentaire pour concevoir les projets » : Jacques Ferrier ne tarit pas d’éloges sur la dynamique positive insufflée par ce fonctionnement qui entre en résonance avec l’évolution du métier d’architecte désormais ouvert à d’autres champs disciplinaires.

La recherche et le développement ont toujours occupé une place importante dans le travail de Jacques Ferrier. On se souvient notamment de Concept Office, questionnant le bureau de demain avec EDF (2005) ou d’Hypergreen, un prototype de tour pour des villes plus durables, développé avec Lafarge (2006). « Mais la pression et le rythme imposés par ce métier chronophage font que la recherche peut vite passer au second plan face aux urgences quotidiennes. Avec la création du studio, nous nous sommes dotés d’un outil de recherche à part entière ». Il n’y a désormais pas un projet qui ne soit conçu en synergie avec le Sensual City Studio que dirige Pauline Marchetti. Deux entités, des locaux différents mais qui poursuivent un but commun. « Indépendance des outils et communauté créative » résume-t-il. (…)

Texte : Maryse Quinton
Photos : Rafael Yaghobzadeh

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